The Washington Report
Ne
vous appropriez pas les oiseaux de Palestine
Samah Jabr*
Le souimanga (sunbird) de Palestine (Digimages.info)
La Palestine est en train de vivre une crise entre
une élite de Palestiniens soutenue par l’Occident et les
Palestiniens ordinaires de plus en plus fatigués de leurs
difficultés à gagner leur vie.
Pour la commémoration du 60ème anniversaire d’Israël,
l’an prochain, Israël veut choisir un oiseau national comme
emblème. Selon les officiels israéliens, « cela rentre
dans la culture des nations respectueuses de la nature et c’est
un moyen pour identifier un pays. C’est aussi une façon de
mettre en avant les questions de l’environnement et de la
protection des animaux. »
Le directeur de l’observatoire ornithologique de
Jérusalem a proposé que l’opinion israélienne soit partie
prenante dans le choix de l’oiseau et qu’elle s’identifie en
union avec le pays. Le bulbul, un joyeux
oiseau chanteur, commun dans [les réserves naturelles] de Wadi El
Bazan, Wadi Al Qilt et Ein Qeenia, et le sunbird
de Palestine, un petit oiseau noir pailleté de couleurs
chatoyantes répandu dans les régions désertiques, étaient
pressentis mais son nom anglais a fait écarter ce dernier,
d’après Haaretz.
Tandis que cette discussion sur les oiseaux se lançait
chez les Israéliens, certains Palestiniens déclanchaient une révolution
ici à propos d’un autre oiseau : celui du titre « Parle
oiseau, parle encore », un recueil de contes
traditionnels palestiniens. L’ordre a été donné de retirer le
livre des bibliothèques scolaires par un fonctionnaire du ministère
de l’Enseignement palestinien, au motif qu’il contient des
insinuations sexuelles et des « expressions honteuses »
qui ne doivent pas, selon le décret, être exposées devant des
élèves.
Bien que le ministre de l’Enseignement, Naser-Al
Deen Al Shaer, ait précisé que le livre pouvait rester entre les
mains des enseignants, mais pas des écoliers, une polémique a
suscité quelques protestations et des manifestations dans la rue
palestinienne et on en a profité pour qualifier le gouvernement
de « gouvernement militant radical du Hamas »,
« hommes des ténèbres », « Talibans de la
Palestine ».
Naturellement, ces réactions ont été reprises
à grand bruit par les médias dominants occidentaux. Alors que
cette presse parle si peu des atrocités quotidiennes commises par
Israël contre les Palestiniens, soudain, elle s’est alarmée
pour des « intellectuels palestiniens en colère,
opprimés » et elle s’est s’inquiété de ce que « le
Hamas (se servirait) de sa victoire électorale de l’an dernier
pour remodeler les territoires palestiniens selon une interprétation
radicale de l’Islam. »
Les médias occidentaux n’ont pas été jusqu’à
dire cependant que ce n’était pas le premier livre interdit en
Palestine. Les livres du défunt Edward Saïd ont été interdits
en Palestine par ces mêmes Palestiniens qui s’agitent tant
aujourd’hui, et les intellectuels maison étaient restés alors
bien silencieux. Ils n’ont pas dit non plus qu’il n’y a
qu’en Palestine que les censeurs d’un ministère de l’Enseignement
ont à charge la pratique et l’esprit des élèves, des
controverses similaires survenant aussi en France et aux
Etats-Unis.
Avec toute cette propagande fétide, aucun média
international, aucun de ces « intellectuels
palestiniens », ni même le gouvernement sur la défensive,
n’a prêté la moindre attention aux pauvres bulbul
et sunbird, récupérés par Israël pour son
usage personnel.
Entre autres choses, la Palestine est en train de
vivre une crise entre une élite de Palestiniens soutenue par l’Occident
et qui a ses propres associations et institutions, se considère
comme représentant la culture de Palestine, et les Palestiniens
ordinaires, dont ces nombreux fonctionnaires du gouvernement, qui
sont de plus en plus fatigués de leurs difficultés à gagner
leur vie. La voix de ces derniers n’est entendue ni localement
ni internationalement. Même si beaucoup ne s’en rendent pas
compte, le fossé entre ces deux classes se creuse et le
morcellement de la société palestinienne qui en résulte
continue de s’étendre comme la peste parmi notre peuple.
Selon une étude du Bureau central palestinien de
Statistiques sur le statut démographique et socioéconomique du
peuple palestinien, réalisée fin 2006, la classe des élites
palestiniennes s’est enrichie malgré l’embargo et la pauvreté
étendue qu’il a provoquée. La répartition des revenus en 2006
s’est modifiée en faveur des familles riches et aux dépens de
la classe moyenne. En fait, la part des revenus obtenus par les
10% des familles les plus riches a augmenté de 24% durant l’année
2006 (de 25,1% en 2005 à 30,6% à la fin du second trimestre
2006). Par contre, les revenus de la classe moyenne ont baissé de
12%, et la part des revenus gagnés par les 20% des familles les
plus pauvres n’a pas changé.
