L'assassinat de Pierre
Gemayel, ministre de l'industrie et membre d'une des plus
importantes familles chrétiennes maronites du Liban, fait
craindre une déstabilisation supplémentaire de ce pays. La
Syrie est-elle en train de vouloir reprendre le contrôle du
pays? Le Liban risquerait-t-il de s'enfoncer de nouveau dans une
guerre civile qui opposerait cette fois le Hezbollah chiite
pro-syrien à une alliance chrétiens, musulmans sunnites et
druzes, adversaires de Damas ?
Avec l'assassinat de
Pierre Gemayel, c'est le seizième attentat contre des
personnalités anti-syriennes mené depuis deux ans. Les soupçons
se sont immédiatement portés sur Damas. La Syrie, jouant sur
la théorie du complot si souvent en vogue au Proche-Orient,
souligne qu'elle est la perdante de l'affaire. Alors qu'on
parlait de sa réintégration dans le jeu régional, acceptée
par les Américains en échange d'une aide indirecte sur le
dossier irakien, elle est de nouveau mise en accusation. Le
Hezbollah, qui avait fait démissionner ses ministres pour empêcher
justement l'approbation du tribunal international, a été empêché
de manifester contre le gouvernement. Ce dernier a au contraire
été renforcé, et 800.000 personnes (soit le cinquième de la
population) ont participé, dans la dignité, aux obsèques de
Pierre Gemayel. Les chrétiens, qui étaient divisés, ont montré
leur unité.
Le Liban peut-il
replonger dans la guerre civile qui a failli conduire le pays à
sa perte dans les années 80 ? Quelques indices peuvent le
laisser craindre : il y a de nouveau des clivages
ethnico-confessionels très vifs, tout comme des puissances extérieures
régionales ou non (Syrie, Israël, Iran, France, Etats-Unis)
aux agendas bien différents. Mais l'histoire pourrait avoir,
pour une fois, porté ses fruits : les Libanais ne veulent pas
d'un suicide collectif. Les chrétiens sont conscients
d'ailleurs qu'un nouveau déchirement risquerait de les emporter
durablement, voire définitivement.
Le Hezbollah, à la
croisée des chemins, est considéré comme étant à la fois un
mouvement national libanais profondément enraciné dans le
pays, et un allié de la Syrie et de l'Iran. Selon qu'il privilégie
l'un ou l'autre aspect, il peut ou non être un facteur déclenchant
d'une nouvelle guerre civile. L'intérêt de la coalition du 14
mars, le front anti-syrien, devrait être de ne pas le pousser
à des extrémités irréversibles.
Le Hezbollah peut être
tenté de jouer la carte nationale, les tendances démographiques
et politiques jouant en sa faveur. Mais penser qu'on pourra
avoir un règlement global sur le Liban en l'absence d'un règlement
global au Proche-Orient est illusoire. Le Liban est, entre
autres, la victime indirecte du conflit israélo-palestinien.
Tant que celui-ci ne sera pas résolu, le Liban ne pourra pas
vivre une paix véritable et durable. Tony Blair a absolument
raison de souligner avec constance qu'on ne pourra pas avancer
vers une stabilisation de la région tant qu'on n'avancera pas
sur le dossier israélo-palestinien. Irak, Liban, Palestine :
chaque dossier est isolément extrêmement complexe. Mais leur
solution est interconnectée. L'enjeu majeur pour Blair est que,
si son analyse est stratégiquement impeccable, il a jusqu'ici
toujours été incapable de la faire partager par George W.
Bush, ou peut-être seulement verbalement. Tant que ce dernier
ne voudra pas se saisir à bras le corps du dossier israélo-palestinien,
il y a plus de risques que la situation stratégique globale
dans la région ne s'améliore pas, mais au contraire se dégrade.