Opinion
Les sombres
desseins de l'Arabie saoudite
Samer R. Zoughaib
Samedi 26 octobre 2013
Fait sans
précédent dans les annales des relations
entre les deux pays, l'Arabie saoudite a
adressé de sévères critiques aux
Etats-Unis, leur reprochant leur
attitude dans la crise syrienne et leur
volonté d'ouvrir un dialogue avec
l'Iran. Ce tapage médiatique illustre la
profonde déception de Riyad et sa
crainte d'être mis à l'écart des
solutions régionales en gestation. Il
dévoile aussi les réelles intentions du
royaume wahhabite, qui souhaite la
poursuite de la guerre en Syrie et
l'utilisation du Liban comme carte de
pression.
Fin septembre, l'Arabie saoudite a
décidé d'exprimer publiquement son
mécontentement à l'égard de ce qu'elle
appelle «l'incapacité de l'organisation
internationale à aider le peuple
syrien». Son ministre des Affaires
étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, a
donc décidé de ne pas prononcer son
discours devant l'Assemblée générale des
Nations unies.
Trois semaines plus tard, le 17 octobre,
l'Arabie saoudite, élue pour la première
fois en tant que membre non permanent du
Conseil de sécurité de l'Onu, a refusé
d'y siéger. Un communiqué de la
diplomatie saoudienne a expliqué ce
refus par la politique de «doubles
standards» mise en œuvre par le Conseil
de sécurité ainsi que par son rôle
inefficace dans la résolution des
problèmes clés internationaux.
Puis les fuites médiatiques orchestrées
se sont multipliées. Citant une source
anonyme, l'agence Reuters a indiqué que
les autorités saoudiennes pourraient
réduire leur coopération avec Washington
en raison de la position américaine sur
la Syrie et l'Iran. Selon l'agence,
cette possibilité a été évoquée par le
chef des renseignements saoudiens, le
prince Bandar ben Sultan, dans un
entretien avec un diplomate européen.
Jeudi 24 octobre, le Washington Post a
rapporté que le prince Bandar a refusé
de rencontrer le secrétaire d'Etat
américain, John Kerry, lors d'une visite
à Riyad, il y a quelques semaines. Ce
dernier a exprimé le souhait de voir le
responsable saoudien, mais il été
informé que ce dernier s'apprêtait à
prendre l'avion et qu'une courte
entrevue pourrait éventuellement être
organisée à l'aéroport. Le journal
rapporte que les responsables américains
ont été «abasourdis» par cette attitude,
précisant que les relations
saoudo-américaines «se sont
dramatiquement détériorées il y a une
semaine». Citant un dirigeant arabe, le
Washington Post indique que «le roi
Abdallah a exprimé sa déception à
l'égard de la politique américaine
devant le monarque jordanien et le
prince héritier des Emirats arabes unis,
qu'il a rencontrés à Riyad». Selon ce
même dirigeant arabe, «l'Arabie saoudite
est convaincue que les Etats-Unis ne
sont pas dignes de confiance».
Riyad, un
«allié ingrat»
Le journal souligne que «la colère de
Riyad a déçu Washington, qui estime que
l'Arabie saoudite est un allié ingrat».
Le directeur du centre d'information de
l'Onu à Moscou, Alexandre Gorelik,
estime que le refus de l'Arabie saoudite
de siéger au Conseil de sécurité est une
réaction à l'échec de son scénario de
règlement du conflit syrien. «Il existe
différents moyens d'agir aux Nations
unies pour attirer l'attention sur une
position. A mon avis, l'acte de Riyad
relève de cette logique», a indiqué M.
Gorelik. «L'irritation des représentants
saoudiens s'accumulait face au rejet de
leurs initiatives de règlement de la
crise syrienne. En outre, l'Arabie
saoudite n'a pas apprécié le
réchauffement, bien que très léger, dans
les relations entre l'Iran et les
Etats-Unis», a poursuivi le responsable.
Le quotidien russe Kommersant écrit que
l'attitude de Riyad est un signe de
protestation contre la politique
américaine au Moyen-Orient. En cause: le
refus d'Obama d'attaquer la Syrie et le
redémarrage des relations USA-Iran.
Le journal ajoute que le prince Bandar a
fait part de ses intentions à un groupe
de diplomates
européens. «Un tournant décisif nous
attend: les Saoudiens ne veulent plus
être dépendants des USA», aurait déclaré
le prince Bandar, qui fut ambassadeur à
Washington pendant 22 ans. Il était,
jusque là, l'un des politiques saoudiens
les plus appréciés par l'Occident.
D'après une source diplomatique, cette
distanciation avec les USA
s'accompagnerait d'une réorientation
vers les alliés régionaux et la France,
qui adopte une position plus ferme que
Washington sur la question syrienne.
D'autres politiciens saoudiens influents
ont aussi durci leur discours à l'égard
des USA, confirmant que les propos du
prince n'étaient pas une improvisation,
poursuit Kommersant. «Toute cette
pitrerie sur le contrôle international
de l'arsenal chimique d'Assad n'aurait
été qu'un épisode ridicule si elle
n'avait pas été aussi une flagrante
trahison», a déclaré le prince Turki
al-Fayçal, ancien chef des services de
renseignements.
