on Comment is Free, The Guardian, 20 avril 2009
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/cifamerica/2009/apr/20/gaza-israel-war-crimes
Certes, c’est une
question sensible. Mais l’action visant à établir les
responsabilités [dans ce qui s’est passé] à Gaza requiert une
participation juive sans réserve.
En se retirant de Gaza, au mois de janvier,
c’est non moins de 1 400 tués palestiniens, 4 000 immeubles
détruits, des universités et des bâtiments gouvernementaux
réduits en mille-feuilles et des dizaines de milliers de sans
abri que l’armée israélienne a laissés derrière elle. La presse,
tant israélienne que mondiale, a fait état d’atrocités commises
par « Tsahal », notamment l’utilisation indiscriminée de
bombes incendiaires au phosphore blanc dans des zones
urbaines densément peuplées, des prises d’assaut d’installations
humanitaires de l’Onu, le bombardement de bâtiments d’habitation
et des tirs de sang-froid contre des civils non armés.
Des associations israéliennes de défense
des droits humains ont appelé à
des investigations sur d’éventuels crimes de guerre
perpétrés par l’armée israélienne. Depuis quelques semaines, des
rapports remontés du terrain, étayés par les dépositions de
témoins directs des faits sont disponibles. Ils tracent un
tableau encore plus accablant. Les attaques contre les
installations de l’Onu ont amené l’Autorité (autonome)
palestinienne à demander une enquête du Conseil de sécurité. Des
responsables de l’Onu ont annoncé qu’ils sont en train
d’examiner si cette instance internationale est compétente en la
matière, mais il est vraisemblable que les Etats-Unis opposeront
leur veto à une telle action de justice.
Le Conseil des droits de l’homme de l’Onu
vient de nommer un juriste éminent, Richard Goldstone, à la
tête d’une enquête sur les actions tant de l’armée israélienne
que des formations armées palestiniennes à Gaza. Ce Conseil a
fait un bon choix en nommant M. Goldstone, qui a été procureur
en chef des cours pénales internationales pour l’ex-Yougoslavie
et le Rwanda : il a des états de service impeccables dans son
domaine de spécialité, et on peut s’attendre à ce qu’il rende un
rapport juste, équilibré et complet.
La semaine dernière, le juge Balthazar
Garzon a annoncé qu’une enquête était diligentée à l’encontre de
six responsables de l’ère Bush, soupçonnés d’avoir
mis au point un projet justifiant la torture de présumés
terroristes. Avec ce nouveau développement, il devenait clair
qu’il existe une nouvelle méthode permettant de faire rendre
compte à des violateurs du droit de leurs possibles crimes, et
je suis certain que des militants sont d’ores et déjà en train
de préparer des dossiers afin de les soumettre à la justice.
Quelques semaines auparavant, un groupe international de
personnes privées a annoncé la constitution du Tribunal
Russell pour la Palestine. Formé sur le modèle du Tribunal
Russell chargé d’examiner les crimes de guerre (américains) au
Vietnam, baptisé du nom du philosophe pacifiste Bertrand
Russell, ce tribunal vise à faire en sorte que le droit
international serve de force permettant de juger, afin de le
résoudre, le conflit israélo-palestinien. Ce tribunal entendra
des plaidoiries préparées (sur la base du volontariat) par des
juristes experts du monde entier. Un jury de personnalités
honorables entendra les dépositions et les témoignages des deux
camps, après quoi il annoncera sa sentence, au monde entier.
Une considération importante devrait
normalement encourager Israël à participer [à ces enquêtes]. En
effet, si ce pays considère réellement que les attaques
palestiniennes par roquettes sont constitutives de crimes de
guerres, il doit le faire savoir de manière vigoureuse. Le
tribunal a déjà pris la peine de faire observer que c’est là un
des éléments du mandat qu’il a reçu : « Les moyens de résistance
auxquels les Palestiniens ont eu recours violent-ils le droit
international ? » Cependant, j’imagine qu’Israël ne sera pas
partie prenante.
