Libye
L'OTAN aurait-elle
oublié l'objet de sa mission en Libye ?
Pierre Piccinin
© photo Pierre PICCININ
(août 2011)
Jeudi 1er septembre
2011
La résolution 1973 du Conseil de
sécurité des Nations Unies, votée le 17
mars 2011, autorise les États membres « à
prendre toutes mesures nécessaires
(…)
pour protéger les populations et les
zones civiles menacées d’attaque en
Jamahiriya arabe libyenne, tout en
excluant le déploiement d’une force
d’occupation étrangère sous quelque
forme que ce soit et sur n’importe
quelle partie du territoire libyen (…),
et pour faire respecter l’interdiction
de vol et faire en sorte que des
aéronefs ne puissent être utilisés pour
des attaques aériennes contre la
population civile ».
Cette résolution, promue par la France,
avait été adoptée alors que le
gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi
bombardait les villes de l’est du pays,
dont les clans et tribus s’étaient
soulevés contre son autorité et où se
développait une rébellion armée (en
cela, la résolution 1973 pourrait
constituer un précédent lourd de
conséquence, dans la mesure où un
gouvernement est légitimement fondé –et
seul dans ce cas- à utiliser la force
pour maintenir l’ordre sur le territoire
de l’État ; le gouvernement libyen, qui
faisait face à une rébellion armée, pour
dictatorial qu’il fût, avait donc ce
droit d’user de la force).
Plusieurs États membres de l’OTAN ont
décidé d’intervenir, avec la bénédiction
de la Ligue arabe, mais qui a par la
suite retiré son aval à l’intervention
dont l’objectif réel, le renversement du
gouvernement libyen, était devenu
évident (de même, plusieurs géants
membres du Conseil de sécurité au moment
du vote, à savoir la Russie et la Chine,
sans toutefois opposer de veto, et
l’Allemagne, le Brésil et l’Inde, ont
refusé de soutenir le texte).
Appuyés par les frappes aériennes de
l’OTAN, les rebelles libyens ont chassé
les troupes gouvernementales des régions
hostiles à Mouammar Kadhafi. Néanmoins,
les rebelles, cela fait, n’ont pas mis
fin à leur mouvement et, après avoir
commencé par envahir la Tripolitaine,
ils attaquent désormais les provinces
fidèles au gouvernement, dont celle de
Syrte, fief des partisans de Kadhafi.
Le conflit, ainsi, entre dans une
nouvelle phase ; et la rébellion, qui,
jusqu’à présent, s’était défendue de la
répression du gouvernement libyen et
libérait les territoires des tribus qui
s’étaient soulevées contre son autorité,
devient à présent l’agresseur en
envahissant les territoires des tribus
fidèles au régime.
Les clans de Syrte, en effet, dont
Kadhafi est originaire, n’ont jamais
fait défection au gouvernement et se
sont opposés aux rebelles de l’est. Il
en va de même des tribus du grand sud,
le Fezzan, dont les chefs de clans
continuent de lutter contre l’invasion
de leur territoire par les rebelles et
les troupes du CNT.
© photo Pierre PICCININ
(août 2011)
Les rebelles, commencent à présent la
conquête de ces régions et bombardent
lourdement les villes qui leur
résistent. L’OTAN, quant à elle,
continue d’appuyer militairement leur
progression.
Or, aux termes de la résolution 1973,
c’est tout le contraire que devrait
faire l’OTAN, qui a reçu le droit
onusien d’intervenir en Libye pour
protéger les civils, mais certainement
pas pour aider une rébellion à conquérir
tout le pays.
La mission de l’OTAN, très clairement et
sans ambiguïté, doit être, maintenant,
de protéger les zones civiles
pro-Kadhafi des attaques des rebelles.
Cependant, dès le début de son
intervention, l’OTAN
a montré ses intentions ; elle a non
seulement empêché le gouvernement libyen
d’utiliser son aviation, mais a offert
la sienne aux rebelles : les frappes des
avions de l’OTAN n’ont pas seulement
détruit les chars du gouvernement
libyen, mais ont aussi attaqué les
véhicules qui transportaient les
soldats, y compris ceux qui se
repliaient, comme nous avons pu le
constater lors de notre séjour
d’observation en Libye, en août, sur la
route qui mène de Benghazi à Brega,
laquelle est jonchée sur toute sa
longueur de carcasses de camions et
d’automobiles qui fuyaient les frappes.
En outre, des instructeurs états-uniens
et français et des éléments de régiments
de commandos britanniques ont été
déployés sur le sol libyen, en totale
violation de la résolution 1973.
L’objectif des six pays de l’OTAN qui
participent aux opérations militaires en
Libye n’est donc pas, de toute évidence,
d’assurer la protection des civiles. Les
bombardements de l’OTAN, qui s’en sont
pris également à des installations
militaires situées à proximité
d’agglomérations densément peuplées, ont
d’ailleurs été à l’origine du décès de
plusieurs centaines de civils (de
plusieurs milliers, selon des sources
gouvernementales libyennes).
L’objectif de cette intervention
occidentale est devenu très clair :
remplacer le gouvernement libyen par un
autre, par les leaders d’une rébellion,
le Conseil national de transition (CNT),
qui s’est constitué à Benghazi (et dont
les leaders, pour la plupart anciens
responsables du régime kadhafiste qui
ont tourné casaque, sont très loin de
pouvoir se réclamer d’un quelconque
fondement démocratique).
Puisqu’il convient « d’appeler un chat
un chat », l’intervention militaire
atlantique, sur le strict plan du droit
international, constitue désormais un
acte de guerre à l’encontre de l’État
libyen et un soutien à une tentative de
coup d’État ; elle se solde en plus par
la mort de nombreux civils, dont les
attaques sur Syrte et le Fezzan risquent
d’accroître considérablement le nombre.
Entre ingérence et néocolonialisme,
c’est le droit international qui,
incontestablement et une fois encore,
est foulé au pied par l’Alliance
atlantique.
© photo Pierre PICCININ
(août 2011)
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