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Observatoire des religions
La plupart des "experts sociaux"
se sont trompés, y compris ceux de la CIA
Le réveil de l’islam est lié à la
modernisation
Philippe Simonnot
La Mecque - Photo webarabic.com
Dimanche 5 août 2007
Le réveil de l’islam est
lié la modernisation, telle est la thèse surprenante des
sociologues américains Rodney Stark et Roger Finke. Certes cette
thèse n’est qu’un aspect mineur de leur ouvrage magistral
Acts of faith [1],
mais elle nous a paru suffisamment importante et surtout
suffisamment éclairante pour que nous la mettions en exergue.
Les visiteurs de ce site connaissent bien le premier de ces
auteurs [2]
Thèse surprenante, parce que l’on considère couramment que le
« revival » islamique s’oppose à la modernité et
qu’il est donc réactionnaire, voire régressif. Cette vision
des choses, totalement erronée pour nos auteurs, proviendrait de
notre croyance dans la sécularisation de la société, croyance
qui remonterait au 18e siècle, « Siècle des Lumières »,
et qui ne reposerait, en fait, sur rien de tangible. Evidemment,
faire du réveil islamique un produit de la modernisation change
complètement la vision que l’on peut en avoir.
On n’est pas très éloigné du point de vue soutenu par Patrick
Haenni [3]
En 1982, Mary Douglas , sociologue bien connue,
remarquait que les experts en sciences sociales n’avaient pas prévu
la « résurgence de l’islam « et demandait :
pourquoi en était-il ainsi ? Ces experts, y compris ceux de
la CIA depuis le début ont échoué à anticiper l’énorme
vitalité religieuse de l’islam à cause de leur foi dans la sécularisation.
Se basant sur le manque apparent de piété des citoyens des
nations islamiques ayant reçu une éducation occidentale et
anticipant la marche rapide de la modernisation, les experts en déduisaient
que la religion ne serait plus un problème et croyaient dur comme
fer que l’aiguille de l’horloge ne tournerait pas à
l’envers. (248)
Les mêmes préjugés continuent à empêcher de comprendre le réveil
islamique actuel – ceci alors que les « fondamentalistes »
musulmans peuvent causer des troubles politiques, ils ne
poseraient aucun problème basique parce qu’ils sont de simples
réactions malheureuses contre la modernité venznt des parties
les plus ignorantes et les plus retardées de la population de
nations pas très modernisées. Tout ceci est une idiotie.
Certes, les membres de l’élite les plus occidentalisés des
sociétés islamiques peuvent avoir été les plus proches de la sécularisation,
mais à côté d’eux le soit disant fondamentalisme islamique a
tiré ses leaders et une grande partie de son soutien des membres
les plus éduqués et les plus privilégiés et ce n’est donc
pas un mouvement réactionnaire des « masses » (248).
L’islam contemporain tire sa force de deux
facteurs importants :
1) l’islam sert couramment comme base institutionnelle de
nationalisme et d’opposition au colonialisme – aux plans
politique, culturel et économique.
Comme David Martin l’a expliqué : « La plupart des
sociétés islamiques ont subi des conditions semblables à celles
de l’Irlande et de la Pologne, étant assujetties à un contrôle
et à une influence étrangères. Ceux qui répandent les versions
des Lumières non seulement n’ont aucune base originelle dans
l’histoire interne des sociétés islamiques mais ils propagent
une idéologie dont la base originelle fait partie de l’histoire
de l’Europe chrétienne et colonialiste.
La religion crée une relation entre les gens et établit un lien
avec un passé triomphaliste, tandis que la sécularisation est
venue avec la dépendance, la faiblesse et l’infiltration étrangère.
Aussi l’intelligentsia, partie prenante au mouvement contre le
colonialisme, était sensible à des définitions fortes de leurs
taditions originelles qui mettaient l‘accent sur la pureté et
l’intégrité islamiques. Ils avaient l’intention de se
moderniser selon leur propre voie et la seule voie suffisamment
enracinée dans leur histoire multi séculaire était islamique [4]
2) En plus de servir les nations islamiques exactement de la même
façon que la piété catholique a servi la Pologne, le Québec et
l’Irlande, l’islam a ajouté l’avantage de n’être pas
monolithique.
Assurément, les croyances non islamiques sont hors la loi dans
beaucoup de société islamiques, et parfois une branche de
l’islam en persécute une autre. En général, cependant, des
conditions d’un marché relativement libre prévalent en islam,
laissant libre cours à la compétition de groupes islamiques
concurrents - un niveau de compétition qui est tout à fait
suffisant pour générer un haut niveau d’engagement religieux [5].
Ici la comparaison doit se faire avec les firmes chrétiennes dans
l’économie religieuse américaine. Alors qu’il y a un grand
nombre de groupes religieux non- chrétiens aux Etats-Unis, en
termes d’inscription ils sont insignifiant et ne pas en tenir
compte ne ferait pas de différence dans l’appréciation des
hauts niveaux de religiosité en Amérique.
