Tunisie
Voilà pourquoi
Jebali va-t-il réussir
Ridha Kéfi
Mercredi 13 février
2013
Hamadi Jebali n'a
peut-être pas démissionné d'Ennahdha
mais sa relation avec son parti semble
être à son plus bas niveau. Ce n'est pas
forcément une mauvaise nouvelle pour lui
comme pour les Tunisiens, qui voient
désormais en lui un véritable chef
d'Etat.
Par
Ridha Kéfi
Depuis l'annonce de
l'assassinat du leader de gauche Chokri
Belaïd, mercredi 6 février, le chef du
gouvernement et secrétaire général d'Ennahdha
est complètement transformé. Visiblement
bouleversé par cet acte ignoble, sa
première réaction a été de couper les
ponts avec la «troïka», la coalition au
pouvoir et, à sa tête, le parti Ennahdha,
en annonçant, le soir même de
l'assassinat, sans consulter sa famille
politique, son initiative pour
constituer un gouvernement de
compétences nationales libres de toute
appartenance partisane.
Il a préféré
sa patrie à son parti
Malgré l'opposition d'Ennahdha et du
Congrès pour la république (CpR) à son
initiative, Hamadi Jebali est resté
droit dans ses bottes. «J'ai choisi
ma patrie », écrira-t-il sur sa
page Facebook, dans un message codé
adressé visiblement à certains
dirigeants d'Ennahdha. Message qu'il
faut lire ainsi: «J'ai préféré ma
patrie à mon parti».
Alors qu'à Ennahdha, les déclarations
allaient dans tous les sens, traduisant
une grande fébrilité voire un début de
panique, Hamadi Jebali a donné plusieurs
interviews à des médias étrangers (Al-Jazira,
Al-Arabia, France 24, ''Le Monde''...)
répétant ce qu'Ennahdha n'aime pas
entendre, à savoir qu'il ira jusqu'au
bout de son initiative. S'il ne parvient
pas à avoir le consensus le plus large
possible autour de son prochain
gouvernement de technocrates
indépendants, il démissionnerait et
prendrait une retraite bien méritée,
avertira-t-il aussi, mettant ses
camarades d'Ennahdha au pied du mur.
Hamadi
Jebali a longtemps cru à la coalition.
Désormais, ce n'est plus la panacée pour
les problèmes de la Tunisie.
C'est ce qu'il répètera, d'ailleurs,
aux dirigeants des deux principales
organisations nationales : Houcine
Abassi (Ugtt, centrale ouvrière) et
Wided Bouchamaoui (Utica, patronat), qui
annoncent leur soutien à son initiative,
et aux responsables et ambassadeurs des
pays occidentaux (France, Etats-Unis,
Union européenne, Italie), maghrébins
(Algérie, Maroc, Libye), arabes (Egypte,
Arabie saoudite) et musulmans (Turquie),
autant dire les principaux pays
partenaires de la Tunisie, qu'il a reçus
ces derniers jours, pour les informer de
sa décision, mais aussi pour les prendre
à témoin, et empêcher ainsi à tout
retour en arrière.
Le chef du gouvernement a également
envoyé, lundi, une note écrite aux
dirigeants des partis, notamment ceux de
l'opposition, pour leur expliciter sa
démarche et les appeler à soutenir son
initiative pour sortir le pays de la
crise et les inviter à y contribuer par
leurs réflexions et propositions.
Le coup de
poker de Jebali
L'homme, qui semble vouloir renvoyer
les faucons de son propre parti à leurs
chimères califales, n'a donc pas fait
dans la dentelle. Ses camarades et ses
alliés, au sein de la «troïka», n'ont
finalement pas le choix: c'est à prendre
ou à laisser!
Il s'est d'ailleurs gardé de
consulter le dirigeant d'Ennahdha Rached
Ghannouchi, âme damnée du parti
islamiste, et les deux «tartours»
(guignols) de la coalition au pouvoir :
le président provisoire de la république
Moncef Marzouki et le président de
l'Assemblée nationale constituante (Anc)
Mustapha Ben Jaâfar. Il faut dire que
cette «troïka» s'est
marginalisée d'elle-même, n'ayant pas su
prendre de la hauteur ni faire la
moindre proposition pour sortir le pays
de la crise.
On peut maintenant se demander si le
coup de poker de Jebali a des chances de
réussir. Paradoxalement, le chef du
gouvernement, dans son apparente
solitude, semble être aujourd'hui
l'homme le plus puissant du pays, celui
qui détient toutes les cartes en main et
qui peut, sans forcément démissionner de
son parti, conduire ce qui reste de la
phase de transition avec suffisamment de
liberté manœuvre (vis-à-vis surtout de
son propre parti) et d'assurance, fort
de l'appui du peuple enfin libéré du
spectre d'une guerre civile annoncée, de
l'opposition, moyennant des garanties de
neutralité des appareils de l'Etat au
cours de la prochaine étape, et même
peut-être des sien, ou des sages parmi
eux, qui n'ont d'autres choix que de
marcher dans son sillage afin de faire
oublier leurs échecs passés et
capitaliser sur ses éventuels succès à
venir.
Alors, bon vent monsieur Jebali!
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Publié le 13 février 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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