RIA Novosti
Afghanistan: l'expérience de l'URSS
négligée ?
Piotr Gontcharov
Photo RIA Novosti
29 août 2008
Les récents événements survenus en Afghanistan ont de nouveau
soulevé la question de l'efficacité et du professionnalisme des
opérations de l'OTAN et de la coalition antiterroriste dans ce
pays. En moins d'une semaine, une unité spéciale française
faisant partie de l'ISAF (Force internationale d'assistance à la
sécurité) est tombée dans une embuscade et 10 soldats ont été
tués, tandis que vendredi dernier (22 août), dans la province
d'Hérat, plus de 70 civils ont péri au cours d'une opération
lancée dans le district de Shindand. Selon les médias, cette
dernière a été effectuée par les forces de la coalition,
c'est-à-dire essentiellement par l'US Air Force. Naturellement,
cet événement a bouleversé l'Afghanistan. Le président Hamid
Karzaï insiste désormais sur la révision du statut des forces
internationales présentes dans le pays.
Rappelons que ces forces sont représentées en Afghanistan par
deux missions: la coalition antiterroriste internationale sous
la direction des Etats-Unis et la Force internationale
d'assistance à la sécurité (ISAF) sous la direction de l'OTAN.
Le principal objectif de l'ISAF, qui agit en Afghanistan
conformément à un mandat de l'ONU, est en principe d'assurer la
stabilité sur les territoires libérés des combattants armés. Le
principal objectif de la coalition antiterroriste est, en
principe également, de libérer les territoires en question en
effectuant des opérations visant à rechercher et neutraliser les
membres d'Al-Qaïda et les talibans.
Les opérations de la coalition et de l'ISAF sont donc
incomparables de par leur nature. Il est évident que le risque
de commettre une erreur est bien plus grand pour la coalition
que pour l'ISAF, et que n'importe quelle opération doit être
minutieusement préparée. Une seule question se pose: qu'est-ce
qui empêche les Etats-Unis de le faire? D'autant qu'ils ont
déjà, semble-t-il, fait l'amère expérience de ce genre
d'erreurs. Il suffit de se souvenir du bombardement d'un mariage
effectué en juillet 2002 par l'aviation américaine au cours
d'une opération analogue lancée dans la province d'Ourouzgan
(district de Deh Rawood). Ironie du sort, cela avait eu lieu
dans la maison même où Hamid Karzaï s'était à une époque caché
des talibans.
Ce fut la première grave bévue, et les parties décidèrent de
la passer sous silence. Cette fois-ci, Hamid Karzaï a fait de
sérieux reproches aux Etats-Unis en les accusant d'être
incapables d'agir en coopération avec l'armée afghane. Pour sa
part, le commandement américain en Afghanistan affirme que
l'armée afghane a participé à l'opération et que ce sont
justement les Afghans qui ont insisté pour bombarder ce site et
indiqué les cibles.
La situation est connue: l'interaction entre les deux armées
est en apparence organisée, mais le principe de commandement
unique et de responsabilité personnelle n'est pas appliqué.
C'est pourquoi le gouvernement afghan a certainement raison
d'insister sur le changement du statut des troupes de la
coalition. Comme tout l'indique, il s'agit de s'assurer que la
coalition ne se borne plus seulement à informer de ses
opérations de recherche des combattants d'Al-Qaïda, etc., mais
qu'elle obtienne aussi l'autorisation de les effectuer.
En ce qui concerne les soldats français, la situation est
tout à fait différente. Ils sont tombés dans une embuscade à 50
km de Kaboul, capitale afghane. L'OTAN n'avait jamais essuyé en
Afghanistan de telles pertes en un seul combat, encore moins
dans une zone aussi sécurisée.
Evidemment, l'opinion française a tout de suite réagi. Cette
réaction était prévisible. Libération a carrément titré:
"Faut-il partir?"
Le fait que Kaboul ait subi, pour la première fois depuis
près de cinq ans, une attaque de missiles donne également
matière à réflexion. C'est un signal alarmant attestant que le
pouvoir central perd probablement le contact qu'il avait réussi
à établir dans la province de Kaboul avec la population locale.
Cette province est considérée pratiquement comme la seule où
l'OTAN contrôle plus ou moins la situation. D'ailleurs, jusqu'à
ces derniers temps, la province d'Hérat était également
considérée comme "tranquille".
Peut-être faut-il effectivement partir? Mais alors, à quoi
cela aura-t-il servi se rendre en Afghanistan et de lancer toute
cette opération?
Il semble que l'OTAN n'ait pas beaucoup de chance ces
derniers temps en Afghanistan. Je le regrette sincèrement, car
j'ai assisté à l'apparition des premières unités de l'ISAF à
Kaboul début 2002. J'ai été témoin des actions de l'OTAN qui a
abordé sans tarder et avec persévérance la formation de l'armée
nationale afghane. Après avoir travaillé, rien que dans la
coopération militaire, pendant près de 15 ans en Afghanistan et
participé aux étapes importantes de l'édification de l'armée
afghane depuis l'époque monarchique, je suis en mesure de faire
des comparaisons.
A mon avis, l'OTAN accomplit sa mission en Afghanistan de
façon professionnelle. Quant à l'aggravation actuelle de la
situation dans le pays, elle était absolument prévisible, car
les 60.000 militaires qui constituent les forces communes de la
coalition et de l'ISAF sont certainement insuffisants pour
simultanément effectuer des opérations de recherche et de
neutralisation des combattants d'Al-Qaïda, assurer une stabilité
solide sur tout le territoire de l'Afghanistan et, en même
temps, participer activement aux travaux de reconstruction.
Un seul reproche peut être adressé à l'OTAN et aux Etats-Unis
en Afghanistan: ils ont commis la même erreur que l'URSS à un
moment donné. En Afghanistan, tous les problèmes, y compris ceux
de "la recherche et de la neutralisation" des terroristes
d'Al-Qaïda, ainsi que de la stabilité et de la sécurité, doivent
être réglés en premier lieu par les Afghans eux-mêmes. Les
effectifs de l'Armée nationale afghane, prévus à 70.000 par les
Etats-Unis et l'OTAN, sont catastrophiquement insuffisants pour
atteindre ces objectifs. Il est vrai, à présent, on parle déjà
de 120.000 soldats, voire plus. Mais on a perdu du temps, bien
que l'ambassade russe, et en particulier l'ambassadeur actuel
Zamir Kaboulov, ait souligné que la stabilité en Afghanistan
dépendait directement de son armée, et que 70.000 soldats
n'étaient certainement pas suffisants pour cela.
A présent, les Etats-Unis et l'OTAN considéreront peut-être
autrement l'expérience afghane de la Russie et les conseils de
Moscou. Il ne convient pas de réduire la coopération avec la
Russie autour de l'Afghanistan uniquement à des questions de
transit des cargaisons de l'OTAN à travers le territoire russe.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2008 RIA
Novosti
Publié le 1er septembre 2008
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