Alors que l’assaut sauvage contre le
Hezbollah, au Liban durant la guerre de l’été 2006, avait
suscité un tollé, on peut se demander si les massacres perpétrés
à Gaza ont effectivement marqué le franchissement d’un palier
moral. Une action visant à mettre un terme à l’impunité
israélienne peut-elle avoir un impact réel, en termes tant
d’influence sur l’opinion publique mondiale que d’impact sur le
comportement israélien ? Israël est devenu expert dans l’art de
littéralement mettre ses opposants à poil ; il doit ce genre de
talent à son occupation, depuis plus de quarante ans, de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza.
La question posée est celle-ci : que peut
faire la communauté des partisans de la paix, qui soit
différent, cette-fois-ci, à supposer qu’elle soit en mesure de
faire quelque chose ? A chaque fois que le monde est le témoin
d’une nouvelle tragédie humanitaire résultant d’une offensive
militaire israélienne, la protestation est plus forte. Ainsi,
l’Onu n’avait jamais auparavant retenu la possibilité
d’investiguer sur
des
crimes de guerre israéliens. L’Union européenne a
fait savoir, quand bien même fusse de manière informelle,
qu’elle a l’intention de
geler un renforcement planifié de ses relations avec Israël
et d’ajourner sans délai, en conséquence, une visite officielle
du Premier ministre israélien. Des universités américaines, tel
le Hampshire College et des églises, telle l’Eglise
presbytérienne, envisagent de plus en plus sérieusement de
retirer leurs investissements en Israël. Gaza a représenté le
franchissement d’une ligne rouge. Désormais, de nouvelles
méthodes de protestation et de nouveaux moyens permettant
d’obtenir une reddition de comptes doivent être imaginés.
Des horreurs telles que celle de la guerre
de Gaza apportent par ailleurs un nouveau souffle à des
mouvements tels que l’initiative
Boycott,
Désinvestissements, Sanctions (BDS). Récemment, Naomi Klein
et le rabbin Arthur Waskow ont eu un débat très vif sur cette
question du BDS, au cours de l’émission télévisée In These
Times. La guerre de Gaza n’a fait que renforcer la conviction de
Naomi Klein. Récemment, le
Rabbin Brant Rosen a écrit des mots que beaucoup des membres
de la communauté juive américaine trouveront sans doute
hérétiques, à savoir que la campagne BDS peut être l’expression
« d’un peuple particulièrement affaibli, dépossédé et privé de
tout pouvoir. »
Aucun doute n’est possible : des horreurs
telles celles de Gaza servent de brise-glace dans la mentalité
des juifs de la diaspora. Des idées qui, jusqu’ici, auraient
paru taboues ou « anti-israéliennes » deviennent soudainement
légitimes. Tandis qu’Israël glisse toujours plus loin vers
l’extrême-droite, les juifs américains sont sommés de répondre
moralement. Dans ce contexte, l’interdit devient envisageable.
Des boycotts, des désinvestissements, des sanctions et des
investigations sur des crimes de guerre semblent désormais des
outils avec lesquels il est possible de tenter de tirer Israël
de sa perdition.
Aucune association pacifiste juive
américaine de quelque importance n’a appelé à des enquêtes sur
les crimes de guerre perpétrés à Gaza. C’est un sujet
ultrasensible, chez les juifs de la diaspora. Mais si les
organisations israéliennes de défense des droits humains sont
capables de lancer un appel allant dans ce sens, il n’y a
absolument aucune raison que des Américains aient peur de le
faire. Le mouvement pour la reddition des comptes sur les
horreurs de Gaza requiert une participation juive pleine et
entière.
Ma motivation à écrire ceci n’est ni de venger la morts de
Palestiniens innocents, ni purement la justice. C’est plutôt de
sortir Israël de sa très mauvaise passe. Comme le disait un des
slogans de l’armée israélienne, durant la guerre de Gaza :
« baal habayit hishtageya »
[« Le patron est devenu fou » (comprendre : « On va tout
péter », ndt], la politique israélienne a versé dans la folie.
Israël n’a atteint aucun de ses objectifs : ni il n’a pacifié
Gaza, ni il n’a écrasé le Hamas. N’est-ce pas une définition de
la folie, que de réitérer un comportement donné même après qu’il
eût échoué, avec la conviction qu’il réussira, la prochaine
fois ? Quand vous voyez quelqu’un qui vous est cher, ou un
membre de votre famille s’enfoncer dans l’autodestruction, vous
vous précipitez pour l’aider : mon but, c’est de détourner
Israël de son trajet vers la folie totale.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier