Opinion
Egypte/Les Frères Musulmans
égyptiens à l'épreuve de la révolution
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René
Naba
René Naba
Jeudi 13 octobre 2011
I- L’Arabie saoudite, le
foyer de la contre-révolution arabe (1)
A grand renfort de pétrodollars,
l’Arabie saoudite a lancé une vigoureuse
contre offensive politique pour
neutraliser les effets des soulèvements
populaires arabes, forgeant un glacis
diplomatique autour des pétromonarchies
par l’adjonction du Maroc et de la
Jordanie, injectant quantités de dollars
aux organisations islamistes arabes, en
Egypte pour inciter le courant salafiste
à se rendre maitre de la contestation
populaire, en Syrie pour déstabiliser le
régime de Bachar Al-Assad.
Sans crainte du ridicule, Ryad a même
été jusqu’à sommer la Syrie de procéder
à des réformes, sans se rendre à quelle
point cette exhortation était malvenue
en ce qu’elle plaçait la monarchie
saoudienne, qui passe pour être parmi
les plus autoritaires du monde, en porte
à faux avec les aspirations de son
propre peuple, dont elle bride ses plus
élémentaires libertés, particulièrement
la conduite des femmes au volant
Talonnée par la Turquie, qui se propose
de devenir le pôle de référence
régionale sur la base de sa diplomatie
néo ottomane, la dynastie wahhabite, le
foyer de l’intégrisme entend fédérer les
états arabes non pas contre Israël, dont
il est le principal bénéficiaire de ses
coups de butoir contre le noyau dur du
monde arabe, mais contre l’Iran chiite,
parvenue au rang de puissance du seuil
nucléaire en dépit d’un embargo de
trente ans, dont il projette d’en faire,
après l’Egypte nassérienne dans la
décennie 1960, et l’Irak baasiste dans
la décennie 1980, un nouvel abcès de
fixation en vue de détourner la foudre
qui risque de s’abattre sur la dynastie
wahhabite.
Mais la tentative d’OPA lancée par
les Salafistes égyptiens, le 29 juillet
dernier au Caire, lors du manifestation
menée sous des slogans wahhabites (2),
l’interview à la télévision israélienne
de l’ancien Vice président syrien, Abdel
Halim Khaddam, transfuge baasiste allié
des Frères Musulmans, la participation
de la branche syrienne des Frères
Musulmans à un colloque de l’opposition
syrienne à Paris, en juillet 2011, sous
l’égide de Bernard Henry Levy, le fer de
lance de la stratégie médiatique israélo
américaine, sur le théâtre européen,
ainsi que le rôle de ministre occulte
des affaires étrangères assumé par le
philosophe français auprès de la
rébellion libyenne jettent un voile de
suspicion sur les motivations profondes
de la confrérie.
Quarante eux ans de coopération
stratégique avec les Etats-Unis ont
débouché sur la judaïsation quasi
complète de Jérusalem, la colonisation
quasi-totale de la Palestine,
l’implosion de l’Irak et la perte du
pouvoir sunnite à Bagdad, le
démembrement du Soudan par l’aménagement
d’une enclave pro israélienne à
l’embouchure du Nil, l’implosion de la
Libye, sans pour autant que l’Arabie
saoudite ne remette en question sa
collaboration avec le Grand protecteur
d’Israël, la caution de tous ses passes
droits.
Le meilleur allié des pays
occidentaux contre le nationalisme arabe
et son partenaire essentiel dans
l’implosion de l’Union soviétique, via
la guerre d’Afghanistan, est,
paradoxalement, le plus stigmatisé en la
personne du petit fils d’un des
fondateurs Tareq Ramadan par les
intellectuels les plus pro américains de
la scène européenne comme en témoignent
les imprécations quasi quotidiennes de
Sainte Catherine Fourest contre «Frère
Tariq».
Des informations de presse ont fait
état, de manière répétitive, de contacts
entre les Frères Musulmans (FM) et
l’administration américaine visant à la
réhabilitation politique de la
l’organisation pan islamique,
particulièrement active désormais en
Egypte et en Libye, depuis le coup de
force de l’Otan, de même qu’en Syrie,
dans une moindre mesure en Tunisie, et
dont la branche palestinienne n’est
autre que le Hamas.
La levée de l’ostracisme qui frappait
jusqu’à présent la confrérie serait
destinée à s’assurer sa coopération dans
la stratégie américaine et compenser
quelque peu l’impéritie des Etats-Unis
dans la zone, du fait de son impuissance
face à Israël en ce qui concerne le gel
de la colonisation et la relance des
négociations israélo-palestiniennes.
La rencontre, en Mai 2011, au Caire
du ministre français des affaires
étrangères, M. Alain Juppé, avec des
représentants de la confrérie, de même
que l’intention prêtée aux Frères
Musulmans de se lancer dans la vie
politique égyptienne sur la base d’un
parti politique rénové, témoignent de
cette nouvelle orientation, dont le
terme ultime devrait être, selon le
schéma américain, la mise en parenthèse
de l’hostilité de l’organisation pan
islamique à l’Etat hébreu.
Retour sur une confrérie parmi les plus
anciennes formations politiques du Monde
arabe.
II- Les «Frères Musulmans»,
l’éternel face à face avec l’armée.
Si le Nil est l’artère vitale de
l’Egypte, ses deux piliers en sont
l’armée et les «Frères Musulmans» qu’une
lourde querelle de légitimité oppose
depuis un demi-siècle (3).
