Opinion
Ce que les
Tunisiens doivent à Mohamed Bouazizi
Rachid Barnat
Photo:
Kapitalis
Dimanche 18 décembre
2011
Un an après le geste désespéré de
l’enfant de Sidi Bouzid, qui a déclenché
les révoltes du Printemps arabe,
beaucoup de choses se sont passées en
Tunisie, et dans le monde. Un bilan non
exhaustif…
Par
Rachid Barnat
«Un homme simple, comme il y en a des
millions, qui, à force d’être écrasé,
humilié, nié dans sa vie, a fini par
devenir l’étincelle qui embrase le
monde», écrit Tahar Ben Jelloun dans son
ouvrage ‘‘Par le feu’’.
Cela s’est passé il y a un an : le 17
décembre 2010, s’immolait Mohamed
Bouazizi. Le geste désespéré du vendeur
ambulant de fruits et légumes a
déclenché une révolte sans précédent en
Tunisie, qui s’est terminée, le 14
janvier 2011, par la fuite du dictateur
Ben Ali à qui la foule demandait de
«dégager» ! Depuis, la révolution a fait
son chemin.
La mère et les soeurs de Mohamed
Bouazizi avec des posters du défunt
Un geste aux
conséquences inespérées
Un an après, on peut dire que le
bilan est globalement positif comparé à
ce que d’autres peuples inspirés par la
révolution tunisienne, ont fait ou sont
en train de faire pour se débarrasser
eux aussi de leur tyran.
- Moins d’un mois après le début de
la révolution, le tyran est chassé du
pouvoir.
- Peu de morts (environs 300
martyrs), en comparaison avec d’autres
révolutions.
- Il n’y a pas eu de vacation du
pouvoir grâce à une constitution
existante.
- L’armée a eu une attitude
républicaine ; et l’a prouvé en
protégeant le peuple.
- Le pays a continué à fonctionner,
grâce à des institutions solidement
ancrées dans le pays.
- Malgré quelques couacs, les deux
premiers ministres provisoires ont aidé
à la mise en place du processus
démocratique ; qui a abouti, 10 mois
après, à des élections transparentes qui
ont eu lieu le 23 octobre 2011.
- Les élus du peuple, à leur tour,
ont désigné un président de l’Assemblée
constituante.
- Dans la foulée, la Constituante a
promulgué une «mini constitution» ou
règlement interne pour le fonctionnement
du parlement de transition ainsi que
celui du gouvernement de transition.
- Un président de la République, un
Premier ministre et un gouvernement
furent nommés, à peine un an après
l’immolation de Mohamed Bouazizi.
Tout cela, comparé à d’autres pays,
dans le cadre du printemps arabe, reste
unique à tout point de vue. La
démocratie, quoiqu’on dise sur son
imperfection, fonctionne et s’installe
petit-à-petit dans le paysage tunisien.
- L’Egypte : la révolution a été plus
longue et le tyran Hosni Moubarak n’a
fini par se retirer qu’au prix de
centaines de morts. Des élections ont eu
lieu, mais la démocratie reste
incertaine, les militaires tirant les
ficelles... Et, parfois, le feu sur les
manifestants de la place Tahrir.
Le président Marzouki dépose une gerbe
de fleurs sur la tombe de Bouazizi
- En Libye : la révolution a duré
plusieurs mois avant que le dictateur
Mouammar Kadhafi ne soit assassiné. Avec
des milliers de morts et un pays quasi
détruit par les bombardements en tous
genres, ceux d’un tyran fou tirant sur
son peuple avec la réplique des
révolutionnaires, puis ceux des
mercenaires de Kadhafi et enfin ceux de
l’Otan, venus assister et protéger un
peuple en danger... Tout est à
reconstruire et tout est à créer puisque
le pays ne possède aucune institution,
tout était dicté et décidé par feu le
«Guide»...
- En Syrie : malgré plus de 5.000
morts, le tyran Bachar El Assad est
toujours en place, avec un pays saccagé
à feu et à sang par un régime devenu
fou, et une armée divisée
s’entre-tuant...
- Le Yémen : malgré des milliers de
morts, le tyran Ali Abdullah Saleh ne se
décide toujours pas à dégager. Les
institutions sont paralysées et le pays
est à feu et à sang...
- Au Bahreïn : le roi d’Arabie a très
vite étouffé la révolte par l’envoi de
ses chars...
- Le Maroc : le roi Mohamed VI a su
anticiper la révolte du peuple, en
acceptant quelques sacrifices. Un
semblant de démocratie se met en place.
Mais les contestations demeurent.
- En Jordanie : le roi veut bien mais
ne peut rien, coincé dans des traditions
tribales et un parlement qui ne veut pas
céder sur ses prérogatives...
- En Mauritanie : ça bouge, mais rien
ne vient.
- En Algérie : des velléités de
révolte de la part des Algériens, que
les dinosaures en place calment (pour
combien de temps encore ?), en ouvrant
la bourse (réduction du prix de matières
premières, augmentation de salaires...)
Mais l’armée reste toujours
omniprésente. La démocratie pour le
moment n’est qu’un slogan «officiel»
mais creux, définissant la république
algérienne.
Une revanche
sur la tyrannie
Et tout çà, les Tunisiens le doivent
à ce jeune homme qui a stigmatisé dans
son geste désespéré l’injustice et la
corruption qui gangrenaient le pays !
Mais avant tout, pour clamer son droit à
la dignité. Message très vite relayé par
tout un peuple en communion avec lui,
qui a abouti à la chute du dictateur Ben
Ali. Son immolation aura été l’étincelle
qui a déclenché la révolution tunisienne
et bien au-delà.
Puisque les indignations vont gagner
les jeunes des pays arabophones :
Egypte, Libye, Yémen, Bahreïn, Syrie,
Jordanie, Maroc, Algérie, Mauritanie,
Palestine… Mais aussi de beaucoup
d’autres pays du monde : Iran, Chine,
Espagne, Belgique, Russie, USA, Israël…
Une ère nouvelle s’est ouverte. Elle est
aussi importante que fut celle de la
«chute du mur de Berlin» ! Désormais les
peuples s’expriment et veulent influer
sur leur destin.
De là où il est, Mohamed Bouazizi a
pris sa revanche sur la tyrannie quand
par son geste désespéré il a aidé à
faire «dégager» celui qui le
tyrannisait. Il a redonné espoir aux
peuples qu’il est possible d’influer sur
leur destin, s’ils le veulent bien,
comme dit le poète national tunisien
Abou El Kacem Chebbi.
Qu’il repose en paix.
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Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 19 décembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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