Tunisie
Après l'assassinat
de Chokri Belaïd :
Vers un gouvernement de salut public
Rachid
Barnat
Vendredi 8 février
2013
Après avoir
constaté l'échec cuisant de la coalition
gouvernementale, les républicains de
tous bords doivent se réunir avec la
société civile dans un cadre de
concertation encore à définir pour
mettre en place un gouvernement de salut
public.
Par
Rachid Barnat
La Tunisie est en deuil. Elle
pleure un républicain courageux qui se
battait pour ses idées avec pour seules
armes son intelligence et sa force de
conviction. Il a été lâchement abattu
parce qu'il était une conscience de ce
pays et que face aux idées, face à la
liberté, certains ne connaissent que la
violence.
La Tunisie pleure, elle pleure
partout dans tous les coins du pays,
mais aussi dans le monde entier: à
Paris, à Lyon, à Marseille, à Toulouse,
en Belgique, au Canada et ailleurs
encore.
Un homme
courageux mort pour un idéal
La Tunisie pleure avec la femme de
Chokri Belaid et avec ses deux petites
filles. Ces deux petites filles
innocentes ravagées de chagrin et qui ne
comprennent pas, encore, ce qui s'est
passé. Plus tard, beaucoup plus tard,
quand le deuil sera fait, elles seront
très fières et avec elles le pays tout
entier de leur père qui entre dans le
panthéon des hommes courageux morts pour
un idéal.
Chokri
Belaïd et ses deux filles.
Si Farhat Hached, l'autre grand homme
de la Tunisie a été assassiné par des
étrangers, Chokri Belaid, lui, était
assassiné par ceux-là mêmes qu'il a
avait défendus contre Ben Ali, qui grâce
à son combat leur a permis de sortir de
leur prison et de rentrer de leur exil,
en leur donnant le droit à la parole...
parole qu'ils ont décidé de lui retirer,
en le réduisant à jamais au silence par
leur acte criminel ignominieux !
Nous sommes tous dans l'émotion et
cela est normal. L'émotion ressentie par
un peuple tout entier soude ce peuple.
Ghannouchi, dans sa stratégie
machiavélique, a voulu diviser les
Tunisiens, les monter les uns contre les
autres ! Avec cet assassinat, ils sont
unis plus que jamais derrière Chokri
Belaid. Ils proclament être tous Chokri
Belaid!
Mais il nous faut dépasser cette
émotion légitime et nous demander deux
choses très importantes: qui est
responsable de ce meurtre? Que peut-on
et que doit-on faire?
Quand on parle de responsabilité, ce
n'est pas de la responsabilité des
exécutants, les salauds qui ont tiré
dont il s'agit. Ceux-là sont de pauvres
types, des fanatiques abusés par
d'autres ou des mercenaires pitoyables.
Les véritables responsables plutôt sont
les commanditaires et ceux qui ont créé
le climat délétère ayant permis le
passage à un tel acte!
La «troïka»
doit rendre compte
Que l'on ne vienne pas nous parler
d'enquête... dont il faudrait attendre
les conclusions!
Que l'on ne fasse surtout pas aux
Tunisiens le coup de la commission
d'enquête comme après le premier meurtre
de Lotfi Nagdh ni des autres enquêtes
annoncées à propos des incidents et des
violences initiés, comme ceux du 9 avril
2012... toujours non «résolues»!
On parle ici de la responsabilité
politique de ce crime. Et celle-là,
paraît évidente.
La responsabilité politique incombe
tout entière au pouvoir actuel, aux
islamistes qui le dominent, à commencer
par leur chef Ghannouchi, en passant par
ses hommes, ceux de la «troïka»
compris ; mais aussi à MM. Marzouki et
Ben Jaâfar. La «troïka» est
responsable de ce crime ! Elle doit en
rendre compte au peuple tunisien.
La
dépouille de Chokri Belaïd.