Fondée en 1928, la confrérie des
Frères Musulmans revendique un droit
d’antériorité dans la lutte pour
l’indépendance nationale. Dans la foulée
de l’effondrement de l’empire ottoman,
cette organisation panislamiste se
proposait comme objectif la renaissance
islamique et la lutte non-violente
contre l’influence occidentale.
Dans une zone ployant sous le joug
colonial, son idéologie exercera un fort
attrait sur les élites intellectuelles,
propageant rapidement le mouvement dans
les pays musulmans (Egypte et Soudan),
ou français, mais aussi en Afrique du
Nord (Algérie et Libye), et dans une
moindre mesure en Tunisie et au Maroc.
Louvoyant entre la Monarchie
égyptienne et le colonialisme
britannique, alternant entre
collaboration et opposition selon les
nécessités de sa lutte, l’organisation
sera frappée d’interdiction, à l’apogée
de sa puissance en 1948, alors qu’elle
revendiquait près d‘un million
d’adhérents, représentant une force
politique sur l’échiquier égyptien.
Son opposition fondamentale et
violente aux États laïcs arabes a
conduit à son interdiction, tout du
moins à la limitation de ses activités
dans de nombreux pays notamment en Syrie
et en Irak (dont elle combattra
l’idéologie laïque du Baas), ou encore
en Egypte.
En Egypte, précisément, l’auteur du
décret d’interdiction, Mahmoud Fahmi
Nokrashi Pacha sera assassiné le 28
décembre 1948, entraînant en
représailles, deux mois plus tard,
l’assassinat du fondateur du Mouvement
Hassan Al Banna (12 février 1949).
Sur fond de désastre militaire en
Palestine et du choc traumatique à
l’échelle arabe de la création d’Israël,
ce règlement de comptes entre le trône
égyptien et les Frères musulmans a sapé
les fondements de la Monarchie, en même
temps qu’il a jeté un discrédit sur la
confrérie. En effet, cette guéguerre
inter égyptienne sera perçue comme une
opération diversion, dérisoire au regard
du choc de la création d’une entité
occidentale à l’épicentre du monde
arabe: Israël. Pendant longtemps pèsera
sur les «Frères Musulmans» la suspicion
d’être un instrument de dérivation du
colonialisme anglais dans le conflit
central des Arabes, la Palestine, au
même titre d’ailleurs que le Parti
populaire Syrien (PPS) et le parti pan
syrien fondé par le libanais Antoun
Saadé.
Le chef du parti pan syrien, le
Libanais Antoun Saadé, auteur présumé
d’un coup de force au Liban, est passé
par les armes devant un peloton
d’exécution, le 8 juillet 1949, six mois
après son confrère égyptien. Son parti
est voué à la clandestinité tandis que
l’ordonnateur de la condamnation, le
premier ministre libanais Riad El Solh,
est assassiné à son tour, en 1951, lors
d’un déplacement à Amman, fief par
excellence du Royaume uni au Moyen
Orient, et le refuge des deux formations
de l’ère de l’Indépendance arabe, au
parcours identique, le laïc PPS et le
religieux Frères Musulmans.
L’armée égyptienne coiffe ainsi au
poteau la confrérie, et rafle la mise en
emportant la monarchie en même temps que
les rêves de pouvoir de l’organisation
panislamiste qui est dissoute en 1954.
Le coup d’état du «groupe des officiers
libres», le 26 juillet 1952, expédie le
Roi Farouk en exil et la confrérie dans
la clandestinité.
Erreur fatale. Depuis son nouveau
refuge royal, la confrérie mène le
combat contre Gamal Abdel Nasser, chef
charismatique des Arabes auréolé d’une
authentique légitimité populaire, cible
d’une offensive occidentale sans
précédent dans le Monde arabe.
Nasser avait les yeux rivés sur Tel
Aviv, les Frères Musulmans sur La
Mecque, la City et Wall Street.
L’officier nationaliste percevait Israël
comme la principale menace sur le Monde
arabe et privilégiait la solidarité pan
arabe alors que les Frères Musulmans
prônaient la solidarité religieuse comme
antidote à la laïcité, occultant le fait
israélien. La confrérie, qui avait mené
le combat contre le colonialisme
britannique en Egypte, se ralliait ainsi
aux pires ennemis de son pays: l’Arabie
saoudite (le vassal émérite de
l’Amérique), et la Jordanie (le gendarme
britannique au Moyen Orient).
Suivra . . . . RN
Références
1-
Pour une problématique de l’alliance
de l’Islam sunnite avec les
Etats-Unis d’Amérique depuis la fin
de la II me Guerre Mondiale, Cf à ce
propos « Les Révolutions arabes ou
la malédiction de Camp David» René
Naba ,Editions Golias-Mai 2011.
2- La tentative
d’OPA des salafistes égyptien sur le
mouvement contestataire égyptien 29
juillet 2011 à Tahrir, «le vendredi
de la réaction et du sectarisme vu
par Hossam El-Hamalawi
http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/08/06/29-juillet-2011-a-tahrir-le-vendredi-de-la-reaction-et-du-sectarisme-vu-par-hossam-el-hamalawi/
3- Sur les
perspectives post révolutionnaires
des relations Armée Frères
Mususlmans
Cf Analyse des racines de la
«révolution démocratique» en Egypte
par Omar El-Shafei
http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/07/22/analyse-des-racines-de-la-revolution-democratique-en-egypte-par-omar-el-shafei/
Ainsi que le cri d’alarme de 36
ONG le 24 août 2011 au Caire qui
dénoncent les «successeurs du régime
Moubarak et leurs assauts répétés
contre la société civile et la
liberté d’association».
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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