|
La discipline de fer du Hezbollah
est un adversaire à la mesure de la machine militaire
Robert Fisk
" Que signifie donc
"ne se limitera pas" ? Que ce sont les civils qui
en paieront le prix - cette fois-ci à Beyrouth - comme ils
l’ont payé au sud-Liban ces trois dernières semaines dans les
massacres perpétrer par l’aviation israélienne !"
On entend beaucoup de braillements et de
rugissements provenant d’Israël à propos d’une attaque
militaire massive jusqu’au fleuve Litani. Mais aujourd’hui,
ces rugissements et ces braillements, qui promettent de "déraciner"
la "graine" de "terroristes" musulmans chiites
hezbollahi, supposés - du moins dans les fantasmes d’Israël -
être les alliés des ennemis de l’Amérique dans la Guerre
contre la Terreur (un conflit que nous soutenons bien sûr tous
religieusement), ont baissé d’un cran.
Une colonne de blindés israéliens, qui a rampé
jusqu’à l’intérieur de la ville libanaise chrétienne de
Marjayoun - largement peuplée par les collaborateurs libanais, de
1978 à 2000, des occupants israéliens - a bifurqué hier au nord
vers Khiam, un village déjà en grande partie dépeuplé, pour
s’y apercevoir que les guérilleros du Hezbollah refusaient de
se rendre.
La frustration d’Israël - et son sentiment
d’avoir perdu, puisque 15 de ses soldats ont été tués dans la
seule portion de la zone frontalière du sud Liban que Tsahal
"contrôle" depuis ces dernières 24 heures - était
manifeste dans le document potentiellement criminel qu’il a
largué hier au-dessus de Beyrouth. Signé "l’Etat d’Israël"
- ce qui a au moins le mérite de rendre son origine claire - ces
tracts annonçaient que "les Forces de Défense d’Israël
ont l’intention d’étendre leurs opérations dans
Beyrouth".
Aïe ! Avons-nous tous dit après l’avoir
lu, nous attendant à plus de morts parmi les civils. Et nous n’étions
pas dépourvus de preuve ! La décision israélienne, annoncée
dans ce document israélien - un carré de papier voletant, place
Riad Solh, au-dessus des boutiquiers et des employés de bureau,
et sur moi - avait été prise parce que les roquettes du
Hezbollah continuaient de tomber sur Israël et à cause des
"déclarations de leur dirigeant" de la veille au soir.
En effet, mardi soir, Sayed Hassan Nasrallah, le président du
Hezbollah, s’était vanté des 350 missiles que ses membres,
selon lui, avaient tirés sur Israël pendant ces dernières 48
heures et conseilla vivement au Arabes israéliens de quitter Haïfa.
Il devrait être dit, aussi, que les soldats israéliens
ne sont pas en train de gagner leur guerre dans le sud-Liban.
Mercredi, à moins de 2 kilomètres de leur propre frontière, ils
ont perdu 15 soldats et beaucoup d’autres ont été blessés. Le
plus loin qu’une colonne de blindés ait pu aller hier était
les abords de Khiam, le site de leur propre prison tristement célèbre
où la torture a été pratiquée de 1978 à 2000. Ce village
n’est encore distant que de 2,5 km de la frontière et ils
combattent un ennemi beaucoup plus déterminé et discipliné
qu’en 1982, lorsque leur "incursion" les a conduit
jusqu’à Beyrouth.
Les Israéliens ont traversé cette même frontière
pour se rendre compte que leurs ennemis, le Hezbollah, sont prêts
à mourir dans la bataille - ce qui ne fut pas le cas de l’OLP
laïque qu’ils ont facilement vaincue en 1982. Le Hezbollah est
un ennemi différent. Les affirmations du Premier ministre israélien,
Ehoud Olmert, selon lesquelles il poursuit la même "guerre
contre la terreur" que George Bush, sont réduite en poussière
face à cet adversaire. Le Hezbollah est pourvu en officiers par
des hommes qui ont passé 18 ans à combattre les occupants israéliens
et qui ont appris à leurs dépends qu’un meilleur armement et
une discipline de fer sont plus importants que les discours
nationalistes. Depuis le retrait israélien de 2000, ils ont eu
six ans pendant lesquels ils ont enfoui leurs caches d’armes
dans le sous-sol, et cela dans un secret extraordinaire.
Etonnamment, la chaîne de télévision du
Hezbollah, al-Manar, émet toujours. Et c’est peut-être la rage
d’Israël, face à cette démonstration surprenante
d’initiative technologique, qui l’a conduit à cette attaque
grotesque, à Beyrouth-ouest, contre les vieux sémaphore et
transmetteur de radio français, qui remontent à la période du
mandat. Cette structure, construite par les Français dans les années
30, avait été, pendant et après le régime de Vichy, une
station-relais de Radio France, mais elle était laissée à
l’abandon depuis 1946. Pourtant, à 11h20 hier matin, les Israéliens
ont gaspillé deux missiles contre cette tour, prouvant ainsi que
leur "guerre contre la terreur" - dans laquelle ils
insistent pour dire qu’ils sont "nos" alliés -
remonte à une époque où Israël n’existait même pas encore.
Le document largué hier par l’aviation israélienne
ordonnait aux Musulmans chiites des quartiers de Beyrouth, Hay
al-Selloum, Bourj al-Barajneh et Chiyah, d’abandonner leurs
foyers "immédiatement". Autrement dit, l’armée israélienne
souhaite "nettoyer" de tout civil les 30 km2 qui séparent
l’aéroport de Beyrouth et la vieille ligne de front chrétienne
de la guerre civile à Galerie Semaan. Ce document méchant se
termine par une menace sinistre - qui viole toutes les règles de
la Convention de Genève à ce sujet - selon laquelle "chaque
expansion des opérations terroristes du Hezbollah mènera à une
riposte sévère et puissante et que cette riposte douloureuse ne
se limitera pas au gang de criminels d’Hassan".
Que signifie donc "ne se limitera pas" ?
Que ce sont les civils qui en paieront le prix - cette fois-ci à
Beyrouth - comme ils l’ont payé au sud-Liban ces trois dernières
semaines dans les massacres perpétrer par l’aviation israélienne !
Eh bien ! Tenez-vous prêts à plus
d’atrocités de la part du Hezbollah et à plus d’atrocités
israéliennes
Robert Fisk
|