Opinion
Que feront les
islamistes tunisiens de leur victoire ?
Ridha
Kéfi
Mardi 25 octobre
2011
Ennahdha est prévenu: l’euphorie de la
victoire passée, il doit répondre aux
questions que se posent les Tunisiens et
trouver des réponses qui ne déçoivent
pas leur attente. Et c’est là une autre
paire de manche.
Par Ridha Kéfi
La victoire aura été facile, trop
facile. Le parti islamiste tunisien n’a
pas eu à se surpasser pour remporter
largement la première élection libre,
pluraliste et transparente en Tunisie.
Il n’a eu finalement qu’à cueillir les
fruits des errements de ses adversaires
qui l’ont mis, pour ainsi dire, sur un
piédestal.
Le difficile
métier de gouverner
Les dirigeants d’Ennahdha, qui ont eu
le triomphe modeste, si l’on en juge par
leurs premières réactions à chaud, sont
les premiers «effrayés» par leur propre
succès, car ils sont bien conscients des
difficultés qui les attendent. Leurs
appels incessants au rassemblement et à
la constitution, avec toutes les forces
politiques, d’une large coalition pour
doter le pays d’une nouvelle
constitution et l’aider à sortir de la
crise actuelle en disent long sur leur
état d’esprit actuel. Car s’opposer est
une chose – une posture qu’ils
connaissent depuis plus de quarante ans
– et gouverner en est une autre. Ce
«métier», autrement plus difficile, ne
s’apprend pas, en effet, à pied levé.
Aussi les questions qui se posent
aujourd’hui sont les suivantes: Que fera
Ennahdha de sa victoire? Va-t-il
constituer une coalition avec les partis
qui ont remporté avec lui ces élections,
et notamment Al-Moatamar et Ettakatol,
pour constituer une majorité
gouvernementale? Auquel cas, il devrait
faire de substantielles concessions et
partager les responsabilités avec ses
alliés, au risque de voir se constituer,
en face, une forte opposition réunissant
les partis de gauche et les libéraux,
grands perdants des élections, alors que
des élections tout aussi importantes
(législatives et présidentielle) se
profilent déjà à l’horizon.
L’union fait
la force
Ennahdha va-t-il plutôt reporter ses
ambitions gouvernementales en proposant
aux autres forces représentées dans
l’Assemblée constituante la mise en
place d’un quatrième gouvernement de
transition constitué de technocrates ou
même d’un gouvernement d’union
nationale, de manière à faire porter la
responsabilité de cette phase difficile
de transition par toute la classe
politique nationale? Ce qui lui
donnerait une image de mouvement
rassembleur, soucieux de l’unité
nationale et ouvert à toutes les forces
politiques, y compris séculières. Reste
à savoir si les forces qui ont perdu les
élections du 23 octobre, et qui songent
déjà à l’après-Constituante, sont
disposées à jouer le jeu, en partageant
des charges dont ils estiment la
lourdeur sans être assurées d’en tirer,
à terme, de réels bénéfices.
Ces questions sont d’autant plus
légitimes qu’Ennahdha, au sortir de
trois décennies de harcèlement, de
musellement et de répression, qui ont vu
ses dirigeants condamnés à la prison et
à l’exil, n’a pas aujourd’hui l’ancrage
requis dans les rouages de
l’administration et de l’Etat, ni le
savoir-faire nécessaire pour porter seul
sur ses épaules frêles les lourdes
charges gouvernementales.
Le parti islamiste a donc besoin
d’une période d’apprentissage, plus ou
moins longue, et aux résultats
incertains, que le pays ne saurait
souffrir en cette phase délicate. Les
Tunisiens, y compris (et surtout) les
électeurs d’Ennahdha, attendent des
réponses urgentes à leurs problèmes
socio-économiques et ils ne sauraient
supporter longtemps des hésitations, des
erreurs d’appréciation ou des faux-pas
que commettraient forcément des…
débutants.
Une naissance
prématurée
Sans préjuger de la suite des
tractations en cours entre les forces
politiques pour la constitution du
gouvernement et la répartition des rôles
dans la nouvelle configuration politique
issue des élections du 23 octobre, on
sent déjà, chez les vainqueurs, une
certaine perplexité qui en dit long sur
les doutes qui les tenaillent.
Y aller ou pas? Avec quels alliés
providentiels? Et avec quelles
ressources, surtout humaines? Quels
seraient les chances associées à chaque
choix et les risques encourus? Sur quoi
céder à d’éventuels alliés de
circonstance – c’est le cas d’Al-Moatamar
et d’Ettakatol, qui partagent peu de
choses avec Ennahdha sur les plans
idéologique et doctrinaire –, et sur
quoi rester intraitable?
C’est comme si nous assistons à une
naissance prématurée: le bébé est trop
beau, mais il est également trop
fragile.
Et les parents sont moyennement
effrayés par l’ampleur de la tâche qui
les attend.
Dans ce cas, il n’y a pas de meilleure
solution que l’union sacrée de toute la
famille pour faire face ensemble aux
défis et aux urgences.
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Publié le 25 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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