on The Independent online, mardi 6 octobre 2009
http://www.independent.co.uk/news/business/news/the-demise-of-the-dollar-1798175.html
En septembre, l’Iran a annoncé que ses
réserves de devises étrangères seraient, dorénavant, libellées
en euros, et non pas en dollars.
Dans ce qui est le plus profond changement
financier de l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, les pays
arabes du Golfe sont en train de préparer – avec la Chine, la
Russie, le Japon et la France – la cessation du recours au
dollar pour les transactions pétrolières, au profit d’un panier
de devises comportant le yen japonais, le yuan chinois, l’euro,
l’or et une nouvelle devise unifiée préparée par les pays
membres du Conseil de Coopération du Golfe, qui regroupe
notamment l’Arabie saoudite, Abu Dhabi, le Koweït et le Qatar.
Des réunions secrètes ont d’ores et déjà
été tenues entre ministres des finances et gouverneurs des
banques centrales, en Russie, en Chine, au Japon et au Brésil,
afin de travailler à ce projet, qui aura pour effet que le
pétrole ne sera désormais plus échangé contre des dollars.
Ces projets, que des sources des milieux
bancaires tant du Golfe arabe que chinois de Hong Kong nous ont
confirmés, peuvent expliquer pour partie une hausse soudaine des
prix de l’or. Mais ils augurent aussi d’une extraordinaire
transformation des marchés libellés en dollars, qui sont appelés
à disparaître peu à peu au cours des neuf années à venir.
Les Américains, au courant de ces réunions
– bien qu’ils n’en aient pas mis au jour les détails – vont
certainement lutter contre cette cabale internationale qui
inclura dorénavant y compris certains de leurs fidèles alliés,
comme le Japon et les pays arabes du Golfe. Dans le contexte de
ces négociations monétaires, Sun Bigan, ex-envoyé spécial
chinois au Moyen-Orient, a mis en garde contre le risque
qu’elles n’approfondissent les divisions entre la Chine et les
Etats-Unis, qui sont en concurrence pour l’influence et le
pétrole, au Moyen-Orient. « Des querelles et des clashes
bilatéraux sont inévitables », a-t-il dit à notre confrère
Asia and Africa Review.
« Nous ne pouvons en aucun cas baisser la garde à l’encontre de
l’hostilité, au Moyen-Orient, autour des enjeux de l’énergie et
de la sécurité ».
Cela sonne comme une inquiétante prédiction
d’une future guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine,
pour la conquête du pétrole moyen-oriental – transformant, de
surcroît, les conflits endémiques de cette région en une
bataille pour la suprématie de la première puissance mondiale.
La Chine consomme plus de pétrole que les Etats-Unis, et elle en
consomme de plus en plus, sa croissance économique étant moins
efficace énergétiquement. La monnaie de transition, dans le
mouvement prévu d’abandon du dollar, pourrait fort bien être
l’or, laissent entendre certaines sources des milieux bancaires
chinois. La richesse d’Abu Dhabi, de l’Arabie saoudite, du
Koweït et du Qatar, qui, ensemble, détiennent des réserves
estimées à 2,1 milliers de milliards de dollars, donne une idée
des sommes gigantesques en cause.
Le déclin de la puissance économique
américaine, liée à la récession économique mondiale actuelle, a
été implicitement reconnu par le président de la Banque
Mondiale, Robert Zoellick : « Un des legs de cette crise sera
sans doute la prise de conscience d’un bouleversement total dans
les relations entre puissances économiques », a-t-il déclaré, à
Istanbul, en prélude à la réunion du Fonds Monétaire
International et de la Banque Mondiale qui doit s’y tenir, cette
semaine. Mais c’est l’extraordinaire puissance financière,
totalement inédite, de la Chine – conjointement à l’irritation
des pays producteurs et consommateurs de pétrole contre la
capacité américaine d’interférer dans le système financier
international – qui a motivé les négociations récentes
impliquant les pays du Golfe.
Le Brésil a manifesté son intérêt pour une
collaboration à des paiements pétroliers en non-dollars, ainsi
que l’Inde.