Analysons cette responsabilité. Une
première cause de ce crime est la
politique même des islamistes qui ont
voulu mêler la religion à la politique
et imposer aux Tunisiens une manière de
pratiquer un islam qui n'était pas le
leur depuis des siècles. Ce faisant, ils
ont mis le poison de la division dans la
population en qualifiant les uns de
«bons musulmans», ceux qui se
laissent coloniser par les
obscurantistes saoudiens, qataris et
autres bédouins venus du «Khalije»
(pays du Golfe), et les «mauvais
musulmans», c'est-à-dire tous ceux
qui refusent ce nouveau colonialisme
politico-religieux! Le poison de la
religion en politique est pire que tout
autre raison de division, parce que les
hommes politiques qui l'utilisent
associent Dieu à leur discours et font
croire au peuple qu'ils parlent au nom
d'Allah.
Les prêcheurs
en eau trouble
Le deuxième élément de responsabilité
est, précisément d'avoir ouvert la voie
à l'obédience la plus rétrograde, la
plus violente, la plus régressive de
l'islam: le wahhabisme, qu'au début du
19e siècle les Tunisiens avaient déjà
rejeté; et d'avoir accueilli (n'est-ce
pas M. Marzouki?) avec les honneurs des
prêcheurs de haine pour distiller leur
poison et favoriser la désunion du
peuple.
N'y a-t-il pas là une responsabilité
majeure?
Mais allons plus loin. Ce pouvoir a
toléré de nombreux appels au meurtre de
la part notamment d'imams fanatiques et
qui sont encore en place sans avoir été
inquiétés!
Y-a-t-il plus grave comme trouble à
l'ordre public que d'appeler au meurtre
? Pourtant Ali Lârayedh a préféré
arrêter et traduire devant la justice
des artistes, des journalistes, des
syndicalistes, des enseignants... pour
cause de trouble de l'ordre public,
alors que leur unique tort était de
réclamer des réformes et plus de liberté
!
Ce pouvoir (n'est-ce pas M. Marzouki
!) a toléré la présence des Ligues de
protection de la révolution (LPR), qui
ne sont que des milices fascistes
intolérables dans un état de droit.
Ce pouvoir a toléré, sans prendre
aucune disposition efficace, les
attaques des meetings politiques, des
agressions physiques sur des
responsables politiques, la destruction
des mausolées...
Comment ne pas y voir du laxisme ou,
pire, une connivence incitant au crime?
Comment éviter dans un tel climat que
des fanatiques tirent sur un brave
homme?
Oui, Ghannouchi et son double langage
(rappelez-vous des deux cassettes vidéos
«fuitées»), Marzouki, Ben Jaâfar et
Jebali, vous êtes tous directement
responsables politiquement de ce crime
et l'histoire le retiendra contre vous.
L'ambulance transportant la dépouille de
Chokri Belaïd.
Rappelons-nous ce que disait
Ghannouchi des «salafistes» et de leur
exaction: ce sont ses enfants, il ne
viennent pas de la planète Mars, et il
faut être tolérant envers eux car ils
sont porteurs de culture et de valeurs!
Les tentatives de meurtre puis les
assassinats politiques sont là pour
illustrer ses considérations à propos
des salafistes dont l'activisme parfois
violent lui rappelle avec émotion ce
qu'il était lui-même à leur âge!
L'attitude
choquante du ministre de l'Intérieur
L'attitude choquante adoptée par le
ministre de l'Intérieur, le 6 février,
lors du transfert de la dépouille du
regretté Chokri Belaid, au niveau de
l'avenue Habib Bourguiba, démontre que
ce pouvoir est totalement indigne. Le
cortège de l'ambulance, suivi par des
milliers de Tunisiens criant leur
colère, a été harcelé par des islamistes
et surtout – honte sur eux – par la
police de cet Etat qui a jeté du gaz
lacrymogène contre de simples passants
criant leur douleur, et contre une
ambulance transformée en corbillard.
Pensez-vous que ce pouvoir, qui se
comporte de la sorte, puisse rester
encore en place?
Maintenant que faut il faire?
