Libye
Mythe et réalité
de la « révolution » libyenne
Pierre Piccinin
L'Orient-Le Jour, 20 octobre
2011
« Une
fois tombées Beni Oualid et Syrte, les
derniers bastions pro-Kadhafi, le
Conseil National de transition (CNT)
pourra proclamer la complète libération
de la Libye. Pour le moment, les
‘troupes pro-Kadhafi’ résistent encore à
Syrte, tandis que la population, prise
entre deux feux, essaie de fuir le
théâtre des combats. »
Voilà ce que l’on peut lire et entendre
un peu partout dans nos médias à propos
du conflit qui ravage actuellement
l’ouest de la Libye.
En deux phrases, cinq erreurs sont
formulées.
A la décharge de ces médias, il faut
admettre que le cas libyen fait figure
d’exception dans ce « Printemps arabe »
et s’est rapidement révélé
particulièrement compliqué à analyser,
comme j’ai pu m’en rendre compte, et
notamment lors de ma mission à Benghazi,
il y a quelques semaines, et des jours
que j’ai passés, sur la ligne de front,
en compagnie des combattants de la
rébellion.
Et la nécessité de simplifier l’analyse
pour ne pas lasser l’auditeur, le
lecteur ou le téléspectateur, de plus en
plus demandeur d’un fast-food de
l’information qui lui permettrait de
« s’informer » en quelques minutes de ce
qui se passe dans le monde entier, doit
certainement donner bien des cheveux
blancs aux journalistes en charge de
préparer les plats.
Cependant, ramener la « révolution »
libyenne à un soulèvement de tout un
peuple contre le régime dictatorial d’un
seul homme confine à l’absurde et à la
désinformation. En Libye, ainsi, j’ai
rencontré une toute autre réalité que la
« réalité », virtuelle, servie par la
presse occidentale.
Premièrement, depuis des mois, le
conflit ne s’est pas limité aux deux
seules villes de Beni Oualid et Syrte.
La résistance concerne également tout le
sud-ouest libyen,
tous les oasis, villes et villages du
Fezzan. Le conflit est donc bien loin
d’être terminé et il se poursuivra, même
après la chute de Syrte.
Deuxièmement, il ne s’agit plus d’une
guerre de « libération », mais bien
d'une guerre de conquête : les tribus de
Benghazi et de l’est libyen sont en
train de conquérir des territoires,
ceux des tribus de l’ouest qui,
troisièmement, se défendent, plus
qu’elles ne soutiennent Kadhafi.
Quatrièmement, la résistance n’est pas
le fait de « troupes pro-Kadhafi » ou de
« mercenaires », mais surtout des hommes
et adolescents des tribus de l’ouest,
selon le principe de fonctionnement de
la société libyenne, société
tribale-clanique, où chaque hommes est
un guerrier potentiel. La population
n’est donc pas « prise entre deux
feux », car, cinquièmement, c’est la
population, précisément, qui se bat
contre les envahisseurs de l’est et
l’OTAN qui les appuie. Et, comme on a pu
le constater dans les convois qui
quittaient la ville de Syrte, par
exemple, seuls fuient les femmes, les
enfants et quelques vieillards.
Une réalité bien différente du mythe
forgé par le prisme médiatique
occidental…
Il est cela dit peu probable que les
tribus de l’ouest résistent longtemps
encore, même si, pour l’instant, elles
tiennent fermement à Syrte, que les
bombardements de l’OTAN ont pourtant
réduite à l’état de ruines, et dans
tout le Fezzan.
Face à cette rébellion venue de l’est et
soutenue par des puissances étrangères
qui ont déployé l’arsenal de l’OTAN, les
guerriers des clans de Libye occidentale
n’ont effectivement aucune chance de
renverser le cours de la guerre et de
permettre au gouvernement libyen de
reprendre le dessus.
Néanmoins, cette résistance farouche, à
laquelle bien peu d’analystes
s’attendaient et qui met aujourd’hui le
CNT et l’OTAN en échec, fût-il
momentané, sans ambiguïté aucune, enlève
toute légitimité au nouveau gouvernement
libyen autoproclamé et révèle le
véritable caractère de l’opération
atlantique en faisant de l’OTAN un
agresseur au grand jour et nullement
plus un libérateur.
Lien(s) utile(s) : L'Orient
- Le Jour.
Le chef de l'Etat libyen, Mouammar
Kadhafi, serait décédé (20 octobre
2011) :
L'AFP a annoncé, ce 20 octobre 2011, la
mort du colonel Mouammar Kadhafi, sur
base d'une photographie prise au moyen
d'un téléphone portable et montrant un
cadavre, méconnaissable, dont le visage
n'est plus qu'une masse de chaire
informe (les circonstances de ce décès
restent inconnues). Le CNT a déclaré
reconnaître sur cette image le corps de
Mouammar Kadhafi. Si la mort du
dirigeant libyen devait être confirmée,
il n'y aurait alors pas de procès, donc
aucune révélation embarrassante, ni pour
les leaders du CNT, dont plusieurs
anciens ministres kadhafistes, ni pour
les puissances étrangères, anciennement
alliées objectives du régime
et actuellement impliquées dans le
renversement du gouvernement libyen. La
mort de Mouammar Kadhafi ne signifierait
cependant pas l'arrêt des combats : les
tribus de l'ouest libyen continueront de
se défendre face à l'invasion de leurs
territoires par la rébellion soutenue
par l'OTAN. En outre, Séif al-Islam, le
fils aîné de Mouammar Kadhafi, reste à
la tête de la résistance. Notons, cela
étant, qu'une autre photographie avait
circulé, en août 2011, annonçant alors
déjà la mort du colonel Kadhafi.
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Syrte -
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