|
Analyse
Affaire Éric Zemmour
:
non à la curée ! oui au
vrai
débat de fond !
mais jusqu'au bout
!
Paul-Éric Blanrue
Éric Zemmour
Venise, le 23 mars 2010
En dix ans à peine, Éric Zemmour est devenu un chroniqueur
incontournable du PAF. France 2, I-télé, RFO, RTL se
l’arrachent. Le public l’aime - ou aime le détester. Sur
facebook, des groupes de fans ou de détracteurs
virulents font florès. Personnalité médiatique la plus
célèbre du pays, il ne laisse personne indifférent. Son
succès est dû à son incontestable talent de débatteur, mais
aussi à son franc-parler et à ses analyses qui se situent à
contre-courant de ce qu’il dénonce comme la bien-pensance de
notre époque : l’idéologie permissive issue de Mai 68. C’est
l’un des plus notables « cliveurs » du pays.
Zemmour s’est tout d’abord fait connaître du grand
public en 2002 avec un best-seller consacré au président
Chirac, L’homme qui ne s’aimait pas. Il a ensuite
explosé, en duo avec Michel Polac puis Éric Naulleau, dans
l’émission de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché », où
il se présente, depuis quatre ans, sous les traits d’un
critique à la dent dure, n’épargnant nulle personnalité du
show-biz et de la politique. Non content de rudoyer, sur les
plateaux télé, les représentants d’un système dont il se
fait fort de dénoncer, chaque samedi, les travers et la
médiocrité, ce polémiste-né se met, peu à peu, à développer
sa propre pensée, qu’il délivre dans des essais et des
romans comme Le Premier sexe, Petit frère et
Mélancolie française, devenu, en quelques semaines,
la première vente « livres » de la FNAC. Dans ces ouvrages
qui ne manquent pas d’ambition (c’est le moins qu’on en
puisse dire), il accuse tour à tour : le féminisme, qui,
selon lui, émascule l’homme moderne et participe de la
décadence française ; le néo-libéralisme et l’Union
européenne, qui mettent la France en charpie ; les
communautarismes issus de l’immigration, qui, d’après son
analyse toujours, proviennent de l’idéologie antiraciste
remontant aux années 80 qu’il convient de dénoncer car elle
contribue à la destruction de l’identité nationale.
N’hésitant pas à se déclarer farouche réactionnaire, il se
pose en admirateur de la France napoléonienne et impériale,
allant jusqu’à regretter « le temps béni des colonies ».
Mais voilà. Passant, au début de sa carrière médiatique,
pour un provocateur de droite, au caractère entier et à
l’impatience sympathique, ce bonapartiste qui se rêve en
héros balzacien, en vient, au fil des débats, à se
radicaliser pour adopter des positions qui le rapprochent de
plus en plus évidemment du Front national, dans sa version
mariniste tout au moins.
L’une de ses plus curieuses obsessions est
l’immigration, associée à une peur quasi pathologique du
métissage. En 2008, ses propos abrupts sur les races font
scandale : il laisse entendre, lors de l’émission «
Paris/Berlin », que l’existence de races est déterminable
selon la seule couleur de la peau, ce qui constitue, de
l’avis quasi général, un réductionnisme extrêmement
malheureux dans une société en proie au racisme latent.
Malgré ses divers dérapages, Zemmour n’est ni condamné, ni
réellement blâmé par sa hiérarchie, ni suspendu d’antenne.
Il poursuit sur sa lancée et multiplie les provocations sans
céder d’un pouce sur ses fondamentaux. Chaque samedi soir,
les invités de Ruquier craignent de subir ses foudres.