Si les responsables clairement
désignés avaient un tout petit peu de
dignité, ils démissionneraient car ils
ont failli. Le plus étonnant c'est
d'entendre les ministres du gouvernement
Ghannouchi nous assurer qu'ils prendront
leur responsabilité, se gargarisant de
ce mot... Ce qui aurait dû se traduire
par une démission des ministres
responsables sinon de celle de tout le
gouvernement, comme cela se produit dans
les pays démocratiques! Et ce, depuis
belle lurette, puisqu'à chacune des
crises consécutives aux violences, des
démissions auraient du avoir lieu...
alors que ces messieurs sont toujours là
à pérorer sur la responsabilité et la
légitimité! Pour reprendre le langage
des islamistes, c'est même devenue «bid'aa»,
une nouveauté, cette façon d'assumer sa
responsabilité en conservant son poste!
Mais les Tunisiens ne croient pas en
la dignité de ces tristes personnages et
ils doivent les chasser eux-mêmes car il
serait intolérable que les responsables
politiques de ce crime continuent, d'une
manière ou d'une autre, à diriger la
Tunisie. Ils n'en sont plus dignes!
Il faut que toutes les forces vives
de ce pays, la société civile et à sa
tête l'Ugtt disent maintenant clairement
qu'il n'est plus possible de continuer
avec ce pouvoir qui, d'ailleurs, depuis
le 23 octobre 2012, n'a plus aucune
légitimité juridique ni politique et qui
vient de perdre toute légitimé morale.
Les occasions
perdues
Au passage, on peut reprocher à
l'opposition et à l'Ugtt de ne pas avoir
été ferme, le 23 octobre, en exigeant la
constatation de l'illégitimité de la
Constituante et du pouvoir qui en
découle. L'accord conclu par l'Ugtt est,
quand on lit le procès-verbal, vide de
sens et l'on peut même émettre des
doutes sur ce comportement. Si elles
avaient montré plus de fermeté pour
signifier la fin du mandat ou du moins
d'exiger solennellement le respect des
conditions qu'elles avaient posées à la
troïka contre la prorogation de leur
légitimité... Chokri Belaid serait, peut
être, encore en vie!
Les républicains de tous bords
doivent se réunir avec la société civile
dans un cadre de concertation encore à
définir pour mettre en place un
gouvernement de salut public, après
avoir constaté l'illégitimité du pouvoir
actuel qui a dépassé le temps prévu lors
de l'élection, manqué à sa mission et
démonté de manière éclatante sa défaite
morale avec ce deuxième crime sur la
personne d'un responsable politique.
Quant à la décision de Jebali de
nommer un gouvernement de technocrates,
elle est tout simplement surréaliste sur
le plan du droit. De qui tient-il le
pouvoir de faire un gouvernement et de
qui tient-il la légitimité de nommer un
nouveau gouvernement ? Il a encore des
leçons de droit à apprendre.
Les
citoyens ont pris l'initiative de
consacrer une place portant le nom de
Chokri Belaïd.
En réalité, seule l'Assemblée
pourrait avoir ce pouvoir de nommer un
Premier ministre et un gouvernement sauf
qu'ici cette assemblée n'a plus
elle-même aucune légitimité ni juridique
ni politique ni morale depuis le 23
octobre, on ne cessera jamais assez de
le répéter, cette assemblée n'est plus
légitime. Elle a été élue pour un an par
application du décret de convocation des
électeurs et pour une mission précise :
écrire la Constitution. Force est de
constater que le délai est passé et
qu'elle n'a pas remplie sa mission. De
qui tiendrait-elle sa légitimité
aujourd'hui?
Par ailleurs, qu'a réussi ce
gouvernement dont il pourrait tirer une
quelconque légitimité?
A-t-il assuré la stabilité politique
du pays? A-t-il permis d'installer des
institutions stables, seules garanties
d'un développement économique et social?
A-t-il assuré la sécurité des biens et
des personnes? A toutes ces questions,
la réponse est de toute évidence: Non !
Alors il faut tirer les conséquences
de cette illégitimité, de cet échec sur
tous les plans et notamment sur le plan
moral. Cette assemblée et ce pouvoir
sont totalement discrédités.
Il faut qu'ils partent.
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Publié le 8 février 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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