Certes, les positions de Riyad et de
Washington divergent sur la Syrie et
l'Iran. L'Arabie saoudite souhaite
reporter d'une année au moins la
conférence de paix de Genève 2, dans
l'espoir que d'ici là, des changements
auront eu lieu sur le terrain en faveur
des rebelles. De même que le royaume
prône la poursuite de la politique
d'isolement de l'Iran sur les plans
régional et international. Cependant,
les Etats-Unis, en tant que puissance
internationale, connaissent bien leurs
intérêts et ont d'autres calculs. Ils
sont soumis à de fortes pressions de la
part de la Russie et sont conscients que
le fait de retarder la solution
politique en Syrie ne fera qu'aggraver
leurs pertes stratégiques. De même
qu'ils ont réalisé que la poursuite des
pressions contre l'Iran est improductif,
surtout que la politique des sanctions
et de l'isolement de la République
islamique a atteint ses limites sans
avoir fait plier Téhéran. Ils veulent
donc saisir l'opportunité d'un règlement
politique avec l'Iran avant qu'il ne
soit trop tard. Car le temps ne joue pas
en faveur des Etats-Unis à l'approche de
leur retrait d'Afghanistan et à cause de
leur recul général au Moyen-Orient, sans
oublier les graves difficultés
économiques auxquelles ils sont
confrontés. Alors que pendant ce temps,
la Russie, la Chine et d'autres pays
émergents voient leur puissance, leur
influence et leur rôle s'accroitre.
De surcroit, l'Arabie saoudite a prouvé
qu'elle était un allié inefficace,
incapable d'accomplir les tâches qui lui
sont confiées. L'objectif d'un
rééquilibrage de la situation sur le
terrain en Syrie, que les responsables
saoudiens avaient publiquement annoncé,
n'a pas été atteint. Bien au contraire,
l'armée syrienne a renforcé ses
positions et poursuivi sa progression
sur la plupart des fronts. De même que
l'unification des principaux groupes
rebelles n'est plus qu'un rêve
irréalisable, après l'effondrement
rapide de l'Armée syrienne libre face à
Al-Qaïda et ses affidés.
Marge de
manœuvre étroite
Plus stratégiquement, les Etats-Unis
sont en passe de devenir, d'ici à 15
ans, totalement indépendants sur le plan
énergétique, ce qui réduit
considérablement l'importance de
l'Arabie saoudite à leurs yeux.
Une source diplomatique arabe à Beyrouth
qualifie de «bouderie enfantine»
l'attitude de Riyad vis-à-vis de
Washington. «Les responsables du royaume
agissent comme des enfants déçus de ne
pas avoir reçu le cadeau qu'on leur
avait promis, c'est-à-dire la frappe
contre la Syrie». «Ils boudent, haussent
le ton, gesticulent dans tous les sens,
mais ils savent qu'en fin de compte, ils
n'ont pas la capacité de se rebeller
contre l'autorité du maitre», ajoute ce
diplomate.
En
effet, la stabilité du royaume wahhabite
et, surtout, le maintien au pouvoir de
la dynastie des Saoud, dépend grandement
du soutien des Etats-Unis. Les marges de
manœuvres de l'Arabie saoudite restent,
par conséquent, très réduites vis-à-vis
de son protecteur, fournisseur d'armes
et appui politique et diplomatique. Il
suffit que les médias américains
publient quelques enquêtes sur les
violations des droits de l'homme en
Arabie saoudite, sur les conditions
déplorables de la femme dans ce pays, ou
sur la corruption au sein de la famille
royale, pour que les responsables
saoudiens, qui jouent aujourd'hui aux
Don Quichotte, rentrent dans le rang en
un clin d'œil.
Toutefois, dans l'étroite marge de
manœuvre que les Américains laissent à
leur agent (car il ne s'agit pas d'un
allié), les Saoudiens conservent une
capacité de nuisance. Celle-ci peut se
manifester en Syrie, où l'armement et
l'entrainement des extrémistes se
poursuit d'arrache-pied. Mais aussi au
Liban, que le royaume veut utiliser
comme carte de pression contre le
Hezbollah et l'Iran. Sur le plan
politique, Riyad bloque la formation
d'un gouvernement libanais. Au niveau
sécuritaire, il soutient les groupes
extrémistes à Tripoli, à Ersal et dans
d'autres régions du pays. Sans doute que
le prince Turki al-Fayçal a mélangé ses
souhaits avec la réalité lorsqu'il a
affirmé, en début de semaine, que «le
Liban est au bord de la guerre civile,
le Hezbollah poursuivant la mise à
exécution de son agenda privé sans
considération pour la loi ou le système
politique».
Si l'Arabie saoudite sort de la marge de
manœuvre qui lui est réservée, elle sera
très vite rappelée à l'ordre par
Washington... si entretemps ses
adversaires ne lui auront pas infligé
une cuisante défaite en Syrie ou au
Liban.
Source : French.alahednews
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