Maroc
Le cancer et ses
métastases
Salah Elayoubi
Salah el-Ayoubi
Mardi 29 octobre 2013
Je repense à cette chaude soirée du
mois de juillet 1999. Le peuple marocain
venait d'enterrer, dans un élan
d'empathie sans précédent, celui qui
avait été son bourreau, trente-sept ans
durant. Sur son catafalque, le despote
s'était-il seulement rendu compte de la
formidable leçon d'humanité que lui
administraient ceux-là mêmes qu'il avait
persécutés, des décennies durant ?
Avait-il seulement pu entendre les
lamentations monter par millions, vers
le ciel, comme autant de prières
d'intercession pour que ce dernier
daignât lui pardonner tant de crimes.
Sur la terrasse où nous prenions le
frais, une légère brise faisait frémir
les branches du « Washingtonia » qui
dressait, vers un ciel scintillant de
millions d'étoiles, sa frêle silhouette
de géant. Etait-ce l'air saturé des
fragrances nocturnes de jasmin, le
parfum de la tragédie qui s'était nouée
quelques heures plus tôt, dans les rues
de la capitale marocaine ou encore la
pensée du tyran endormi à tout
jamais sur les hauteurs du Bou-Regreg ?
Toujours est-il que l'espace d'un
instant, je ne pus réprimer la
réminiscence de ce couplet d'Alfred de
Musset :
N'es-tu qu'une herbe desséchée
Qui vient achever de mourir ?
Ou ton sein, prêt à refleurir,
Renferme-t-il une pensée ?
Nous étions à des années lumières de
Musset et de toute poésie. Mais tout
comme le poète nous cherchions des
réponses. La longue lutte des marocains,
les sacrifices qu'ils avaient consentis
avaient réussi à rallier quelques justes
à la cause de la liberté. Ces derniers
avaient alerté la communauté
internationale et forcé le tyran à
lâcher du lest. Si peu. Mais peu
importe, puisque nous avions réussi à le
démasquer et faire la démonstration de
ses mensonges, ses turpitudes et ses
crimes.Que restait-il de la
tyrannie ? A quelle sauce allait-on
nous accommoder ? Hassan II avait beau
être cruel et se comporter comme
Pharaon, il n'avait pas osé pousser le
mimétisme jusqu'à emporter d'Ouchebtis,
pour le servir outre-tombe. Pas plus
qu'il ne l'avait fait de ses exécuteurs
des hautes œuvres, ses bourreaux, ses
seconds couteaux et ses lampistes, ces
petites mains de la tyrannie. Nous
allions donc en hériter, à coup sûr ! Le
cancer éteint, nous laissait ses
métastases. Alors ce soir-là, les
commentaires qui allaient bon train,
comme en réponse au poète, étaient tout
sauf des prédictions fiables :
« Vous allez voir ce que vous
allez voir ! » promettaient les
plus optimistes, index pointé vers le
ciel, comme pour prendre ce dernier à
témoin.
« Le fils n'est pas comme le
père ! » surenchérit un autre, le
pouce désignant le défunt dictateur
comme si celui-ci se dissimulait dans
son dos
La lettre de cachet et la
Bastille de Mohamed VI
C'était hier. C'était il y a quinze
ans. Un claquement de doigt à l'échelle
de l'histoire. A l'échelle de la
dictature aussi, car le temps semble
s'être figé ou avoir, à tout le moins,
passé pour rien, tant le régime refuse
obstinément de se conformer à la marche
de l'Histoire. Les événements se sont
enchaînés depuis ce mois de juillet
1999. Obstinés, implacables, ils se sont
chargés d'apporter les réponses aux
questions que nous nous posions.
Exactions insoutenables, procès
fabriqués, injustices criantes,
corruption endémique, amateurisme
politique, prédation économique. Rien ne
manque. Jusqu'à cette affaire Anouzla.
L'affaire de trop, qui démontre que le
Maroc n'aura jamais honte de rien.
Hassan II évoquait un festival des
roses, devant des millions de
téléspectateurs médusés et une Anne
Sainclair soufflée, alors qu'elle
l'interrogeait sur le bagne de
Kelaat Mgouna. Il traitait
d'Apaches, en plein discours officiel,
ceux qui lui contestaient sa brutalité.
Mohammed VI, qui n'a pas l'heur d'avoir,
comme son ascendant, le goût du verbe,
n'en a pas moins expédié un journaliste
au bagne de Salé, pour... terrorisme.
Le régime s'est humilié une première
fois en emprisonnant un innocent, ce 17
septembre à l'aube. Il s'est humilié une
seconde fois en l'élargissant, sans le
libérer définitivement des charges
grotesques qui ont fait hurler de rire
une bonne moitié de la communauté
internationale et outré l'autre moitié.
Deux lamentables « Autogoals » qui
trouvent leur origine dans la « Lettre
de cachet » de Mohammed VI, qui d'un
sceau vengeur, a envoyé un pourfendeur
de la corruption et de la tyrannie, les
deux mamelles de son système de
gouvernance, derrière les hauts murs de
cette Bastille d'un nouveau genre où
croupissent désormais, les opposants et
les innocents de tous bords.
Le bal des « faux-culs »
De Ali, on a tout dit. Avant même de
l'avoir entendu, ni lui avoir accordé
la moindre chance de s'en expliquer. Il
aurait échangé un quatuor de ténors du
barreau, pour un avoué de la dictature.
Il aurait négocié sa sortie de prison,
promis d'adoucir le trait de sa plume,
tourné casaque même... peut-être ?!
Avec ces peut-être là, le Maroc
serait une belle démocratie, si l'on en
croit la musique serinée par une
poignée d'adeptes de la servitude
volontaire, au lieu d'être à coup sûr,
une dictature pour les millions de
compatriotes qui en font les frais.
Curieusement, la libération de l'homme a
coïncidé avec un drôle de bal, celui des
« faux-culs ». A présent qu'il dort dans
son lit, les pourfendeurs du terroriste
d'hier, montent au créneau, pour le
féliciter d'être redevenu celui qu'il
n'aurait jamais du cesser d'être, un
innocent. Encore une curiosité de
l'exception marocaine. Cette vilénie !
On ne le dira jamais assez, toutes
ces supputations, ces conjectures, tout
ce bruit ne doit pas nous faire oublier
que si nous étions en démocratie,
l'affaire Anouzla n'existerait même pas
et nous n'aurions pas eu besoin d'une
mobilisation à l'échelle planétaire,
pour contraindre le pouvoir à libérer un
innocent. Un jour, c'est promis, nous
ferons de même pour faire libérer les
centaines, les milliers d'innocents
happés par la machine à broyer du
despotisme.
Au-delà du cas de ce journaliste qui
force le respect, le premier responsable
de la tragédie marocaine, est le régime
lui-même. Il n'y a qu'à observer comment
la garde rapprochée de ce dernier croit
et se multiplie, au fil des échéances
électorales, comme avec le PJD et avant
lui l'USFP, pour se convaincre que le
pays est bien gangrené par les
métastases d'un cancer qui, tôt ou tard
finira par l'emporter. Et ce ne sont pas
les petites victoires homéopathiques,
obtenues ici ou là, à force de ruse et
de coups tordus, qui infléchiront le
cours de l'histoire.
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