Opinion
Syrie
Propagande et média-mensonges, autant en
emporte le vent...
Pierre Piccinin
DAMAS,
Siège du Parti Baath
- 21 novembre 2011 © photo Maha MAHFOUD
(Investig'Action,
23 novembre 2011)
Guerre de l’information, propagande et
média-mensonges : la Syrie est plus que
jamais le terrain d’un journalisme à
géométrie variable.
Depuis le début des troubles qui ont éclaté en Syrie dans le
contexte du « Printemps arabe »,
l’information, la ré-information et la
désinformation s’affrontent sur ce
terrain que rendent particulièrement
mouvant les intérêts multiples des
différentes communautés et confessions
qui y cohabitent, mais aussi les rôles
ambigus de plusieurs acteurs
internationaux et, notamment, ceux de la
Turquie et de l’Arabie saoudite, comme
celui du Qatar et de sa chaîne de
télévision de plus en plus controversée,
Al-Jazeera.
Face à cette situation critique, le gouvernement baathiste avait
opté pour une politique d’opacité, la
fermeture des frontières et
l’interdiction des journalistes et
autres observateurs.
Vérifier la fiabilité des informations qui parvenaient de Syrie
était dès lors souvent très difficile.
Mais pas impossible : en juillet,
j’avais obtenu un visa et l’autorisation
de me déplacer librement à travers tout
le pays, de Deraa à Alep et de Latakieh
à Der-ez Zor –et je n’étais pas le
seul sur place : François Janne d’Othée,
Alain Gresh du
Monde diplomatique, ou
encore Gaëtan Vannay de la
Radio suisse romande.
J’avais observé la situation à Homs, où les manifestants
« pacifiques » munis d’armes à feu s’en
étaient pris à l’armée, et, le vendredi
15 juillet, à Hama, dont les quelques
milliers de manifestants que j’avais pu
y dénombrer s’étaient miraculeusement
démultipliés en 500.000 opposants dans
les dépêches de l’AFP, « information »
benoîtement reprise par
Euronews,
France 24 et la plupart des
journaux « mainstreams » ; seul
Le Monde faisait exception, renchérissant avec l’annonce de
600.000 manifestants (Hama compte à
peine plus de 340.000 habitants).
Cette politique d’opacité s’est ainsi rapidement révélée
contreproductive pour le gouvernement
syrien, dans la mesure où l’opposition a
peu à peu diffusé des rapports
fallacieux, grossissant l’importance des
mouvements de contestation dans des
proportions colossales : concernant le
nombre des morts et celui des
manifestants, la bataille des chiffres a
atteint des degrés confinant à
l’absurde, comme l’illustre bien
l’exemple évoqué, relatif à la
mobilisation de l’opposition à Hama.
Absents du terrain et manifestement peu enclins à critiquer leurs
sources, les médias occidentaux n’ont en
effet pas soupçonné les « informations »
qu’ils recevaient par les canaux de
l’opposition, rejetant en revanche les
communications du gouvernement syrien,
considérées comme propagandistes ; entre
autres cas d’école, aucun doute n’a
jamais été émis à propos des vidéos
transmises par l’opposition et supposées
témoigner d’une Syrie à feu et à sang,
de manifestations de dizaines ou
centaines de milliers de participants,
alors que, systématiquement, les images
diffusées étaient constituées de
gros-plans présentant quelques centaines
de personnes seulement. Et les rares
observateurs qui ont pu entrer en Syrie
et faire part de leurs constatations ont
généralement été désavoués et
discrédités, comme des affabulateurs ou
des supporters de la dictature.
Parmi les sources principales des médias, on trouve l’Observatoire
syrien des Droits de l’Homme (OSDH),
presque toujours cité en référence par
les journalistes et qui domine largement
« l’information » sur la Syrie (c’est
cette organisation, basée à Londres, qui
avait annoncé le nombre de 500.000
manifestants à Hama, le 15 juillet
2011).