De fait, la Chine apparaît comme la plus
enthousiaste de toutes les puissances économiques concernées, et
ses énormes échanges commerciaux avec le Moyen-Orient n’y sont
pas pour rien… En effet, elle importe 60 % de son pétrole,
essentiellement du Moyen-Orient et de Russie. Les Chinois
détiennent des concessions pétrolières en Irak – qui étaient
restées bloquées par les Etats-Unis jusqu’à cette année – et,
depuis 2008, ils mettent en œuvre un accord signé avec l’Iran,
pour un montant de 8 milliards de dollars, visant à développer
les capacités de raffinage et les ressources gazières de ce
pays. Elle a des accords pétroliers avec le Soudan (où elle
s’est substituée aux intérêts américains [jolly
good ! ndt]) et elle continue à négocier des concessions
pétrolières avec la Libye, un pays dans lequel tous les contrats
de cette nature ne peuvent qu’être des
joint ventures.
De plus, les exportations chinoise vers le
Moyen-Orient représentent désormais non moins de 10 % des
importations de chacun des pays de cette région, y compris un
large éventail de produits allant des automobiles aux systèmes
d’armement, en, passant par les produits alimentaires,
l’habillement, et même… les poupées ! En une claire indication
de la musculature croissante de la Chine, le président de la
Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a plaidé, hier,
auprès de Pékin, afin de lui demander de laisser s’apprécier le
yuan par rapport à un dollar en dégringolade et, par extension,
de relâcher la dépendance de la Chine par rapport à la politique
monétaire américaine, afin de contribuer à rééquilibrer
l’économie mondiale et d’atténuer les pressions à la hausse sur
l’euro.
Depuis les accords de Bretton Woods – ces
accords, conclus juste après la fin de la Seconde guerre
mondiale, qui définirent l’architecture du système financier
international actuel – les partenaires commerciaux de l’Amérique
ont eu affaire à l’impact du contrôle de Washington, ainsi, ces
dernières années, qu’à l’hégémonie du dollar, en tant que
réserve de devises mondiales dominante.
Ainsi, les Chinois sont, par exemple,
persuadés que si les Américains ont persuadé la Grande-Bretagne
de rester à l’extérieur de l’euro, c’est uniquement afin
d’empêcher un mouvement d’abandon du dollar, qui se serait déjà
produit, sans cela. Mais nos sources dans les milieux bancaires
chinois disent que leurs pourparlers sont d’ores et déjà allés
trop loin pour pouvoir être bloqués, désormais. « Les Russes
vont finalement mettre le rouble dans la cagnotte des devises
(non-dollar) », nous a ainsi déclaré un éminent courtier de Hong
Kong. « Les Brits sont coincés au beau milieu du gué, et ils
vont devoir adopter l’euro : ils n’ont pas le choix, dès lors
qu’ils ne pourront plus utiliser le dollar américain… »
Nos sources des milieux financiers chinois
pensent que le Président Barack Obama est trop occupé à soigner
l’économie américaine pour se concentrer sur les implications
extraordinaires de la transition conduisant à l’abandon total du
dollar d’ici neuf ans. La deadline actuelle, pour le
parachèvement de la transition monétaire est, en effet, l’année
2018.
Les Etats-Unis ont brièvement évoqué cette
tendance lors du sommet du G20 à Pittsburgh ; le gouverneur de
la Banque centrale chinoise et d’autres responsables se
plaignaient de manière audible du dollar, depuis des années.
Leur problème, c’est qu’une part considérable de leur richesse
nationale est constituée d’avoirs en dollars…
« Ces projets changeront le visage des
transactions financières internationales », a indiqué un
banquier chinois. « L’Amérique et la Grande-Bretagne peuvent se
faire du mouron : vous saurez à quel point elles sont emmerdées
au tonnerre de démentis que cette information ne manquera pas de
susciter… »
En septembre, l’Iran avait annoncé que ses réserves de devises
étrangères seraient dorénavant en euros, et non plus en dollars.
Les banquiers se souviennent, bien évidemment, de ce qui est
arrivé au dernier producteur de pétrole du Moyen-Orient à avoir
vendu son pétrole en euros, et non en dollars : quelques mois
seulement après qu’un certain Saddam Hussein eut annoncé cette
décision avec tambour et trompette, les Américains et les
British envahissaient l’Irak…
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier