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Réseau Voltaire
MM. Sarkozy
et Strauss-Kahn affichent leurs allégeances
Cédric Housez* En
cette période de course aux soutiens électoraux, les postulants
à l’élection présidentielle française donnent des gages à
leurs alliés du moment. Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn
ont choisi de donner des entretiens à la revue néoconservatrice Le
Meilleur des mondes. Le premier y souligne son amitié
personnelle avec les hommes en place à Washington et Tel-Aviv, le
second y affirme son alignement sur la politique des États-Unis
et d’Israël. En
France, le premier tour de l’élection présidentielle n’aura
lieu que le 22 avril 2007, néanmoins la pré-campagne est déjà
ouverte. Ce démarrage précoce est probablement dû à la
primaire interne au sein du Parti socialiste et aux discussions
sur la procédure d’investiture au sein du parti au pouvoir,
l’UMP. Si les candidats potentiels cherchent à séduire les électeurs,
la réciproque est également vraie. Les groupes d’intérêts ou
des courants de pensées trans-partisans sollicitent déjà les
candidats potentiels.
Dans ce contexte, les contacts évoluent entre les représentants
français du néoconservatisme états-unien et les candidats à la
candidature. S’il continuent à apprécier Nicolas Sarkozy à
droite, ils semblent s’écarter de Ségolène Royal à gauche et
lui préférer Dominique Strauss-Kahn. Un changement qui se
manifeste par l’intérêt soudain de la presse atlantiste pour
l’ancien ministre des Finances.
Un signal fort est donné par la
livraison d’automne de la revue trimestrielle Le
Meilleur des mondes [1],
créée en lien avec la Foundation for the Defense of Democracies [2]
pour servir de porte-voix aux néoconservateurs en France.
Dans son éditorial, la revue affirme qu’elle souhaite orienter
le débat de la prochaine élection présidentielle car :
« Nous voici de plain-pied dans le XXIème
siècle, et les années 2007-2012 s’annoncent comme des années
sombres, des années de tempêtes, des années de malheur, des années
de courage (…) Souhaitons que cette campagne présidentielle
permette enfin le débat qui a tant manqué en 2002 et dont le
pays a lourdement payé les conséquences. ». La revue
prend acte du fait que c’est Nicolas Sarkozy et Ségolène
Royal, et non Dominique Strauss-Kahn, qui caracolent en tête des
sondages mais concernant ce duel annoncé, Le
Meilleur des mondes rappelle que « l’expérience
des compétitions présidentielles précédentes enseigne à
chacun la plus grande prudence », avant de consacrer pas
moins de 12 pages d’entretien à N. Sarkozy et autant à D.
Strauss-Kahn. Au total, 24 pages d’interviews complaisantes dans
lesquels les deux candidats peuvent garantir à quel point ils
partagent les analyses et la grille de lecture des néo-conservateurs.
Il est difficile de comparer
points par points les entretiens donnés par les deux hommes. En
effet, MM. Sarkozy et Strauss-Kahn n’ont pas été confrontés
aux même questions, ni aux même intervieweurs.
Nicolas Sarkozy répond à Pascal
Bruckner, André Glucksman, Michaël Prazan et Yasmina Reza et
l’entretien porte surtout sur sa vision de la place de la France
dans le monde, sur les alliances à mettre en place, et sur
l’avenir de l’Union européenne. En outre, (présence d’André
Glucksman oblige), il lui est demandé de condamner énergiquement
la politique russe. Dominique Strauss-Kahn est interviewé par Elié
Cohen, Myriam Encaoua, Gérard Grunberg, Michel Laval et Michel
Taubman. Il parle longuement du Liban et de l’Iran (liant ces
deux questions), de l’Union européenne, de sa vision de l’économie
française et du programme socialiste en la matière.
Par ailleurs, il faut noter que
les deux hommes n’occupent pas le même type de responsabilité
et disposent donc d’une marge de manœuvre différente. N.
Sarkozy est ministre en exercice et, même s’il prend souvent
des libertés avec la discipline gouvernementale, il ne peut aller
trop loin. Par ailleurs, il est président de l’UMP, parti dont
la frange gaulliste ne partage pas son atlantisme. M. Sarkozy
ne peut donc pas aller aussi loin que M. Strauss-Kahn dans
ses déclarations et souvent il élude certaines questions ou ne répond
que brièvement, se contenant d’évoquer les liens qui
l’unissent personnellement aux États-Unis et à Israël en
guise de positionnement plus précis. À plusieurs moments, le
ministre de l’Intérieur vante le lien franco-états-unien en
reprenant les arguments les plus fréquents de la doxa
atlantiste : « je suis partisan
d’une France amie des États-Unis, et je vais m’expliquer sur
ce point : les États-Unis sont un des rares pays au monde
avec lequel nous n’avons jamais fait la guerre. Il y a eu la
Pologne, mais il ne doit pas y en avoir beaucoup d’autres. Les
Américains sont venus nous aider à deux reprises, et nous les
avions nous-mêmes aidés, il y a plus longtemps. Nous partageons
les mêmes valeurs, nous sommes riverains du même océan, ils
sont la première puissance économique, militaire et monétaire.
Nos enfants rêvent de la musique américaine et des films américains.
Et quand on leur demande d’aller faire un séjour linguistique,
ils préfèrent aller à New York qu’à Sheffield. Est-ce que ça
veut dire que l’on doit aligner nos positions sur celles des Américains ?
Non. On peut parfaitement avoir des désaccords, mais on doit se
souvenir, dans l’expression de ses désaccords, que nous sommes
amis depuis longtemps et pour longtemps. Que la France ait une
position autonome vis-à-vis des États-Unis, tant mieux, c’est
souvent nécessaire ! Mais il n’y a pas d’avenir dans
l’opposition entre eux et nous. J’ajoute, pour être très
clair, que le gouvernement américain peut ne pas nous plaire,
mais je demande la même indulgence envers ce gouvernement que
celle que nous professons envers un certain nombre de
gouvernements d’autres pays. Je pense notamment à la Chine et
à la Russie, avec qui les désaccords sont plus importants ».
Cette conclusion vise à égratigner les choix stratégiques du président
Chirac. Pour M. Sarkozy, la France devrait se concentrer sur
son partenarait avec l’Allemagne et se rapprocher du
Royaume-Uni. Elle devrait abandonner le mirage de l’Axe
Paris-Berlin-Moscou-Pékin.
Comme il se doit, M. Sarkozy
célèbre les « valeurs communes » franco-états-uniennes.
Cependant, ce slogan se suffisant à lui-même, il n’explicite
pas ce que sont ces valeurs : violer le droit international
en envahissant l’Irak et en reconnaissant les annexions israéliennes ?
Bafouer la liberté individuelle en enlevant des suspects en
Europe et en multipliant les prisons secrètes ? Maltraiter
les minorités en refusant de porter secours aux noirs de la
Nouvelle-Orléans et tirant à vue sur les immigrés clandestins
hispanos ? Mépriser la dignité humaine en torturant à
Guantanamo et en pratiquant la peine de mort ? Etc…
Par ailleurs, M. Sarkozy
veut croire que l’alliance avec les États-Unis n’est bloquée
que par les dirigeants actuels mais rencontre une vraie
sympathie populaire : « Il y a,
parfois, un décalage entre ce que pense une partie de nos élites
et ce que ressent le peuple français. On l’a bien vu lors des
anniversaires commémoratifs du débarquement, qui ont été un
succès populaire considérable. Et on le voit bien chaque jour
dans l’attachement des Français à un certain mode de vie américain,
aux films américains, à la littérature américaine, à la
musique américaine ». De même, M. Sarkozy
rappelle ses liens avec Israël : « Mon
premier voyage comme président de l’UMP était en Israël
pour rencontrer Sharon », mais ne va pas beaucoup plus
loin. Sur les questions liées au Proche-Orient, il se contente
de reprendre les poncifs sur le « nécessaire » désarmement
du Hezbollah, le présentant comme un jouet de « puissances
extérieures ». Il réclame également un « soutien »
de la France aux États-Unis dans le dossier iranien, mais ne développe
pas cette question et parle d’un indispensable combat contre
« les régimes despotiques » qui soutiennent le
terrorisme, sans citer lesquels.
Bref, l’allusion et
l’affirmation des liens personnels entre lui et les dirigeants
américanistes sont de rigueur et suffisent à garantir son allégeance.
En comparaison, Dominique
Strauss-Kahn paraît adhérer nettement plus aux analyses et aux
intérêts états-uniens et israéliens que son concurrent.
L’ancien ministre des Finances se livre ainsi à une attaque
en règle de l’Iran en se fondant sur la rhétorique « antitotalitaire »
en vogue dans les milieux américanistes [3] :
« La politique qui est aujourd’hui
conduite en Iran sous la houlette d’Ahmadinejad comporte de
nombreuses expressions du totalitarisme qui, en tant que telles,
doivent être combattues ; À ce propos, c’est pour moi
une grave erreur d’avoir prétendu, comme l’ont fait Jacques
Chirac et son ministre des Affaires étrangères, Philippe
Douste-Blazy, que l’Iran jouait « un rôle stabilisateur »
dans la région. Cela entraine une confusion sur la nature réelle
de ce qu’est le régime iranien actuel. Cela revient à
envoyer un message erroné à un pays qui use largement de sa
capacité de nuisance – on le voit au Liban via le Hezbollah,
en Irak ou avec le chantage nucléaire qu’il cherche à
exercer. » . Et il ajoute : « Cela
ne me gêne pas de considérer le régime iranien, ou d’autres
régimes politiques du Moyen-Orient, comme des totalitarismes »,
sans préciser quels sont les autres « régimes
totalitaires » que compte le Moyen-Orient. Avant d’asséner
froidement : « On mesure que les Américains
se sont trompés de cible : la menace ne venait pas de l’Irak
mais de son voisin perse ». M. Strauss-Kahn
approuverait donc une action militaire contre l’Iran, mais
n’indique pas s’il souhaiterait ou non que la France y
participe.
Le candidat à l’investiture
socialiste se livre également à une lecture aussi peu claire
que biaisée de la situation au Proche-Orient et de
l’agression d’Israël contre le Liban cet été :
« Le Hezbollah n’est pas seulement une
organisation terroriste (…) mais c’est aussi une
organisation terroriste dont on attend le désarmement par le
Liban (…) Si le Hezbollah est une
composante du gouvernement libanais, le conflit auquel nous
venons d’assister, et auquel nous pouvons encore assister
demain, devient alors un conflit traditionnel entre deux États.
Dans ce cas, il n’y a plus de fondements aux réticences que
l’on a pu avoir par rapport aux réactions israéliennes. Nous
avions un agresseur qui venait du Nord (le Liban), et qui a illégalement
agressé un pays (Israël) se trouvant au sud de sa frontière.
Si cet agresseur constitue une partie de l’État libanais,
c’est alors le Liban qui attaque Israël. Je ne crois évidemment
pas que l’on puisse retenir cette interprétation. Il s’agit
donc bien d’une organisation terroriste et il faut que les
Libanais désarment le Hezbollah ». Stricto sensu, si
M. Strauss-Kahn affirme que les Libanais ont illégalement
attaqué Israël, c’est qu’il considère que l’État juif
est en paix avec le Liban. Cela implique que, comme M. Bush,
il admet l’annexion des fermes de Chebaa par Israël et la détention
de milliers de prisonniers de guerre libanais.
M. Strauss-Kahn affiche également
son souhait de se rapprocher des États-Unis et de se détacher
des vieux principes de la diplomatie française tel que la
politique arabe de la France : « La
fameuse politique arabe de la France. C’est une supercherie
que le Quai d’Orsay réussit à vendre depuis des décennies
à l’ensemble de la classe politique ! Elle nous permet
de croire que nous sommes ainsi à l’abris de toute menace
terroriste (…) cela me paraît tout à fait absurde ».
M. Strauss-Kahn reprend donc à son compte les propos de F.
Hollande cité par le Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF) en novembre 2005 [4].
