Opinion
Les ouvriers
égyptiens après le coup d'état militaire
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 11 septembre 2013
Ils ont tous failli, qu’ils
soient tous maudits
Il y a deux ans – dès l’éclatement d’une
nouvelle flambée de révolte au Caire en
colère et dans l’Égypte toute entière –
nous avions souligné que si ces
soulèvements spontanés (celui de 2011
n’étant que le suivant d’une série de
précédents que la presse occidentale
avait masqués), si ces révoltes
continuaient d’être dirigées par des
grévistes spontanéistes, désorganisés –
des anarchistes – des adolescents
blogueurs amateurs, par l’ambassade
américaine au Caire, par des escadrons
de l’armée égyptienne et de la police
secrète de Moubarak, alors cette immense
énergie ouvrière et populaire allait
être gaspillée en pure perte et ne
mènerait nullement à une révolution
quelconque, mais bien plutôt à un
changement de la garde – l’armée de
Moubarak continuant la dictature de
Moubarak mais sans Moubarak [http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-revolution-democratique-88459
et
http://www.mondialisation.ca/egypte-la-r-volution-avort-e/23260
].
La suite des événements sanglants,
Place Tahrir notamment, nous donna
totalement raison. L’armée des
capitaliste compradores égyptiens – au
service empressé de l’impérialisme
américain et occidental – sacrifia son
général bien aimé (Moubarak) – dans une
vaine tentative de calmer la rue
égyptienne – soutenue en cela par le
secrétariat d’État américain (Hillary
Clinton) qui expliqua à la «communauté
internationale» que le peuple
égyptien voulait la «démocratie»
(entendre de sa bouche qu’il souhaitait
élire lui-même son dictateur) [http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/democratie-en-peril-89449].
Cette sainte-alliance
militaro-impérialiste, fortement
soutenue par la «gauche» contemplative
et par les sociaux-démocrates
électoralistes, hurla sa joie sans
limite lorsque les militaires des
milliardaires égyptiens annoncèrent
qu’ils accordaient le droit de vote et
qu’ils organiseraient des élections
bidon à l’américaine (arrangées –
truquées – soudoyées par l’argent de
l’ambassade US au Caire) [http://www.alterinfo.net/Le-maillon-faible-La-crisearabe_a56362.html].
Nous entendions alors un passant sincère
hurler son allégresse en faveur de, et
je cite, «La plus grande révolution de
tous les temps».
De la révolte à la révolution
égyptienne
Et voilà l’avortement de la «plus
grande révolution de tous les temps».
Pour comprendre ce retournement, il faut
analyser le déploiement de la lutte de
classe de l’instance économique vers
l’instance idéologique et politique à
travers le soulèvement de la classe
ouvrière égyptienne entre 2005 et 2013.
La lutte de classe des ouvriers
égyptiens n’a pas commencé en 2011 ou en
2012 comme on tente de le laisser
croire. À partir de 2012 cette lutte
s’est enlisée dans le marécage des
combats inter-capitalistes entre la
faction Moubarak et post-Moubarak,
alliée à l’armée soutenue par les
États-Unis et l’Europe occidentale; et
les factions que faute de mieux nous
identifierons comme « islamistes »,
elles-mêmes affrétées par l’Émirat arabe
du Qatar ou par le Royaume wahhabite
saoudien ainsi que par les étatsuniens [http://www.france-irak-actualite.com/article-ce-qui-n-a-pas-ete-revele-de-laren
contre-orageuse-bandar-poutine-119650268.html].
La petite-bourgeoisie égyptienne,
soutenue par les médias sociaux et par
les ONG de proximité, est accourue dans
la mêlée apporter sa complicité. Ce sont
ces gens (ces bobos) qui
répandirent le tumulte à propos d’un
duel religieux archaïque entre les
Frères musulmans, les
djihadistes-islamistes et les
Salafistes momifiés,
affrontant les sous fifres
« socialistes », laïcs, révolutionnaires
de salon et de balcon, qui se termina
par le coup d’État qui imposa le larbin
de l’armée puisque le peuple ne se
résignait pas à élire l’homme de paille
désigné, ce al-Baradaï Nobel de la pax
americana [http://www.les7duquebec.com/7-au-front/les-revoltes-egyptiennes-suites-ou-fin-2005-2013/].
C’est la petite-bourgeoisie (bobo)
qui, à travers ses organisations
politiques soutenues par les grands
médias à la solde, s’acquitta de la
mission de dévoyer le mouvement ouvrier
et le mouvement populaire afin de leur
confisquer la direction de la lutte de
classe, de la révolte qui ainsi
ne devint jamais une Révolution
(un changement radical de système
économique et politique).
Cette guerre de classe à finir
s’était d’abord développée sur le
front économique par des grèves
contre la dépréciation des salaires et
contre les congédiements ; par des
manifestations contre les
hausses de prix et la dégradation des
conditions de vie et de travail,
et par des occupations contre la
dégradation des services publics, le
chômage, la faim et la pénurie d’eau et
de logements. Puis, peu à peu,
la lutte s’est dirigée sur le
front politique par la remise
en cause du pouvoir bourgeois
nationaliste et compradore sur
l’appareil d’État aliéné.
