Tunisie-Politique
L'impossible
dialogue national
ou la Tunisie otage d'Ennahdha
Ridha Kéfi
Jeudi 24 octobre 2013
La
camarilla politico-religieuse au pouvoir
aujourd'hui à Tunis risque de saper les
fondements même de l'unité de la
Tunisie: l'Etat que plusieurs
générations de Tunisiens et de
Tunisiennes ont patiemment et durement
construit.
Par
Ridha Kéfi
Malgré la fin de non recevoir opposée
hier soir par le chef du gouvernement
provisoire, Ali Larayedh, qui a refusé
de présenter la démission de son
gouvernement, comme le stipule la
feuille de route du Quartet (UGTT,
Utica, Ordre des avocats, LTDH) pour la
reprise du dialogue national, affirmant
seulement «envisager le principe de
céder le pouvoir», ce qui n'a rien
à voir avec une démission, et liant
celle-ci à l'achèvement de la
constitution, à la mise en place de
l'Instance supérieure indépendante pour
les élection (ISIE), à l'adoption d'un
nouveau code électoral et à la fixation
d'une date pour les prochaines
élections.
Impuissance
de l'opposition et lassitude de
l'opinion
Malgré donc cet entêtement de Ali
Larayedh, qui, dans sa déclaration de
mercredi soir, n'a pas résisté au
plaisir d'égratigner l'opposition – qui
aurait rassemblé, hier, selon ses
termes, «quelques centaines ou
quelques dizaines de personnes pour ses
manifestations contre le gouvernement»
–, le Quartet continue de croire qu'il
pourrait démarrer le dialogue national,
le vendredi 25 octobre. Ce nouveau
report est d'autant plus inutile qu'il
va donner aux protagonistes de faux
espoirs, tant il est évident qu'Ennahdha
et le gouvernement qu'il conduit,
impliqués jusqu'au cou dans la montée de
la violence, les assassinats politiques
et le terrorisme, et sans doute aussi
dans des abus administratifs et une
mauvaise gouvernance financière, pour ne
pas dire autre chose, ne sont pas
disposés à céder le pouvoir, ni
aujourd'hui, ni demain, ni jamais, de
crainte de devoir rendre des comptes
pour tous ces écarts commis.
L'attitude de M. Larayedh, droit dans
ses bottes, prenant de plus en plus ces
postures hautaines et dédaigneuses
caractérisant les apprentis dictateurs,
et l'état d'esprit des autres dirigeants
d'Ennahdha, des faucons aux soi-disant
colombes – qui se sont, entretemps, fait
pousser des canines, comme l'ex-chef du
gouvernement Hamadi Jebali – ne laissent
pas présager une disposition au
dialogue, aux compromis et aux
concessions.
Les
Tunisiens ont beau manifester leur
ras-le-bol,
Ali Larayedh reste inflexible, quitte à
détruire le pays.
Au contraire : Ennahdha, convaincu de
l'impuissance de l'opposition, de la
lassitude de l'opinion publique, qui
commence à montrer une certaine
résignation, et de la complicité
agissante de ses alliés – et obligés –
du Congrès pour la République (CPR) du
président provisoire de la république
Moncef Marzouki et Ettakatol du
président de l'Assemblée nationale
constituante (ANC) Mustapha Ben Jaâfar,
au plus bas dans les sondages et dont
l'avenir dépend désormais du bon vouloir
des islamistes, ne ressent plus
l'obligation de dialoguer et encore
moins de céder ne fut-ce qu'une parcelle
du pouvoir quasi-divin qu'il détient
depuis deux ans.
Le coup de
pouce des terroristes
Pire encore : les attaques
terroristes, qui interviennent par
intermittence, et toujours au moment où
Ennahdha se trouve en difficulté, comme
ce fut le cas hier à Sidi Ali Bouaoun et
à Menzel Bourguiba, où 7 agents de la
garde nationale ont trouvé la mort sous
des balles d'éléments terroristes...,
ces attaques donnent à Ennahdha un
prétexte commode et, surtout, très
opportun, de se dérober à ses
engagements vis-à-vis des autres
protagonistes : Quartet, opposition et
opinion publique, nationale et
internationale.
Ces attaques terroristes, loin de
constituer des clignotants rouges pour
le gouvernement Ennahdha, semblent
l'inciter, comme le chiffon rouge pour
les taureaux dans les arènes de corrida,
de poursuivre sa fuite en avant mettant
encore en danger la stabilité et la
sécurité d'un pays, qui se trouve dans
une situation socio-économique que
beaucoup d'observateurs qualifient déjà
de «catastrophique».
La Tunisie est aujourd'hui l'otage
d'une camarilla politico-religieuse,
soutenue par des forces étrangères
(Etats-Unis, Turquie, Qatar) aux agendas
douteuses, et qui risque de détruire le
socle même supportant son unité
nationale: l'Etat que plusieurs
générations de Tunisiens et de
Tunisiennes ont patiemment et durement
construit autour d'un projet de société
équilibrée, authentique et ouverte.
C'est ce projet, fondement même de
l'unité nationale tunisienne, qui est
aujourd'hui battu en brèche par Ennahdha
et ses alliés, directs ou objectifs, et
qui vont d'Ettakatol aux jihadistes d'Ansar
Charia, à l'intérieur, et des Etats-Unis
au mouvement international des Frères
musulmans à l'extérieur.
Copyright © 2012 Kapitalis. Tous droits
réservés
Publié le 24 octobre 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|