Opinion
La stratégie kurde: diviser pour
profiter
Ranj Alaaldin
Ranj
Alaaldin
Dimanche27 novembre
2011
(revue de presse -
guardian.co.uk – 14/10/11)
En favorisant une coalition ingérable,
rongée par la suspicion, le Kurdistan a
réussi à réaliser ses propres ambitions.
Affaiblir sans cesse Bagdad, maintenir
les divisions politiques– telle est la
stratégie des Kurdes en Irak, étayée par
un jeu subtil fait de manipulation et de
patience.
Les Arabes irakiens sont divisés et le
gouvernement de coalition à Bagdad ne
fonctionne pas. Les querelles sur des
questions de territoire, de ressources
naturelles et de partage du pouvoir, y
compris l’application de réformes
législatives cruciales, et les problèmes
de sécurité actuels restent des
obstacles sur la voie de la stabilité et
du progrès futurs.
Le Kurdistan, région stable, avance
alors qu’il est au centre des
contestations. Il a engrangé
suffisamment de votes lors des élections
législatives de mars 2010 pour se
propulser comme « faiseur de rois »
dans la mesure où ni Iyad Allaoui, ni le
premier ministre Nouri al-Maliki - en
tête des votes - n’arrivaient à former
une coalition indépendante des Kurdes.
L’Irak arabe :
un gouvernement fragile, ingérable
Après six mois sans direction politique
et au milieu d’attaques terroristes
incessantes, l’Irak arabe a finalement
obtenu son gouvernement, seulement
parce que le président du Kurdistan,
Massoud Barzani, ayant laissé tout le
monde dans l’expectative sur le choix du
candidat auquel iraient les voix des
Kurdes, a conclu un accord qui a permis
une coalition des principaux blocs
politiques irakiens, même si cet accord
n’a rien apporté.
Allaoui et Maliki n’ont pu s’accorder
sur le partage du pouvoir. Les
allocations de postes ministériels ont à
peine pu satisfaire les différents
segments de l’éventail politique
irakien, dont les politiciens arabes
sunnites qui avaient, tout comme Allaoui,
contesté les élections, mais avaient, en
raison de leur nouveau statut et de leur
prestige retrouvé, refusé de
répondre aux appels pour rejoindre
l’opposition et s’en retirer.
L’Irak arabe s’est ainsi vu octroyer un
gouvernement fragile et ingérable, les
Kurdes ayant facilité cet avènement afin
qu’un gouvernement d’unité nationale se
révélât en fait un gouvernement
d’individus mus par la suspicion. Les
divergences religieuses parcourent
toujours la politique. L’hostilité
existe entre le parti chiite Dawa
de Maliki et les politiciens puissants
qui composent le bloc Iraqiyah,
dominé par les Arabes sunnites, qui
demeure sur ses gardes face à l’emprise
du Dawa sur le pouvoir et les
liens des autres partis chiites avec
l’Iran.
Cela marche pour les Kurdes car Bagdad
demeure faible et incapable de
progresser. Ils on pu exploiter les
tensions pour mener à bien leurs
ambitions. Par exemple, quand Bagdad a
récemment décidé de revoir une version
antérieure de la loi sur le pétrole et
le gaz au détriment des Kurdes, le
gouvernement régional kurde a rappelé
les officiels kurdes à Bagdad et a
invité, à Erbil, l’éternel ennemi de
Maliki, Allaoui pour des pourparlers
urgents.
Cette réaction tendait à exercer des
pressions sur Maliki et son gouvernement
et les Kurdes sont sur le point de
gagner. Le nouveau texte de la loi a peu
de chances d’être approuvé et l’octroi
de licences qui était prévu pour janvier
2012 a été repoussé. Pareillement, alors
que Bagdad est déterminé à ce que les
Kurdes n’obtiennent jamais la ville de
Kirkouk, riche en pétrole, la question,
toujours en suspens, offre entre-temps
aux Kurdes des occasions incroyables de
marchandages sur d’autres objectifs,
notamment sur leur propre secteur
énergétique. Le Kurdistan s’est fait une
image de champion de l’industrie,
invitant les acteurs mondiaux du pétrole
et du gaz à la prochaine conférence à
Erbil. Pour les organisateurs de
l’événement - CWC (Creating
opportunities, developping knowledge)
- c’est la première du genre. Leurs
conférences précédentes étaient toutes
centrées sur l’Irak en tant que tel,
plus maintenant.
