Opinion
Le printemps turc
a-t-il commencé ?
Pierre
Khalaf
Recep
Tayyip Erdogan
Lundi 3 juin 2013
Confronté à l'un de ses plus importants
mouvements de contestation depuis
l'arrivée de son parti au pouvoir en
2002, le Premier ministre islamiste, Recep Tayyip Erdogan, semble dépassé par
les événements. Confusion et hésitation
marquent ses décisions, alors que des
divergences commencent à paraitre au
sein de son état-major politique.
Erdogan a ordonné aux forces de l'ordre
de se retirer en milieu d'après-midi de
la place et du petit parc Gezi, dont la
destruction annoncée a lancé la révolte.
Immédiatement, des milliers de personnes
brandissant des drapeaux turcs ont
envahi les lieux dans une immense
clameur de victoire, ponctuée de
quelques fusée d'artifice. Quelques
heures avant ce repli, M. Erdogan avait
pourtant fermement assuré que la police
resterait sur la place Taksim
"aujourd'hui" et "encore demain" car
elle "ne peut pas être un endroit où les
extrémistes font ce qu'ils veulent".
Sur le même ton, il avait sommé les
manifestants de cesser "immédiatement"
leur confrontation avec la police et
assuré, comme un défi aux manifestants,
que son gouvernement maintiendrait le
projet d'aménagement urbain contesté de
la place qui a mis le feu aux poudres.
Saisi par ces opposants, un tribunal
administratif d'Istanbul a suspendu
vendredi la partie du
projet
qui prévoit la reconstruction d'une
caserne de l'époque ottomane, qui a
cristallisé la colère des manifestants.
Après quelques heures de répit, les
affrontements qui ont embrasé le centre
de la mégapole turque vendredi ont
repris samedi en milieu de matinée et se
sont poursuivis sporadiquement jusqu'au
retrait de la police. A plusieurs
reprises, la police a fait usage de gaz
lacrymogènes et de canons à eau autour
de la place Taksim pour disperser des
petits groupes qui ont riposté par des
jets de pierre, ont constaté des
journalistes de l'AFP.
D'autres échauffourées ont été signalées
un peu plus tôt dans un autre quartier
de la ville, Besiktas, lorsqu'un groupe
de plusieurs centaines de personnes qui
s'étaient rassemblées sur le versant
anatolien de la ville pour rejoindre la
place Taksim a traversé l'un des ponts
qui enjambe le Bosphore et a été
dispersé par la police.
Au sein même du pouvoir, plusieurs voix
se sont élevées samedi pour dénoncer la
réaction disproportionnée des forces de
l'ordre. Peu avant le repli de la
police, le président turc Abdullah Gül
lui-même a lancé samedi un appel au "bon
sens" et au "calme", jugeant le niveau
de la protestation "inquiétant". "Dans
une démocratie, les réactions doivent
être exprimées avec bon sens, avec calme
et, en retour, les dirigeants doivent
déployer plus d'efforts pour prêter une
oreille attentive aux différentes
opinions et inquiétudes", a-t-il ajouté.
Avant le président turc, le vice-Premier
ministre Bülent Arinç avait présenté ses
"excuses" pour les événements
d'Istanbul. "Plutôt que de lancer du gaz
sur des gens qui disent 'nous ne voulons
pas de centre commercial ici' les
autorités auraient dû les convaincre et
leur dire que leurs inquiétudes étaient
partagées", a-t-il ajouté.
Outre la société civile turque, de
nombreuses ONG internationales, la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont
dénoncé la violence de la répression des
manifestations d'Istanbul.
Les autorités turques n'ont publié aucun
bilan officiel des affrontements.
Amnesty International a évoqué vendredi
"plus d'une centaine" de blessés et le
gouverneur d'Istanbul a Huseyin Avni
Mutlu indiqué vendredi que 12 personnes
étaient hospitalisées et qu'au moins 63
autres avaient été interpellées. Le
ministre de l'Intérieur a fait état de
plus de 900 interpellations.
Le mouvement est parti vendredi à l'aube
avec l'intervention musclée de la police
pour déloger quelques centaines de
militants qui occupaient depuis trois
jours le parc Gezi, sur la place Taksim,
pour y empêcher le déracinement de 600
arbres dans le cadre d'un projet
d'aménagement urbain très contesté.
Ameutés par les réseaux sociaux, les
militants associatifs ont afflué pour
prêter main forte aux manifestants et
surtout dénoncer la politique du
gouvernement islamo-conservateur au
pouvoir depuis 2002.
"Ce règne autoritaire doit cesser", a
déclaré samedi à l'AFP Sermin Erdemci,
un employé de banque de 37 ans, "on ne
peut pas réduire les masses au silence,
nous voulons vivre dans une Turquie
laïque".
Si le revenu par habitant a triplé en
Turquie depuis 2002, M. Erdogan est
accusé de dérives autoritaires et de
vouloir "islamiser" la société turque.
Le récent
vote d'une loi
restreignant la consommation et la vente
d'alcool a suscité l'ire des milieux
libéraux.
Dès vendredi soir, la contestation
partie d'Istanbul s'est propagée à
d'autres villes du pays, comme à Izmir
(ouest), Antalya (sud) ou la capitale
Ankara, où des incidents ont opposé la
police à des manifestants qui voulaient
marcher sur le Parlement.
L'opposition politique a pris le relais
de ces critiques en s'affichant avec les
protestataires. "Nous voulons la liberté
et la démocratie dans notre pays", a
lancé samedi le président du Parti
républicain du peuple (CHP) Kemal
Kiliçdaroglu.
Le ministre syrien de l'Information
Omrane al-Zohbi a pour sa part accusé
les autorités turques d'agir de façon
"terroriste" contre le peuple turc, et a
appelé le Premier ministre turc Recep
Tayyip Erdogan à démissionner. "Les
revendications du peuple turc ne
méritent pas toute cette violence et si
Erdogan est incapable d'user de moyens
non-violents, il doit démissionner", a
déclaré le ministre syrien, cité par la
télévision officielle. "Erdogan dirige
son pays d'une façon terroriste et
détruit la civilisation et les acquis du
peuple turc", selon M. Zohbi. "Le fait
qu'il réprime des manifestations
pacifiques prouve qu'Erdogan est
déconnecté de la réalité", a ajouté M.
Zohbi, assurant que "le peuple turc ne
méritait pas toute cette sauvagerie"
(AFP, Reuters).
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