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Opinion
Tunisie. Bisbilles
entre la justice et les forces de police
Ridha Kéfi
Lundi 18 avril 2011
Que s’est-il
passé réellement, le 30 mars, au tribunal de première instance
de Sousse? Des magistrats ont-ils été agressés, du moins
verbalement, par un groupe d’agents de sécurité? Est-ce une
simple rumeur?
L’Association des magistrats tunisiens (Amt), qui a retrouvé
son indépendance après la chute de l’ex-dictateur, le 14 janvier
dernier, a appelé, samedi, à l’ouverture d’une enquête
administrative et judiciaire sur les circonstances «des
incidents graves» qui ont eu lieu fin mars au tribunal de
première instance de Sousse.
Atteinte à l’immunité et à
l’indépendance de la justice?
Le communiqué de l’Amt parle même d’une atteinte à l’immunité
et à l’indépendance de la justice et souligne le soutien de
l’association au juge d’instruction et au cadre judiciaire et
administratif du tribunal victimes dedits «incidents graves».
Que s’est-il passé réellement, le 30 mars, au tribunal de
première instance de Sousse? Selon l’Amt, ce jour-là, «une
cinquantaine d’agents de sécurité ont fait irruption au tribunal
de première instance de Sousse et au bureau du juge
d’instruction. Ils se sont rendus ensuite à la cellule de la
garde à vue et, faisant usage de force, ils ont libéré l’agent
de sécurité qui fait l’objet d’un mandat de dépôt. Ils ont
ensuite amené cet agent à bord d’une voiture administrative vers
une destination inconnue».
Ces faits ont «réellement eu lieu contrairement aux affirmations
contenues dans le communiqué du ministère de l’Intérieur en date
du 15 avril 2011», a soutenu l’Amt, en affirmant que l’agent
devait être interrogé dans l’affaire N° 6107/3, sans donner des
précisions sur la nature des accusations retenues contre lui.
L’Amt, qui se réserve le droit de porter plainte «pour
réhabiliter le pouvoir judiciaire et garantir la justice», a
également affirmé que ces incidents ont provoqué des troubles et
ont perturbé les activités du tribunal. Des paroles grossières
portant atteinte à la dignité du juge d’instruction et au
pouvoir judiciaire ont été également proférées lors de ces
incidents, a aussi précisé l’Amt.
L’agent relâché par la chambre
criminelle du même tribunal?
L’autre version des faits est celle apportée par le ministère
de l’Intérieur, qui avait affirmé, vendredi, dans un communiqué,
que les informations publiées dans les médias et les sites
électroniques relatives à l’incident du tribunal de Sousse «sont
infondées». Selon le ministère, l’agent de sécurité en question
s’est présenté, de son propre gré, devant le juge d’instruction
près le tribunal de première instance de Sousse. Après l’avoir
auditionné à propos des faits qui lui sont reprochés, le juge a
décidé de le placer en détention provisoire. La décision
judiciaire a été exécutée par les agents de sécurité du
tribunal. Le communiqué précise, en outre, que l’agent de
sécurité a été relâché le 2 avril après avoir comparu devant la
chambre criminelle relevant du même tribunal.
Au-delà de cette «guéguerre» des communiqués et quelle que
soient la réalité de l’incident survenu le 30 mars au tribunal
de première instance de Sousse et l’authenticité des faits
rapportés par l’une ou l’autre source, l’épisode n’est pas
anodin et a de quoi susciter des interrogations lourdes de
conséquences.
Le fait que deux institutions aussi importantes que la justice
et la police en soient venues à se démentir l’une l’autre est de
nature à laisser planer des inquiétudes quant à l’avenir de leur
coopération, si nécessaire à la préservation de l’ordre dans le
pays.
Personne n’est au-dessus des lois
Dans la situation qui prévaut actuellement en Tunisie, la
justice et la police, l’une autant que l’autre, sont les garants
de la sécurité publique, tant il est vrai qu’il ne saurait y
avoir de l’ordre si la justice n’est pas garantie et si le corps
censé y veiller se trouve, d’une manière ou d’une autre, menacé
ou simplement empêché de faire son travail normalement. Les 23
ans de règne de Ben Ali n’ont-ils pas apporté suffisamment de
preuves de l’inanité d’un système fondé sur le déséquilibre des
pouvoirs, la confusion des prérogatives et la primauté de la
force brutale sur la loi?
Dans la Tunisie démocratique de demain, que les Tunisiens ont
payée du sang de leurs martyrs et qu’ils portent aujourd’hui de
tous leurs vœux, personne ne saurait être au-dessus des lois,
fut-il juge ou… policier.
La loi devant s’imposer à tous, et surtout, à tous ceux qui
l’outrepassent, l’impunité ne devrait plus avoir de place dans
notre pays. Aussi, la vérité doit-elle être faite rapidement sur
l’épisode objet de cet article, afin que les auteurs d’actes
répréhensibles soient rappelés à l’ordre et que la confiance
revienne entre les deux corps concernés: la justice et la
police.
Une commission indépendante pourrait être mise sur pied, à cet
effet, par le Premier ministre pour écouter tous les
protagonistes, dissiper le malentendu, si malentendu il y a, ou
décider des sanctions ou rappels à l’ordre à l’encontre des
personnes fautives. Sinon, ce qui n’est peut-être aujourd’hui
qu’un malentendu pourrait dégénérer en suspicions et inimitiés
partagées.
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Publié le 18 avril 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
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