Opinion
Le Maghreb en
révolution
Pierre Piccinin
Vendredi 7 janvier 2011
Depuis trois semaines, le Maghreb est en révolution.
Pourtant, les principaux journaux officiels et les télévisions
d’Europe ne parlent que fort peu de ce qui est en train de se
passer en Tunisie, mais aussi, à sa suite, en Algérie et au
Maroc.
Alors que ces peuples, nos anciennes
colonies, proches de l'Europe, qui
furent parties de l'Empire romain (excusez l'humaniste de
formation qui s'exprime) et devraient être parties de l'Union
européenne depuis longtemps déjà, sont en train de s'affirmer,
ne les saluerons-nous pas? Ne les appuierons-nous pas? 1792
est-il donc si loin?
Tout est parti de Tunisie, une dictature soutenue par l’Europe,
une dictature où syndicalistes et journalistes sont emprisonnés
et éliminés physiquement, sans que nos gouvernements n’y
trouvent à redire : un jeune homme, Mohammed Bouaziz, à
vingt-six ans, s’est suicidé par le feu en pleine rue, le 18
décembre dernier, épuisé par la misère et la tyrannie du
président Ben Ali, le grand ami de l’Occident.
Sans tarder, une manifestation sans précédent a envahi les rues
de la petite ville de Sidi Bousid. Et la colère s’est répandue ;
la révolte a fait tache d’huile et s’est métamorphosée en
révolution. Travailleurs pauvres, ouvriers, puis ingénieurs,
médecins, avocats, fonctionnaires et étudiants, tout un peuple
lassé de la dictature et de la misère a emboîté le pas à cette
révolte qui s’est muée en révolution.
La Tunisie, cette dictature à deux heures de vol des charters de
touristes inconscients du Club Med, vacille enfin.
La police a été envoyée contre la population ; elle a ouvert le
feu, à balles réelles, mais n’a pas pu arrêter le mouvement.
De Tunisie, la révolution a gagné l’Algérie voisine, puis le
Maroc : quand Tunis éternue, pourrait-on dire désormais, c’est
le Maghreb qui s’enrhume.
Après la Tunisie, la révolte sociale a gagné l’Algérie. Depuis
plusieurs jours, Alger est en proie à un soulèvement populaire
sans précédent depuis la guerre d’indépendance. Les masses
populaires, mais aussi la classe moyenne, ruinées par la crise
économique et la hausse spectaculaire du prix des produits de
première nécessité, ont envahi les rues de la capitale.
Aux dernières nouvelles, le président Bouteflika et la minorité
aisée qui met depuis des années le pays en coupe réglée auraient
quitté Alger.
Au Maroc, de grandes manifestations se sont mises en branle : la
richesse du pouvoir royal, les palais immenses qui narguent, à
travers tout le pays, la misère du peuple entassé dans la
précarité des médinas, a suscité une réaction de grande ampleur.
Dans ce pays, la révolution semble mieux organisée, par une
opposition bien structurée.
Partout, les opposants à ces gouvernements corrompus
s’organisent grâce à internet.
C'est ainsi une révolution populaire qui secoue le Maghreb, un
mouvement unique qui tente sa chance, pour la démocratie et le
bien social. Mais, sans notre aide, sans notre cri, elle va
s'éteindre dans la répression. Et cette chance sera perdue pour
eux et pour nous, pour encore trente ou cinquante ans.
C'est d'eux, pourtant, dont nous avons besoin, pas de
l'anti-culture états-unienne.
Hélas, nos gouvernements s’accommodent très bien de ces régimes,
qui leur assurent obédience et stabilité au Maghreb.
Criez, disais Voltaire, criez! L'opinion publique fait trembler
les trônes des tyrans. Contre les assassins juridiques, il n’y a
d’espoir que dans le cri public! Que l’opinion publique braille
aux oreilles de nos dirigeants! Que l’opinion publique exige!
Alors, crions! Crions! Crions-le à la Terre entière!
N'abandonnons pas ces femmes et ces hommes, qui espèrent et nous
attendent, sur l'autre rive du grand lac Méditerranée.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques (Ecole
européenne de Bruxelles I)
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