C’est ici que la bourgeoisie est
intervenue le plus violemment et le plus
efficacement proposant le mot d’ordre «Moubarak
Dégage ! Qu’un autre
larbin s’engage !»,
transformant idéologiquement et
politiquement un soulèvement qui
menaçait de renverser toute la
superstructure étatique pourrie en une
simple revendication pour obtenir des
élections bidon afin que les citoyens
électeurs sans danger choisissent leur
tyran par tirage universel parmi
quelques représentants triés sur le
volet et encadrés par l’armée des
milliardaires égyptiens nationalistes et
compradores dévoyés.
C’est la Secrétaire d’État des
États-Unis, au nom de la classe
capitaliste internationaliste, qui donna
le coup d’envoi au limogeage de Moubarak
et à son remplacement via des élections
bidon où, elle n’avait aucun doute, les
entreprises américaines organisatrices
professionnelles d’élections bidon
parviendraient à orienter le vote de la
populace vers l’un ou l’autre des
candidats mis en place. L’armée
pharaonique égyptienne entérina cette
manœuvre et mit tout en œuvre pour en
faire son chef d’œuvre électoraliste.
C’est alors que les phalanges
petites-bourgeoises des fronts de gauche
pluriels et multicolores, rouge écarlate
se sont mises en marche par leur
agitation dans l’instance idéologique et
politique (médias sociaux, télévision,
journaux, assemblées, manifestations,
occupations, agitation électorale) afin
de détourner le soulèvement ouvrier vers
le marigot des pools électoraux.
Tout fut mis en œuvre pour qu’en
aucun temps la conscience « en
soi » de la classe et sa
lutte spontanée sur le front
économique ne débouche sur une
prise de conscience de classe « pour
soi » et ne s’engage vers
une insurrection pour la
conquête de tout le pouvoir d’État par
la classe ouvrière.
Une fois l’affaire bien engagée en
direction des élections bourgeoises, où
seuls sont déterminants le
contrôle de l’appareil de gouvernance,
la machine de propagande et les
prébendes de la haute finance, la classe
ouvrière par ailleurs démunie dans tout
ce bourbier redevint
spectatrice de son destin politique,
idéologique et économique. Vous rappeler
de cette tournure des événements quand
vous aborderez le traitement de
l’agression en Syrie sous les
djihadistes exfiltrés de Libye et de
Turquie par la volonté des États-Unis [http://www.les7duquebec.com/7-au-front/le-dessous-des-cartes-en-syrie-meurtrie/].
Le plan de la classe
bourgeoise concernant l’Égypte
Le plan militaro-étatsunien était
simple. Les meilleurs organisateurs
d’élection bidon (des firmes américaines
de renom) se déployèrent sur l’Égypte
toute entière et menèrent tambour
battant, à force d’argent, une campagne
débridée en faveur de quelques candidats
affidés. Leur ex-agent égyptien, des
services secrets de l’Agence
Internationale de l’Énergie Atomique
(AIEA), maître El Baradaï, faisait
partie de ce lot éclectique. Cependant,
ces « faiseux » d’élection ne savaient
pas comment ce peuple imprévisible
allait voter. Les égyptiens boudèrent
cette mascarade électorale,
déçus d’avoir été floués dans leurs
réclamations pour du pain, de l’eau, des
prix raisonnables, du travail, des
salaires acceptables, des logements
salubres et abordables et des services
municipaux – les véritables
revendications économiques de
cette Révolte du
«Printemps arabe».
Comme il était facile de le prévoir,
les magouilles de l’armée de métier, de
la section nationaliste comme de la
section compradore de la grande
bourgeoisie égyptienne et du Secrétariat
d’État américain ont échoué et aucun de
leurs candidats favoris ne perça le mur
d’indifférence que le peuple égyptien
opposa à ces figurants surfaits. Les
étatsuniens firent contre mauvaise
fortune bon cœur et complotèrent avec
les nouveaux maîtres du Majlis Al-Chaab.
Les pseudos analystes des affaires
arabes ont beaucoup de peine à
comprendre que les étatsuniens, les
impérialistes européens, les saoudiens
et les qataris puissent placer leurs
œufs dans plusieurs paniers afin de
s’assurer la mainmise sur la clique qui
décrochera la palme politique et qu’ils
puissent même changer leur fusil
d’épaule en cours de route s’ils
perçoivent que l’astuce a fait long feu.
C’est exactement ce qui est survenu avec
les
Frères musulmans qui ne
pouvant rien livrer de ce qu’ils avaient
présenté aux ouvriers ont été
répudiés…et l’armée a dû recommander une
deuxième ronde d’escroquerie comme le
démontre ce témoignage égyptien [A.
Jules 24.08.2013. « Égypte : Comment les
Frères argent «musulmans» recevaient des
pots-de-vin américains et qataris
http://allainjules.com/2013/08/24/badaboum-egypte-comment-les-freres-argent-musulmans-recevaient-des-pots-de-vin-americains-et-qataris/].
(À suivre)
MERCREDI PROCHAIN : COMME EN SYRIE
« TENSIONS AU SEIN DE L’ALLIANCE
OCCIDENTALE »
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