Alors que Washington avec son embargo punitif
prend d’une main, de l’autre néanmoins il donne à ceux qui
lui sont favorables. Le département d’Etat US a mis de côté
un énorme budget pour « protéger et
promouvoir les modérés et les alternatives démocratiques au
Hamas », et il verse de l’argent aux ONG et à
d’autres groupes liés à des partis politiques palestiniens
« non étiquetés comme groupes terroristes. »
L’argent est employé pour entraîner des partis politiciens et
laïcs opposés au Hamas, pour créer des alternatives démocratiques
aux options autoritaires ou islamiques radicales, ainsi qu’aux
journalistes qui vilipendent le gouvernement et manipulent
l’opinion publique.
D’après des rapports, les écoles privées
palestiniennes ont reçu 5 millions de dollars pour proposer une
alternative au système éducatif public assuré par le
gouvernement, ce qui signifie que le bourrage de crâne va
commencer dès l’enfance.
L’argent de l’Occident sert à créer les élites
de la société politique et civile, fabriquant des idoles dont
l’âme est asservie par la peur et l’avidité. Ces
Palestiniens domestiqués règlent leur langage sur les exigences
de leurs maîtres. Agissant à l’opposé de nos valeurs et de
notre réalité, ils nous mettent à l’écart car ils se croient
autorisés à parler en notre nom. Tant qu’ils seront prêts à
se vendre et à détourner les orientations nationales
palestiniennes, la communauté internationale est prête, elle, à
leur donner tous les droits et le droit à tout.
Je rencontre chaque jour de ces gens-là.
J’entends leurs fanfaronnades et je les observe parlant de leur
hauteur à nous autres, comme si on ne connaissait rien et si eux
savaient tout. Pourtant, ils partagent le même dogme que les gens
qu’ils critiquent ; la même mentalité fractionnelle,
ethnique et régionale ; ils fonctionnent dans le même
centralisme, avec une personne à la tête en position de pouvoir
qui ne tient compte ni de l’érudition ni du niveau de
professionnalisme des autres. Ils ont le monopole du marché du
travail et le pouvoir d’engager des hommes de main. Ceux
qu’ils engagent viennent du même milieu politique et idéologique.
Et, pourtant, contrairement à la plupart d’entre nous, certains
de ces Palestiniens travaillent dans des ONG avec des cartes spéciales
et empruntent certains chemins que nous ne sommes pas autorisés
à prendre.
Ils se voient dans une mission où il leur revient
de civiliser les habitants de la jungle, qu’on appelle les
Palestiniens, et de nous inculquer des idéaux qui se vendent très
bien à l’étranger : l’enseignement de la paix et de la
démocratie (en théorie seulement), des questions liées au genre
et aux droits des femmes (comme si les autres Palestiniens
pouvaient profiter de leurs droits humains), du dialogue et du
partenariat (un sujet « de rigueur » ces temps-ci).
Ce n’est pas sur les donateurs occidentaux
qu’il faut compter pour financer une ONG palestinienne basée à
Jérusalem, ou qui travaille pour les prisonniers palestiniens ou
pour les droits des réfugiés.
Quand je participe à des ateliers et des conférences
sur la santé mentale en Palestine, j’entends trop souvent des
remarques sur l’inceste alors que c’est extrêmement rare en
Palestine, et si cela arrive, c’est la conséquence d’une
situation pathologique psychologique, et beaucoup moins sur les
problèmes de retards mentaux qui sont si tragiquement fréquents
et pour lesquels nous n’avons aucun établissement décent. Mais
diaboliser les hommes et condamner le patriarcat palestinien est
une bonne cause pour ceux qui recherchent des fonds et pour les
donateurs qui cherchent à renforcer nos stéréotypes.
Oui, il y un patriarcat en Palestine, un
patriarcat qui protège les femmes et apporte une résolution aux
conflits dans une absence totale d’Etat. Si ma voiture a un pneu
à plat, 10 hommes que je ne connais pas vont venir m’aider à
le changer. A Paris par contre, une femme a été violée dans le
métro et personne n’est intervenu. Ces choses répugnantes
peuvent se produire en tout lieu. Soyons juste à l’égard de
notre communauté et concentrons-nous plus sur la norme que sur
l’exception, et apprenons à nous donner des priorités au lieu
de toujours rivaliser pour récupérer l’argent étranger. Entre
les donateurs étrangers et leurs organisations bénéficiaires préférées,
beaucoup d’oiseaux d’ici ne trouvent rien pour faire leur nid
en Palestine
Samah Jabr est psychiatre en Palestine occupée.
Rentrant d’Oslo début mai où elle a participé
à une conférence sur la santé mentale dans les situations
humanitaires, elle est actuellement en tournée en Afrique du Sud
pour parler de la situation actuelle de la Palestine.
Samah Jabr
The Washington Report on Middle East Affairs -
Juin 2007 - traduction : JPP pour "Les Amis de Jayyous"
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