Et re-patatras ! Le 6 mars 2010, dans l’émission « Salut
les Terriens » de Thierry Ardisson, il commet le plus gros
dérapage de sa carrière : pour lui, les Français issus de
l'immigration sont plus contrôlés que les autres « parce que
la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est un
fait ». Cette sévère tirade, qu’il assume dans diverses
émissions au lieu de la nuancer (quid de la mafia
russe ou corse ?), de la mettre en perspective ou de la
relativiser en prenant en compte la délinquance en col blanc
(Madoff n’était pas un membre des Black Panthers, que
l’on sache), laisse entendre que les populations immigrées
sont plus dangereuses que les « Français de souche » et
qu’il convient de s’en méfier en priorité. Pour l’opinion,
la xénophobie du personnage ne fait plus guère de doute.
Cette fois, la réaction des associations antiracistes est
immédiate. Le CRAN, le MRAP, SOS Racisme, la Halde et le
club Averroès s’en mêlent. Le CSA est saisi. La LICRA dépose
une plainte, puis la retire après que Zemmour s’excuse
auprès d’elle, en expliquant, un peu tard, qu’il connaît «
trop », pour être qualifié de raciste, « la souffrance
réelle » de ses « compatriotes Arabes et noirs, honnêtes
travailleurs, parents intègres, qui se sentent salis par les
exactions des bandes de jeunes gens qui ont la même origine
qu’eux ». La direction du Figaro réagit vivement et
s’apprête, dit-on (au 23 mars 2010), à le démettre de ses
fonctions de chroniqueur.
Est-ce le début de la déchéance pour ce polémiste qui
massacrait allégrement ses contradicteurs en leur opposant
systématiquement les personnages de l’histoire de France
qu’il admire tant ? Pas sûr, vu la qualité de ses réseaux et
la quantité de ses soutiens…
Il n’empêche, Éric Zemmour est un cas : né en 1958, à
Montreuil (Seine-Saint-Denis), de parents issus d’Afrique du
Nord, il est devenu, en quelques années, le plus grand
pourfendeur de l’immigration après Le Pen ; heureux fruit du
métissage entre la culture berbère et la France, il dénie,
par principe, tout mérite au métissage ; élevé par des
femmes, qui « lui ont appris à être un homme », dit-il, il
dénonce le féminisme avec virulence ; fervent
assimilationniste, il reconnaît que l’assimilation n’est
plus possible telle qu’on l’a tentée ; anticommunautariste
laïc, il se présente comme « juif français » quand on
l’interroge sur son identité ; zélateur du « non
politiquement correct » et de la liberté d’esprit, il a fini
par se constituer, de bric et de broc, son propre système de
pensée, où il s’enferme comme dans une prison, sans jamais
songer à procéder à la moindre autocritique ou adaptation
ni évasion ; vivant de, et par, la provocation, il la
supporte difficilement chez les contestataires qui ne
partagent pas ses opinions politiques et ses goûts
artistiques ; résolument conservateur, il se déclare
antilibéral ; nostalgique de l’Empire français, il décrie
l’impérialisme contemporain qui se camoufle sous le masque
aimable du droit d’ingérence et des droits de l’homme ;
journaliste se consacrant à la description méthodique de la
vie politique française dont il est un fin connaisseur, il
clame, dans le même temps, son droit de représenter le monde
selon les seuls critères de sa subjectivité (son roman
Petit frère, fondé sur un véritable meurtre, ne se
soucie pas de la vérité policière et judiciaire, au grand
dam des familles concernées) ; inlassable pourfendeur du
système médiatique, il se nourrit de ce même système, auquel
il ne semble pas toujours avoir conscience de participer
activement ; amoureux de la langue française et du roman
classique, son métier de chroniqueur le contraint à lire,
chaque semaine, la littérature contemporaine qu’il exècre…
sans compter la chansonnette, d’origine française ou
étrangère cette fois, pour laquelle il n’a définitivement
aucun goût.