Déclaration d’indépendance
si
Kirkouk tombe dans
leur escarcelle
Et cela parce que la région attire les
principaux acteurs, comme le prouve
l’accord pétrolier conclu pour une
valeur de 2.1 milliards de dollars par
l’ancien chef de British Petroleum,
Tony Hayward. Près de 40 compagnies
étrangères de 17 pays se sont engagées à
investir dans le secteur pétrolier la
somme de 10 milliards de dollars.
Cependant la question se pose : le
Kurdistan a-t-il besoin de l’Irak ?
L’Irak contrôle les oléoducs permettant
l’exportation du pétrole plus
efficacement. Le transport du pétrole
par tankers est certes faisable, même
s’il reste peu efficient, mais à partir
d’un certain point, un oléoduc sera
nécessaire si le Kurdistan doit devenir
un exportateur fiable, capable de gérer
ses immenses réserves. Jusqu’à
présent, il est vrai, les ambitions
énergétiques du Kurdistan ont été
contrecarrées par le contrôle par Bagdad
des oléoducs et par sa politique
chaotique.
Mais Bagdad fournit aux Kurdes des
revenus additionnels pour améliorer les
services de base, tels que l’éducation,
l’infrastructure et l’équipement
militaire. S’ajoutent aux recettes et
revenus propres des Kurdes, qu’il est
impossible à Bagdad d’auditer et d’en
bénéficier, 17% du budget irakien d’une
valeur annuelle, au moins, égale à 10
milliards de dollars.
En définitive, il s’agit de garder un
œil sur tout ennemi en devenir, et
pour cela, garder un pied à Bagdad, être
à l’affût des développements en coulisse
et avoir un accès constant à l’élite
politique, fournissant des occasions
d’accentuer la régression.
Certes les Kurdes n’ont pas besoin de
faire partie de l’Irak et pourraient
déclarer leur indépendance demain. Il y
a peu de chances que la Turquie et les
autres voisins, comme l’Iran puissent
faire quoi que ce soit, étant donné les
milliards de dollars d’échanges
commerciaux avec le Kurdistan, leurs
problèmes intérieurs et la volatilité
générale de la région ainsi que
l’impossible d’envahir et d’occuper les
villes kurdes.
Mais les Kurdes ne déclareront pas leur
indépendance parce que ce serait un
nonsense que de sacrifier ce pactole
pour une déclaration unilatérale
d’indépendance qui les mettrait
« dans leur tort », les enfermerait
dans leurs frontières et justifierait
des réactions de Bagdad et des voisins
régionaux.
En revanche, ils veulent bien déclarer
leur indépendance dans un cadre régional
et durable, pourvu que ce
processus fasse tomber Kirkouk dans leur
escarcelle. En attendant, les Kurdes
continueront à opérer dans l’intérêt des
Kurdes et du Kurdistan, ce qui revient à
exploiter Bagdad car tout a un prix, un
prix que les Irakiens et l’Irak doivent
payer pour garder leur pays intact.
Traduction : Xavière Jardez
*
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2011/oct/14/kurdish-strategy-iraq-kurdistan
Ranj Alaaldin est
analyste politique et des risques du
Moyen-Orient. Il est analyste à la
Next Century Foundation et prépare
un doctorat sur les chiites en Irak à
London School of Economics et
Political Science. Il se rend
régulièrement au Moyen-Orient et a
conduit des missions de recherche sur le
terrain à travers la région.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 27 novembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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