Tunisie
Entre chariâ ou
pas chariâ, la Tunisie balance !
Rachid Barnat
Vendredi 16 mars 2012
Il est indispensable que cette question
politique soit réglée rapidement par Rached Ghannouchi et ses hommes, car la
poursuite de ce débat pourrait nuire
gravement à l’unité du pays.
Par
Rachid Barnat
Un débat autour de la future
constitution, lundi soir, sur la chaîne
Watania 1: Habib Khedher, rapporteur de
la commission et neveu de Rached
Ghannouchi, président d’Ennahdha,
paradait sur le plateau arborant un
sourire inquiétant pour défendre l’idée
d’inclure la chariâ dans la future
constitution.
Parmi ses contradicteurs, deux ont
retenu l’attention.
Habib
Khedher
Conseil
d’Etat ou collège religieux
Le premier est un constitutionnaliste
qui rappelle à M. Khedher que ce qu’il
propose n’a jamais fait partie des
objectifs de la révolution qui sont, lui
rappelle-t-il, liberté, dignité et
travail! Il lui rappelle aussi que la
charia entraîne des interprétations
diverses et que se posera alors la
question de l’autorité supérieure qui
devra trancher entre des interprétations
opposées. Cette autorité sera-t-elle
civile sous forme d’un conseil d’Etat,
ou religieuse sous forme d’un collège de
religieux, dont les «fatwas», comme tout
le monde sait, sont arbitraires,
indiscutables et antidémocratiques? Ce
qui revient à dire, l’instauration pure
et simple d’un régime théocratique!
Il le met en garde que si son parti
et lui veulent imposer leur propre
idéologie dans la constitution, il donne
un à deux ans aux Tunisiens pour la
rejeter à la faveur d’une nouvelle
révolution!
Le second contradicteur est un
journaliste et homme de lettres, ancien
membre actif du premier parti islamiste
de Ghannouchi, met en garde Habib
Khedher et lui conseille de ne pas
ouvrir la boîte de Pandore en axant le
travail de la constituante sur la chariâ.
En effet, lui rappelle-t-il,
de quelle chariâa parle-t-il? Celle
à laquelle se réfère Ennahdha? Ou celle
des salafistes? Ou celle des autres
obédiences qui chacune en fait une
lecture différente…?
Rafik
Abdessalem
La belle
trouvaille de la constitution de 1959
Le journaliste rappelle à M. Khedher
que l’article 1 de la constitution de
1959 suffit pour préserver ce à quoi il
semble tenir, à savoir l’«identité
arabo-musulmane», puisqu’il mentionne
clairement en préambule: «La République
tunisienne est une république dont la
langue est l’arabe et la religion est
l’islam». Il n’est donc pas nécessaire
d’inquiéter les Tunisiens inutilement
par des propositions partisanes… Et quoi
qu’il en pense, il lui dit que la
constitution de Bourguiba s’est inspirée
à 66% de l’obédience de l’imam Malek en
concertation avec les imams de
l’université de la Zitouna. Pour preuve,
quand Bourguiba a voulu l’égalité des
femmes avec les hommes en matière
d’héritage, on lui a rétorqué que, selon
l'article 1, c’est contraire à la
prescription du Coran.
Ce à quoi Habib Khedher a fini par
répondre qu’au fait sa proposition est
tout-à -fait personnelle et n’engage que
lui. Mais que personne ne l’obligera à
dévier de ses idéaux quitte à se ranger
dans l’opposition.
La réponse du journaliste, bien au
fait des discours de ses anciens amis
nahdhaouis, lui rappelle que M.
Ghannouchi lui-même, depuis son retour
de son exil londonien, a maintes fois
répété que la république restera une
république civile, et qu’il ne fera pas
appel à la chariâ!
Un jeune de l’opposition, présent sur
le plateau, reprochera à Habib Khedher
de raisonner en avocat là où il est
question de politique. Autrement dit, il
épingle le manque de culture et de
maturité politique de ce jeune qui n’est
arrivé à la constituante et au poste
qu’il occupe que par la volonté de son
oncle Ghannouchi!
