Opinion
Belgique / Maroc -
Ali Aarrass : un citoyen «belge»
Pierre Piccinin
Jeudi 2 juin 2011
Un citoyen belge torturé au Maroc. Le
gouvernement belge laisse faire..
Ce 2 juin, un Belge de 47 ans, ancien
libraire de la chaussée de Gand à Bruxelles, est traîné devant
une juridiction spéciale du tribunal de Salé-Rabat (Maroc).
Traîné. Car il a été torturé, pendant douze
jours : violé au moyen d’un bâton et de bouteilles ; frappé sur
tout le corps (ses jambes avaient changé de couleur ; il a perdu
l’usage d’une oreille) ; il a reçu des injections de produits
chimiques ; il a eu la plante des pieds frappée, jusqu’à faire
éclater la peau ; des décharges électriques sur les parties
génitales.
Cet homme, c’est Ali Aarrass.
Ali a passé son enfance en Belgique. Il y a
étudié, y a fait son service militaire et y a travaillé la plus
grande partie de sa vie. En 2005, Ali est parti pour la ville
espagnole de Melilla, au nord du Maroc, avec son épouse et sa
petite fille, pour y vivre avec son vieux père.
En 2008, la police espagnole l’arrête, à la
demande des autorités marocaines : il est soupçonné d’avoir
participé à l’organisation des attentats de Casablanca, en 2003.
Mais l’instruction du juge Baltasar Garzón
démontre que le dossier est vide : quelqu’un, incarcéré au
Maroc, a donné son nom, sous la torture ; cette personne s’est
depuis lors rétractée ; on lui aurait suggéré le nom d’Ali
Aarrass, qu’elle n’a en réalité jamais rencontré.
Et pourtant, Ali est extradé au Maroc, le 14
décembre 2010.
La sœur et le père d'Ali AARRASS
Le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU s’y était opposé : au
Maroc, le gouvernement s’est lancé dans une chasse à l’homme
effarante et, sur de simples soupçons, plus de 1500 personnes
ont déjà été arrêtées. La plupart ont été torturées.
À cette situation effroyable, se sont ajoutés l’ignominie et le
dégoût : les autorités belges n’ont pas même levé le petit doigt
pour secourir notre compatriote. Le ministère des Affaires
étrangères s’est refusé à « s’ingérer
dans les affaires marocaines »…
Ali et moi sommes concitoyens. Nous appartenons tous les deux à la
même communauté.
Lorsque j’étais en poste au Congo, durant la guerre civile, j’ai
été arrêté. Les services secrets s’apprêtaient à m’interroger à
coups de chicotte, lorsqu’est arrivé le Consul de Belgique, qui
m’a sorti de mon cachot. Était-ce parce que je m’appelle
Pierre ? Les choses auraient-elles tourné autrement si mon
prénom avait été Ali ?
Ainsi, il semble que notre gouvernement, qui est sensé nous
protéger et nous défendre, Ali et moi (et nous tous), estime
qu’Ali peut bien être torturé.
Quand le gouvernement, à qui nous avons confié le pouvoir, se
discrédite de la sorte, il est du devoir des citoyens de lui
reprendre ce pouvoir et de l’exercer eux-mêmes. Par leurs cris.
Le cri de l’opinion publique! Nous allons donc crier ; nous
allons brailler aux oreilles de ces ministres indignes ; et nous
allons les obliger à intervenir.
Qui aurait si peu d’amour propre pour rester silencieux ? Qui ne
prendrait pas quelques minutes de son temps, pour écrire une
lettre, un e-mail, à son député, à son bourgmestre, à un
ministre, au Roi ? Pour que ces gens-là, qui ont abandonné notre
concitoyen, enfin, agissent, et rougissent de honte ? Pour
protéger Ali.
Quand cela sera fait (car c’est le plus urgent), alors, nous demanderons
des comptes à nos irresponsables politiques.
Écrire au Ministère des Affaires étrangères de Belgique :
Adresse du Ministre des Affaires étrangères (Belgique) :
Monsieur le Ministre Steven VANACKERE
Rue des Petits Carmes, 15,
B-1000 BRUXELLES
Courriel :
steven.vanackere@diplobel.fed.be
Site :
Ministère des Affaires étrangères de
Belgique
Á Rabat, nous avons rencontré Khadija RHIADI, Présidente de l'Association
marocaine des droits humains.
« L'affaire Aarrass, c'est une machination terrible. L'affaire
du groupe Abdelkader Beliraj...
Tout vient d'abord d'une vengeance contre un parti politique de
gauche : le gouvernement avait interdit un meeting d'un
mouvement islamiste et le parti socialise leur donné une salle
pour qu'ils puissent quand même organiser leur congrès et
s'exprimer. Parce que les islamistes marocains ne sont pas des
extrémistes et ils ne considèrent plus la gauche comme leur
ennemie. Alors, les autorités ont imaginé ce groupe terroriste
islamiste et ont arrêté les gens, y compris un membre du parti
socialise, pour envoyer un message : vous avez permis ce que
nous avions interdit.
En plus, le rapprochement de la gauche et des islamistes, qui se
battaient auparavant, cela fait peur aux autorités. Et c'est
surtout pour cela que cette affaire a été manigancée.
Donc, l'affaire du groupe Beliraj, tout le monde sait que c'est un
coup monté, pour réprimer cette nouvelle mouvance islamiste
moderne, que le gouvernement ne peut plus stigmatiser comme
avant. Pour faire croire à une grande menace terroriste, on a
arrêté des gens au hasard. Le reste, ce sont des gens qu'on a
arrêté sans raison et on les a torturés pour qu'ils signent des
papiers où ils disent qu'ils appartiennent à la cellule, pour
qu'ils désignent telle personne, tel chef, alors qu'il n'y a
aucun contact entre ces gens. C'est tout juste s'ils se sont
rencontré un jour pour le travail ou dans un café, dans un
magasin. Ils ont cherché des gens qui avaient eu des relations
vraiment banales. Et on a monté cette histoire pour dire :
voilà, nous avons un groupe de terroristes et les islamistes
sont une menace.
Pour faire cela, ils ont d'abord arrêté Beliraj, qui avait été en
Belgique... Alors, peut-être qu'il faisait du commerce d'armes,
peut-être qu'il travaillait avec les services secrets belges...
En ce qui le concerne, on ne sait pas très bien... C'est autour
de lui qu'on a monté toute cette histoire de groupe
terroriste, pour arrêter ce projet islamiste qui est différent
des projets radicaux qu'on connaissait avant. C'est ça la
réalité de cette affaire. Et Ali Aarrass n'est qu'une victime de
cette machination; il n'a rien à voir avec un quelconque groupe
terroriste, qui n'existe pas en réalité.
Alors, maintenant, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement
belge ne fait rien.
Pourquoi il laisse comme ça un de ses
citoyens, se faire torturer. Je ne comprends pas. La Belgique,
c'est pourtant une démocratie. Alors, non, je ne comprends pas.
Vous savez, vous, pourquoi il laisse faire ça, votre gouvernement?
Parce qu'Ali Aarrass est d'origine marocaine? Pas tout à fait
belge, quoi... C'est pour cela? C'est du racisme? C'est comme ça
en Belgique? »
(propos recueillis le 1er juin 2011)
Document:
Site
www.freeali.eu - Facebook :
Libérez Ali Aarrass.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en
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Publié le 2 juin 2011
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