Opinion
Les désillusions
de la France en Syrie
Samer R.
Zoughaib
Mardi 14 mai 2013
Dès le
début de la crise syrienne, la France se
tient aux premières lignes dans la
guerre contre le régime du président
Bachar al-Assad. Ses services spéciaux
s'activent sur le terrain, ses
diplomates occupent le devant de la
scène et ses dirigeants jouent les durs.
Mais depuis quelques semaines, le ton a
changé. Finis le refrain : «Bachar doit
partir!» et les projets d'armer les
rebelles. Paris appelle désormais à une
solution politique. Comment expliquer
cette reculade?
Au lieu
de jouer un rôle constructif,
encourageant le dialogue et la solution
négociée à la crise syrienne, la France
a poussé l'opposition de l'extérieur à
la radicalisation et s'est largement
dépensée pour isoler les opposants
raisonnables, favorables à la
négociation et hostiles à toute
intervention étrangère en Syrie; elle a
été un des premiers pays à mobiliser ses
services spéciaux pour des actions
subversives sur le terrain, allant des
«conseils» offerts aux rebelles à
l'entrainement des groupes armés; elle a
joué un rôle de premier plan dans la
dissidence et l'exfiltration du général
Manaf Tlass (au fait qu'est-il devenu?);
a été un des premiers pays à reconnaitre
la «Coalition nationale syrienne» comme
représentant légitime du peuple syrien,
à lui accréditer un ambassadeur à Paris,
à organiser, il y a un an, la première
grande conférence des «Amis de la
Syrie»...
Début avril, la France a
décrété qu'il était temps de lever
l'embargo sur les armes destinées aux
rebelles, entamant
un vaste lobbying au sein de l'Union
européenne, pour convaincre ses
partenaires de lui emboiter le pas. Elle
a même menacé de passer outre la
décision européenne et de briser
unilatéralement l'embargo, qu'elle a
elle-même initié.
Mais il y
a trois semaines, les choses ont changé.
Les fanfaronnades ont disparu, le ton a
baissé, le discours est devenu moins
belliqueux. Le même Laurent Fabius qui
fixait des dates, dans ses rencontres
privées, pour annoncer la chute
prochaine de Bachar al-Assad, devient
subitement un fervent partisan de la
solution politique, exprimant ses
craintes à l'égard d'«une tragédie
syrienne qui peut être la pire
catastrophe humanitaire de ce début de
siècle», oubliant que son pays est
coupable, avec d'autres, d'avoir allumé
le feu.
Dans une interview
accordée au quotidien Le Monde, le 9
mai, le chef de la diplomatie française
affirme que «si on ne porte pas un coup
d'arrêt au conflit, c'est l'éclatement
du pays qui se profile,
l'ultra-radicalisation sectaire des deux
camps, la déstabilisation de toutes les
composantes de cette zone déjà
éruptive». Rompant avec ses discours
belliqueux, M. Fabius plaide pour «une
solution politique». «Les Etats-Unis
doivent pleinement s'engager, les
discussions avec la Russie se renforcer;
nous proposons depuis longtemps un
Genève II, faisant suite à la réunion de
Genève en juin 2012 qui avait failli
réussir». Le ministre français fait
semblant d'oublier que son pays n'a rien
fait pour mettre en œuvre cet accord qui
avait été accepté par le gouvernement
syrien et rejeté par l'opposition
pro-occidentale, encouragée dans ses
positions extrémistes par la France,
entre autres.
M. Fabius
propose aussi de classer comme
«organisation terroriste au sens de
l'Onu le Front Al-Nosra, opposé à Bachar
al-Assad mais filiale d'Al-Qaïda». Une
déclaration étonnante lorsque l'on sait
que la France s'est obstinée à nier,
pendant des mois, l'existence, d'abord
d'une opposition armée -pendant un an,
elle n'a parlé que de manifestations
pacifiques- puis l'existence d'une
composante terroriste extrémiste -elle
ne parlait que de dissidents de l'armée
et d'opposants modérés. Ce même Fabius
avait même qualifié, un jour, les
membres d'al-Nosra de «résistants».
Ambiguïté, embarras et
confusion
Le moins que l'on puisse
dire, c'est que la diplomatie française
baigne dans l'ambiguïté, l'embarras et
la confusion. Ces revirements sont dus à
une myopie politique et une profonde
méconnaissance de la Syrie, des
capacités de résistance de son régime et
de son Etat, de la solidité et de la
loyauté de ses alliés, mais surtout, à
des illusions d'une grandeur qui
n'existe plus depuis longtemps.
Les analystes en France
sont de plus en plus nombreux à dénoncer
une «incohérence désastreuse de la
diplomatie française» et parlent d'une
«diplomatie d'intérêt», au détriment des
«traditions républicaines».
D'abord en Europe, le
bellicisme de la France s'est heurté au
réalisme de l'Allemagne. Berlin freine
les penchants interventionnistes de
Paris et de Londres et malgré plusieurs
tentatives, ces deux capitales n'ont pas
réussi à convaincre la majorité des
membres de l'Union européenne de lever
l'embargo sur les armes à destination
des rebelles. Aujourd'hui, c'est la
France qui souligne le danger de voir
les armes tomber aux mains des
extrémistes.
En France
même, le pouvoir politique a fait
pendant des mois la sourde oreille aux
conseils des services de renseignements
qui ont rédigé des montagnes de notes
sur le fait que la Syrie est devenue un
véritable sanctuaire pour les
extrémistes d'Al-Qaïda et consorts.
Selon des informations sûres, les
services de renseignements français et
occidentaux observent avoir effroi une
«émigration jihadiste dans l'autre
sens». C'est-à-dire que les extrémistes,
après avoir acquis l'expérience
militaire adéquate en Syrie, reviennent
dans leurs pays d'origine, en Occident,
ou se dirigent vers d'autres fronts,
comme celui du Mali.
Le troisième facteur qui
explique la reculade de la France est
sans doute le plus décisif. Lorsque les
Etats-Unis ont décidé -pour des raisons
qu'ils n'ont même pas pris la peine
d'expliquer à Paris et à leurs autres
«alliés»- que le moment est venu de
discuter avec la Russie d'une solution
politique en Syrie, la France est
rentrée dans le rang. Elle a ravalé tous
ses arguments, rangé son disque rayé
-«Bachar doit partir»- et a répété,
comme un perroquet, que «la solution
politique est une nécessité».
Autant que l'affaire
Georges Ibrahim Abdallah, maintenu en
prison à la demande de Washington bien
qu'il ait purgé sa peine en France, la
crise syrienne montre à quel point la
diplomatie française est inféodée aux
agendas américains.
La Russie l'a bien
compris, et avec elle l'Iran et la
Syrie. Il faut parler au maitre... les
disciples s'exécuteront.
Source :
moqawama.org
Le
dossier Syrie
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