Or, il n’est pas très difficile de se renseigner sur l’identité de
l’OSDH et des personnes qui se cachent
derrière ce label aux apparences
honorables, à commencer par son
président, Rami Abdel Rahmane, un
opposant de longue date au régime
baathiste, très connu en Syrie comme
étroitement associé aux
Frères musulmans, organisation
islamiste radicale dont l’influence
grandissante sur le mouvement de
contestation en Syrie laisse entrevoir
de plus en plus clairement l’ambition de
ce groupe que d’aucun croyait
presqu’éteint, du fait de son
interdiction par le régime, mais qui
couvait dans la clandestinité.
Le 17 novembre, les Frères musulmans sont sortis du bois : alors
que plusieurs observateurs estimaient le
mouvement exsangue et sans plus aucun
poids, le porte-parole des Frères,
Mohammad Riad Shakfait, en exil en
Turquie, s’exprimant au nom du « peuple syrien », a annoncé qu’une « intervention
était acceptable pour protéger la
population civile ». Il en a
précisé les contours : l’intervention
serait mieux reçue si elle venait de la
Turquie plutôt que des puissances
occidentales (la Turquie, gouvernée par
un parti islamiste qualifié de
« modéré », l’AKP).
En juillet, j’avais également pu constater l’implication
grandissante des Frères musulmans dans
les mouvements de contestation, à tel
point que les minorités communautaires
(Chrétiens, Druzes, Kurdes, Chiites…
outre les Alaouites et une partie de la
bourgeoisie sunnite) s’en étaient
désolidarisées et revendiquaient même
leur soutien au régime, par crainte de
la montée en puissance des islamistes
syriens, dont les intentions sont sans
équivoque : l’instauration en Syrie
d’une république islamique.
Plus encore, les Frères musulmans, membres du Conseil national
syrien (CNS), qui rassemble les
principaux courants de l’opposition,
très hétéroclites et aux objectifs
divergents, et se présente comme une
alternative au gouvernement de Bashar
al-Assad, ont entamé au nom de ce CNS
des négociations avec la Turquie, mais
aussi avec des gouvernements
occidentaux, pour l’établissement en
Syrie d’une zone d’exclusion aérienne
pour protéger les civils, alors que la
ligne du CNS avait été, jusqu’à présent,
de refuser toute ingérence étrangère. Il
ressort clairement de ces événements que
les islamistes ont pris une influence
non négligeable sur l’ensemble de
l’opposition et de ses structures
exécutives.
En d’autres termes, il apparaît sans ambiguïté que, durant ces
derniers mois,
les médias occidentaux ont été
« informés » par les Frères musulmans
syriens via l’OSDH et ont,
complaisamment ou non, servi leur agenda
pour la Syrie.
Conscient de la nécessité de contrer efficacement la propagande de
l’opposition, et ce de manière crédible
et imparable (c’est-à-dire autrement que
par des démentis officiels), le
gouvernement syrien a semble-t-il
décidé, depuis plus d’une semaine, de
laisser à nouveau entrer sur son
territoire des observateurs étrangers,
et ce dans un contexte de plus en plus
tendu : la Ligue arabe a sévèrement
critiqué la Syrie, motivée par l’Arabie
Saoudite et le Qatar, très impliqué dans
le soutien aux mouvements islamistes
libyens, tunisiens et syriens ; Israël,
silencieuse depuis le début des
événements, a accepté de recevoir les
représentants du CNS et d’entamer avec
eux des négociations ; la Russie,
pourtant alliée historique du régime
syrien, a fait de même (tout en
déployant toutefois sa marine de guerre
dans les ports syriens, message très
clair à ceux qui envisagent, à Ankara ou
ailleurs, une intervention militaire sur
le sol syrien) ; enfin, la
militarisation de la contestation en
Syrie : l’opposition semble avoir décidé
de passer à l’offensive et de plus en
plus d’attaques ont lieu contre les
forces armées gouvernementales
syriennes, dont certaines à l’arme
lourde, dont aussi des tirs de snipers
sur les policiers, des enlèvements et
des assassinats, et une « Armée syrienne
libre », constituée de « déserteurs », a
commencé la lutte contre le gouvernement
et demandé au CNS de la recevoir sous
son commandement (un doute subsiste
cependant quant à la constitution de
cette Armée syrienne libre, dont le gros
des forces pourrait être en réalité
composé d’éléments étrangers ayant
revêtu l’uniforme syrien,
majoritairement islamistes et armés par
le Qatar).
