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Opinion
Tunisie. Peut-on
encore être laïque en Tunisie ?
Ridha Kéfi
Vendredi 18 mars 2011
Les violences
subies par les jeunes manifestants pour la défense de la
laïcité, samedi 12 mars à Sousse, continuent de susciter des
inquiétudes et des interrogations au sein de la classe
intellectuelle et politique.
D’abord, les faits: en ce samedi 12 mars, à Sousse, des
jeunes organisent une marche pacifique pour la défense de la
laïcité et la séparation du religieux et du politique. Ils
prennent le soin d’informer les autorités de la date, de l’heure
et de l’itinéraire de la manifestation. Seulement voilà, dès le
début de la manifestation, un autre groupe s’est mis à les
suivre de près en hurlant des slogans hostiles à caractère
religieux extrémiste, jetant contre eux l’anathème et les
traitant d’infidèles, entre autres amabilités.
Les choses ne se sont malheureusement pas arrêtées là. Puisqu’à
la fin de la manifestation, jusque là (moyennement) pacifique,
et lorsque les jeunes manifestants ont commencé à se disperser,
les contre-manifestants ont commencé à les agresser
physiquement: coups de poing, brutalités, destruction
d’appareils photo, etc.
L’absence de réaction de la police
«Devant cette agression barbare, les manifestants se sont
déplacés devant un poste de police proche et ont appelé au
secours les agents qui s’y trouvaient, mais ceux-ci n’ont pas
bronché, sous prétexte qu’ils n’avaient pas d’instructions pour
intervenir», rapporte le parti Ettajdid dans un communiqué signé
par Jounaïdi Abdeljaoued. Il ajoute: «Le calme n’est
revenu partiellement qu’après l’intervention d’éléments de
l’armée qui se sont interposés entre les deux groupes.»
Conscient de la gravité de ces faits, le mouvement Ettajdid a
tenu à les condamner fermement, car ils «visent à interdire le
droit d’expression et de manifestation, en utilisant tous les
moyens: anathème, agression verbale et physique, etc.»
Ce mouvement de centre-gauche a aussi lancé un appel pressant à
toutes les composantes de la société civile et politique pour
«contrecarrer, de la manière la plus ferme, ce genre de
pratiques qui consiste à mettre à profit les acquis
démocratiques pour tente de remettre en cause les libertés et de
dévoyer la révolution.»
Ettajdid exprime, par ailleurs, «sa grande surprise devant
l’absence des forces de sécurité malgré le préavis qui a été
donné, et leurs refus d’intervenir malgré la violence dont les
jeunes ont été victimes» et «exige du ministère de l’Intérieur
l’ouverture d’une enquête afin de poursuivre les agresseurs et
d’identifier les lacunes dans le dispositif de sécurité afin
d’éviter que de tels dérapages ne se reproduisent.»
Et la responsabilité des islamistes
dans tout ça?
Cet épisode suscite plusieurs remarques de notre part.
D’abord, les laïques constituent peut-être en Tunisie une
«petite» minorité, quoiqu’il faille attendre des consultations
sérieuses pour pouvoir l’affirmer avec force. Mais serait-ce une
raison pour les condamner au silence? La démocratie, que tous
les Tunisiens appellent aujourd’hui de leurs vœux, est censée
défendre les droits des minorités à l’expression politique, et
non imposer la dictature des majorités autoproclamées ou des
forces populistes.
La seconde remarque concerne l’identité politique des
contre-manifestants. Qui sont-ils? Quels mouvement, reconnu ou
pas, représentent-ils? Quels intérêts ou agendas servent-ils?
Leurs slogans traduisent leur appartenance à la mouvance
islamiste. Si c’est le cas, les islamistes – qu’ils
appartiennent à Ennahdha ou aux autres partis de même tendance
récemment constitués – devraient réagir pour condamner les
pratiques anti-démocratiques de ces contre-manifestants de façon
nette et tranchée, de manière à dissiper tout soupçon
d’ambiguïté quand à leur disposition à accepter les règles
élémentaires de la démocratie et du pluralisme politique.
On pourrait admettre que les contre-manifestants sont des
éléments islamistes indépendants de toute formation reconnue et
qu’ils agissent spontanément et en électrons libres – ce qui est
discutable, tant ils semblaient organisés et agir selon des
instructions précises –, mais, là aussi, la responsabilité des
partis islamistes reste entière. N’est-ce pas à eux qu’incombe,
en définitive, l’encadrement de cette nébuleuse qui ne saurait
rester indéfiniment nébuleuse au risque de menacer la légitimité
populaire des mouvements islamistes légaux et d’échapper
totalement à leur contrôle?
Reste une troisième hypothèse: les contre-manifestants de Sousse
– que l’on risque de retrouver bientôt dans d’autres villes –
sont des contre-révolutionnaires déguisés en islamistes. Dans ce
cas, une enquête de police doit être menée pour démasquer les
meneurs et les empêcher de réaliser leurs desseins
déstabilisateurs.
Dans tous les cas, les Tunisiens devraient rester vigilants et,
surtout, solidaires. Car pour être dignes de la révolution à
laquelle à laquelle plus de 200 de leurs enfants ont sacrifié
leur vie, ils devraient veiller à protéger la jeune et fragile
transition démocratique actuelle pour la faire aboutir, et non
la torpiller par des agissements intolérants et extrémistes, du
type enregistré récemment à Sousse.
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Publié le 19 mars 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
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