La même chose s’applique à l’islam dans le sens que nous ne
devons pas chercher la diversité d’abord en termes de fois non
musulmanes, mais à l’intérieur des frontières de l’islam
lui même . Et à l’intérieur de l’islam, l’état normal
des affaires est le pluralisme.
Etant donné les liens serrés non habituels entre l’église et
l’Etat qui ont caractérisé les sociétés islamiques pour la
plupart de leurs historiens, la pluralisme islamique a été
« une réalité sociologique longtemps cachée par un
pouvoir autoritaire qui ne pouvait pas s’accorder à lui sans
menacer sa propre survie » [6].
Durant les siècle passé ou à peu près, le pluralisme islamique
s’est manifesté ouvertement dans beaucoup de sociétés et a généré
le même degré de mobilisation de masse que celui produit par le
pluralisme [religieux] aux Etats-Unis.
Finalement, les recherches montrent que plus l’environnement
religieux est non régulé et concurrentiel, plus nombre sont les
musulmans prêts à entreprendre leur pèlerinage à La Mecque
(249).
En contradiction flagrante avec la doctrine de la
sécularisation, il semble y avoir une compatibilité profonde
entre la foi islamique et la modernisation – plusieurs études
provenant de diverses parties du monde suggèrent que
l’engagement musulman s’accroît avec la modernisation.
Etudiant les musulmans de Java, Joseph Tamney [4]
a trouvé que l’engagement religieux y était positivement corrélé
avec l’éducation et des situations de prestige. C’est-à-dire :
il y avait plus de chances pour que des gens qui ont été au collège
ou occupé des positions de haut standing prient cinqa fois par
jour, donne des aumônes, jeunbent en accord avec la pratique
islamique orthodoxe que des musulmans de peu d’éductaiuon ou
occupant des emplois de peu de prestige. Tamney a aussi trouvé
que la pratique musulmane augmentait avec la modernisation. Dans
son livre suivant [5]
, Tamney a analysé la « résilience » de la religion :
comment elle a été capable de s’adapter aux défis de la
modernité. (75)
Une étude du mouvement « fondamentaliste » au
Pakistan montre que les leaders sont hautement éduqués (tous
ayant des diplômes supérieurs) et que les supporters du
mouvement sont tirés pour la plupart de la nouvelle classe
moyenne [6]
. Cela est confirmé par des données concernant les étudiants
turcs. Depuis 1978, il y a eu un accroissement remarquable dans le
pourcentage des étudiants de l’Université d’Ankara tenants
d’une foi islamique orthodoxe, et en 1991, l’écrasante
majorité des étudiants se situaient dans cette mouvance. En
1978, 36 % des « étudiants exprimaient la ferme
croyance que « il y a un Ciel et un Enfer », tandis
qu’en 1991, les trois quarts partageaient cette vision des
choses. Même observation chez Kayan Mutlu [7].
Ces étudiants seront les futurs leaders politiques et
intellectuels de la nation, y compris les ingénieurs et
scientifiques. De plus, la Turquie par la plupart des indices est
la plus modernisée des nations islamiques et, depuis les années
1920, a expérimenté des décennies d’irréligion séculière
officielle et semi officielle [...]. De la même façon, il y a eu
des changements brutaux en faveur de la piété islamique parmi
les étudiants au Nigéria, en France et au Sénégal, remplissant
la place laissée vacante par le marxisme.
Bien sûr, ces données sur l’islam sont fragmentaires. Mais
aucun observateur informé n’a besoin de telles données pour détecter
la formidable vitalité de l’islam contemporain et pour se
rendre compte qu’il est en relatioin directe avec la
modernisation. (75).
Les numéros entre parenthèse de ces notes de
lectures renvoient à la pagination du livre.
[1]
Rodney Stark et Roger Finke,Acts of faith, Explaining the human
side of religion, University of California Press, 2000
[2]
cf. Le christianisme à l’origine du capitalisme, dans la
rubrique Christianisme
[3]
cf. L’islam de marché est en marche, dans cette même rubrique
[4]
Tamney, Joseph B. 1979. "Rstablished Religiosity in Modern
Society : Islam in Indonesia." Sociologivcal Analysys,
40
[5]
Tamney 1992, The Resilience of Christianity in the Modern World,
Albany : State University of New York Press
[6]
Ahmad Munmtaz. 1991. Islamic Fundamentalism in South Asia :
The Jamaat-i-Islamiu and the Tablighi Jamaat of South Asia."
in Fundamentalisms observed, edited by Martin E. Marty ad R. Scott
Appleby. Chicago : University of Chicago Press
[7]
Mutlu Kayan. 1996. "Examining Religious Beliefs among
University Students in Ankara", British Journal of Soc iology,
47
Publié avec l'aimable
autorisation de Philippe Simonnot
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