Si certains médias ont commencé de changer leur point de vue sur
les événements en Syrie (voir, par
exemple, l’article de Christophe
Lamfalussy publié par
La Libre Belgique ce 19
novembre ou le reportage de la RTBF,
encore timide cela dit, diffusé lundi
21, qui confirment à présent les propos
des « affabulateurs » de juillet), cette
ouverture n’a cependant pas réussi à
enrayer la guerre de propagande hostile
au régime baathiste, qui n’a pas
seulement pour moteur l’organisation des
Frères musulmans et les divers courants
de l’opposition regroupés dans le CNS.
Déjà très impliqué dans le renversement du gouvernement de Libye,
où, suite à un accord bilatéral avec la
France, il a armé plusieurs mouvements
islamistes, le Qatar utilise désormais
son bras médiatique, Al-Jazeera, pour
soutenir la contestation en Syrie, comme
il l’avait fait en Tunisie, contre Zine
Abidine Ben Ali (au Maroc, en revanche,
Al-Jazeera avait abandonné à leur sort
les manifestants qui dénonçaient la
monarchie ; même silence d’Al-Jazeera
sur le massacre des protestataires au
Bahreïn, qui furent écrasés par les
chars, appuyés par des troupes
saoudiennes envoyées en renfort).
Ainsi en témoigne ce tout récent exemple d’un média-mensonge « made
in Qatar » : ce dimanche 20 novembre,
Al-Jazeera (et Al-Arabia : Dubaï –
Émirats arabes unis) a diffusé un
reportage annonçant l’attaque du siège
du parti Baath, à Damas.
Selon Al-Jazeera, deux hommes en moto ont tiré deux roquettes au
moins sur le bâtiment, qui s’est embrasé
; et l’attentat a été revendiqué par
l’Armée syrienne libre, qui a ciblé ce
symbole du pouvoir, dans le centre de
Damas, la capitale, jusqu’alors
totalement épargnée par ces neuf mois de
contestation.
Le régime de Bashar Al-Assad, touché en plein cœur et pour la
première fois à Damas, serait-il au bord
du gouffre ?
À nouveau, à l’appui de cette « information », concoctée par
Al-Jazeera cette fois, la caution de
l’Observatoire syrien des Droits de
l’Homme, qui a même apporté des
précisions : deux roquettes
supplémentaires ont encore été tirées,
mais ont manqué leur cible…
Comme d’ordinaire, « l’information » a été reprise en chœur par
tous les médias « mainstreams ».
Ce même dimanche au soir, un de mes contacts à Damas m’a téléphoné
: « ma
famille habite tout près du siège du
parti Baath ; le bâtiment est intact ;
c’est un mensonge ».
Lundi 21, j’ai demandé à une amie qui habite également Damas de
vérifier pour moi l’information et de
prendre une photographie du siège du
Baath, en présentant à l’avant-plan
l’édition du jour d’un journal
occidental connu, de telle sorte qu’il
ne puisse y avoir le moindre doute quant
à la date à laquelle cette photographie
a été prise.
Résultat : le bâtiment du siège du parti Baath à Damas est
effectivement intact ; aucune roquette
n’a frappé ni incendié l’immeuble.
L’Armée syrienne libre, après avoir revendiqué dimanche l’attentat
sur sa page Facebook, a supprimé lundi
sa revendication.
Entre désinformation organisée par une opposition islamiste, qui a
reçu l’appui des monarchies du Golfe et
des médias arabes dominants, et
l’incompétence politiquement correcte
des médias occidentaux, Damas peut
toujours rouvrir ses frontières…
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