Paradoxe incarné, nœud de contradictions pas toujours
maîtrisées, provocateur pris au piège de sa propre
caricature qu’il se doit de cultiver pour continuer
d’exister, polémiste parvenu à ses limites car ne réservant
plus de réelle surprise à son public qui sait d’avance
quelles seront ses réactions, Éric Zemmour mérite toutefois
mieux que d’être ostracisé par les nouveaux inquisiteurs,
calomnié par des imbéciles ou insulté bassement. Il a droit
à sa liberté de parole, même si – et surtout si - la
France ne supporte plus, physiquement, le moindre débat
d’idées un tant soit peu viril. Ce qu’il convient de
faire, dans une démocratie comme la nôtre, c’est de
s’opposer rationnellement à la logique singulière à laquelle
le conduisent certaines de ses postures, et de répondre
intelligemment, point par point, à cet esprit original qui
gâche son talent en diffusant, sous couvert de
non-conformisme, des idées toutes-faites et mal digérées.
Il n’est donc pas question, pour moi, de participer à la
curée générale, cette « meute » dont Zemmour niait
hâtivement l’existence il n’y a pas si longtemps.
Mais il serait bon, surtout, qu’Éric Zemmour daigne, de
son côté, s’engager dans de vrais débats de fond sur des
sujets dont il ne traite jamais (suivez mon regard…). Pour
ce faire, il n’a pas d’autre choix que celui d’ouvrir son
esprit à d’autres modes de pensée que le sien au lieu de les
rejeter avec mépris dans les ténèbres extérieures sous
prétexte qu’ils n’entrent pas dans sa grille de lecture.
Je ne reproche pas à Zemmour d’être allé trop loin,
mais, au contraire, d’être resté en chemin et d’avoir bâclé
ses raisonnements. La critique du réel dans sa totalité
ne peut pas se contenter d’être le relais théorisé des
discussions de comptoirs, comme tend à le devenir la pensée
zemmourienne ; elle peut encore moins se permettre d’arrêter
sa course dans les limites étroites d’une pensée pré-mâchée,
empruntant un élément à Marx et un autre à Maurras, au petit
bonheur la chance. Zemmour doit aller plus loin, plus haut,
plus fort, s’il veut accéder à une vision panoramique (et
non paranoïaque) de l’ensemble du paysage. Qu’il laisse
respirer, deux minutes, Bonaparte, Clovis, saint Louis et
Rachi. Il verra alors que les petits « arabes et noirs » de
France ne sont pas au cœur du problème du monde
contemporain. Ils en sont les victimes, au même titre
que leurs familles et que les autochtochnes de la classe
ouvrière et des classes moyennes, ces fameux « souchiens »
qui souvent les rejettent au plus grand bonheur de ceux qui
tirent les ficelles. C’est ceux-là qu’il faut désigner,
Éric. Les vrais casseurs d’identité. Ce sont eux les maîtres
du grand théâtre. Eux, qui sont situés au sommet de la
chaîne alimentaire. Parcere subjectis et debellare
superbos, dit le poète latin (« Épargner les faibles,
abattre les superbes », Virgile, Énéide, liv. VI, v.
852).
S’en prendre aux malheureux qui n’ont reçu aucune
initiation, aucune éducation, qui ne disposent que des
informations tronquées des médias ou de celles,
surabondantes, du Net dont ils n’ont pas appris à se servir
avec méthode, s’en prendre à eux, dis-je, manque à la fois
de panache et de subtilité. La subtilité, tout est là.
Venez passer quelques jours avec moi à Venise, Éric.
Lorsque nous traverserons ensemble le Ponte
dell’Accademia, sous le grand soleil de midi, j’ouvrirai
la boîte magique dans laquelle vous attendent quelques-uns
des plus vieux secrets des Vénitiens. Et alors, j’en suis
sûr, vous comprendrez…
Pont de l'Académie (Venise)
Paul-Éric Blanrue, auteur de Sarkozy, Israël et les
juifs, Oser dire, 2009
A commander sur :
http://www.oserdire.com
http//www.amazon.fr
http://www.fnac.com/
ou chez votre libraire habituel
Publié le 24 mars 2010 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Sommaire Paul-Éric
Blanrue
Dernières mises à
jour
|