La charia
appliquée en Indonésie
Pour lui rappeler ce que les
Tunisiens attendent de la constituante,
il lui cite l’exemple de :
- l’Afrique du Sud qui a su rédiger
une constitution consensuelle pour des
ethnies et des religions multiples qui
caractérisent son peuple!;
- l’Indonésie, le plus grand pays
musulman par le nombre d’habitants, qui
n’a pas intégré la chariâ dans sa
constitution.
Ce que ces deux peuples ont pu faire,
les Tunisiens devraient le pouvoir
aussi, laissera-t-il entendre à Habib
Khedher.
Couper court
aux inquiétudes des Tunisiens
Or depuis, les débats se succèdent
autour de cette question dilatoire: la
chariâ sera-t-elle inscrite dans la
constitution ou non?
Dans l’un d’eux, sur Hannibal TV,
dans l'émission ‘‘Essraha Raha’’, le
ministre des Affaires étrangères
convient que l’article premier de la
constitution de 1959 sera probablement
maintenu tel qu’il est et qu’il se
suffit à lui même sans qu’il y ait
besoin d’en rajouter pour couper court
aux inquiétudes de beaucoup de
Tunisiens.
Rafik Abdessalem, étant proche de
Ghannouchi, ne peut avoir avancé une
telle information sans qu’il n’ait eu
l’aval de son beau-père, le guide
spirituel du mouvement Ennahdha auquel
il appartient.
Par ailleurs, ce même guide spirituel
ne cesse de multiplier les interviews où
il affirme que la Tunisie sera dotée
d’un code civil, excluant ainsi la
chariâ. Mais pas plus tard que lundi
soir, lors d’un autre débat sur la
chaîne Watania 1, toujours autour de
l’islamisation de notre constitution,
l’un des présidents de commissions à la
constituante, appartenant au parti
Ennahdha, remet çà !
Pour couper court à ses affirmations
que la chariâa s’impose dans un pays
musulman et qu’il faille l’inscrire dans
la constitution pour affirmer l’identité
arabo-musulmane des Tunisiens, l’un de
ses contradicteurs, constituant
lui-même, lui rappelle qu’il ne peut
être plus royaliste que le roi; puisque
le prophète Mohamed lui-même pour gérer
Yathreb, l’actuelle Médine, a demandé au
Conseil des sages d’établir les règles
de vie commune. Ce qui constitue bel et
bien un code civil pour régir les
différentes communautés d’alors (juive,
chrétienne et musulmane) vivant
ensemble. Et que, par conséquent, un
code civil doit être toujours actualisé
pour être adapté aux besoins et à
l’époque des peuples. En lui précisant
que la constitution qu’ils sont en train
de rédiger ne sera pas éternelle, elle
non plus, puisque dans 3 ou 4
générations d’autres la réécriront!
La charia
appliquée en Malaisie
Division,
indécision ou stratégie dilatoire?
Je rajoute que les Tunisiens doivent
se méfier absolument de toute référence
à la chariâ car, une fois inscrite dans
la constitution, elle permettra à
Ennahdha d’imposer des règles de vie
dont les Tunisiens ne veulent pas et
qu’ils ne pourront écarter. C’est donc
extrêmement dangereux et le combat sur
ce terrain doit être très ferme.
Par ailleurs, la
chariâ prend des formes très diverses
selon les pays, des
colloques nombreux se sont penchés
sur la question et l’on en débattra
encore dans cent ans car la notion est
une de celle les plus floue qui puisse
exister!
Alors il est indispensable que cette
question politique soit réglée
rapidement par une prise de position
claire par M. Ghannouchi et ses hommes
car la durée de ce débat nuit gravement
à l’unité du pays et à son efficacité.
Il faudrait trancher une bonne fois pour
toute et très vite ce débat pour pouvoir
passer aux véritables objectifs de la
révolution comme le rappelle le doyen
d’une faculté présent sur le plateau: le
développement économique du pays et la
lutte contre le chômage.
Ces bavardages nuisent et ce pouvoir
est en train de laisser pourrir la
situation.
Ce n’est quand même pas trop
demander, après des mois de débat, que
la question soit enfin tranchée.
A moins que ce ne soit une stratégie
dilatoire pour se maintenir au pouvoir
dans d’autres optiques, mais les
Tunisiens ne se laisseront pas duper.
Auquel cas, ce gouvernement sera dégagé
comme le fut Zaba.
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Publié le 16 mars 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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