En outre, il feint de croire que la politique française au
Proche-Orient, conçue par le président De Gaulle après la
guerre israélo-arabe de 1967, aurait pour but de protéger le
pays de la menace terroriste. Au passage, il sous-entend un lien
entre les États arabes et le terrorisme international.
Enfin, M. Strauss-Kahn
s’attaque au projet économique du Parti socialiste. Face aux
inquiétudes de l’économiste néo-libéral Elie Cohen, il
s’engage tacitement à ne pas respecter les engagements de son
parti : « Je n’endosse pas [les
erreurs de diagnostics économiques du projet socialiste] puisque
je [les] dénonce et j’ai passé mon temps
à [les] dénoncer publiquement !
(…) Mais, si mettre toutes [les
propositions économiques] bout à bout
constitue une ressource utile, cette « bibliothèque »
ne constitue pas à elle seule une politique. Il incombera donc
au président de la République de fixer ses priorités. Libre
à lui d’ajouter ou d’ajourner telle ou telle mesure selon
son appréciation de la situation économique française ».
À la lecture comparée de ces
deux entretiens, on a finalement l’impression que Dominique
Strauss-Kahn, bien que moins proche idéologiquement, répond
mieux aux attentes de la revue que son concurrent de droite. En
effet, dans son éditorial, Le Meilleur des
mondes pose les deux points importants aux yeux des néoconservateurs :
l’accélération de l’harmonisation de l’économie française
au modèle anglo-saxon (présenté sous la rhétorique de la nécessaire
« réforme » face à la mondialisation) et le développement
du bellicisme contre l’Iran présenté comme la pire menace
pour « l’Occident ». L’éditorial indique :
« Ben Laden (…) ce chef de bande,
capable de coups de main sanglants, a perdu avec la chute des
talibans le semblant d’appareil d’État qui pouvait servir
de base arrière à son djihad. C’est de Téhéran, d’où
elle est partie en 1979 que la révolution islamique semble
aujourd’hui prendre un nouveau et terrifiant envol. Elle
dispose désormais d’un leader : le président
Ahmadinejad, qui rappelle, par son arrogance et son mépris des
règles internationales, les pires dictateurs du XXème siècle.
Elle a son héros : Hassan Nasrallah. Sa passion : la
haine de l’Occident. Son objectif symbolique : la
destruction de l’État d’Israël. Son arme inédite :
les milliers de martyrs potentiels qui, du Maroc à l’Indonésie,
sont poussés au sacrifice par une haine aveuglante. Il lui
manque encore la bombe atomique. Pour combien de temps ? ».
On notera que pour la revue, l’Iran a remplacé parfaitement
la figure d’Al Qaïda dans le rôle de l’adversaire, à tel
point que Le Meilleur des mondes prétend désormais
que les fondamentalistes sunnites sont prêts à obéir à leur
ennemi millénaire, l’Iran chiite.
Notons que Dominique
Strauss-Kahn est président du Comité scentifique de la
Fondation Jean-Jaurès, une association directement soutenue par
la NED [5]
et qu’il est membre du Club de Bilderberg, un groupe de
cooptation des cercles de l’OTAN. Nicolas Sarkozy, quant à
lui, est beaucoup moins bien introduit dans les milieux pro-états-uniens.
Il a, au contraire, privilégié le développement de relations
personnelles avec les seuls leaders du courant néoconservateur
états-unien et avec ceux de la droite israélienne.
Cédric
Housez
Spécialiste français en communication
politique, rédacteur en chef de la rubrique « Tribunes et décryptages ».
[1]
Le Meilleur des mondes, Éditions Denoël,
Automne 2006.
[2]
« Les
trucages de la Foundation for the Defense of Democracies »,
Voltairenet, 2 février 2005.
[3]
« Choc
des civilisations : la vieille histoire du « nouveau
totalitarisme » », par Cédric Housez, Réseau
Voltaire, 19 septembre 2006.
[4]
« France :
le Parti socialiste s’engage à éliminer les diplomates
pro-arabes », par Ossama Lotfy, Réseau
Voltaire, 30 novembre 2005.
[5]
« La
NED, nébuleuse de l’ingérence démocratique », Voltairenet,
24 janvier 2004.
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