28 novembre 2008
Invité au Salon International du Livre
d’Alger, les 1er et 2 novembre, j’ai été interrogé sur l’image
du monde musulman dans les médias occidentaux. Je citais un
sondage qui venait d’être publié par le Journal
du Dimanche selon lequel les Français étaient prêts à voter
pour un Noir à la Présidence de la République à 82%, pour un
Asiatique à 72%, mais seulement pour un peu plus de 50% pour un
Arabe ou un musulman. Ce sondage, tout en montrant l’ouverture
d’esprit des citoyens français, prouvait néanmoins qu’il y avait
une différenciation d’appréciation. Dans ce que l’on appelle les
représentants de la diversité, les Arabes et/ou musulmans étant
jugés moins positivement.
J’indiquais qu’il y avait plusieurs facteurs
qui venaient expliquer ce traitement particulier : l’héritage de
la guerre coloniale en Algérie, les effets de l’exportation du
conflit du Proche-Orient en France, du 11 septembre et, enfin,
les problèmes d’intégration.
Les échanges ont été de bon niveau, même si,
à quelques reprises, j’ai dû répondre aux sempiternelles
questions sur le complot ou sur l’existence d’un lobby juif qui
expliquerait cette mauvaise image du monde musulman. J’ai réfuté
ces théories du complot qui n’expliquent rien. J’ai indiqué
qu’il y avait plutôt des préjugés, des idées reçues, qui
expliquaient cela, sans qu’il y ait besoin d’un complot. Il ne
faut jamais sous-estimer les a priori, le manque d’information
et les réflexes répétitifs. Quant à l’existence du lobby juif,
j’ai indiqué à celui qui m’avait posé la question que cela ne
voulait rien dire, dans la mesure où les juifs français étaient
d’avis très divers sur la question, qu’il y en avait qui
défendaient coûte que coûte le gouvernement israélien à
l’endroit de la question palestinienne, d’autres qui, au
contraire, même minoritaires, étaient à la tête des mouvements
pro-palestiniens et qu’entre les deux existait une grande
variété de positions.
J’indiquais que les médias avaient leur part
de responsabilité en produisant une image globalement négative
des Arabes et musulmans, trop souvent présentés comme source de
problème (terrorisme à l’extérieur, délinquance à l’intérieur),
que comme un atout pour la France. J’évoquais l’exemple de cette
Française qui voulait récupérer ses enfants au Canada et qui a
séjourné plusieurs semaines en prison. La presse l’a traitée
comme une affaire privée douloureuse. Si au lieu d’avoir été
mariée à un Canadien, elle l’avait été à un Algérien, l’affaire
aurait fait chaque jour la Une et serait devenue sociétale.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’on me
signala, un peu plus tard, qu’un journal algérien de langue
arabe m’attribuait des propos hallucinants sur la dénonciation
d’un complot juif et me faisait dire l’inverse de ce que j’avais
exprimé, ou encore m’attribuait comme réponse des questions qui
m’avaient été posées. Peu après le site de l’Union des patrons
juifs de France, connu pour sa virulence et son caractère
ultra-droitier, reprenait tel quel ce journal arabe pour s’en
indigner et parlait d’une « nouvelle affaire Boniface ».
Elisabeth Lévy reprenait les mêmes arguments assortis du fiel
qui est sa marque de fabrique. Mohamed Sifaoui en faisait autant
le même jour.
Ceci suscite un certain nombre de réflexions.
Si les propos que me prête ce journal en langue arabe avait été
réellement tenus, il n’aurait certainement pas été le seul à en
rendre compte, au vu des nombreux journalistes et de l’important
public présent à la conférence. Ce « journaliste » a publié non
pas ce qu’il a entendu, mais probablement ce qu’il pensait. Le
moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas eu un comportement
professionnel et a fait de la désinformation. Mais l’UPJF,
Elisabeth Lévy et Mohamed Sifaoui ont repris à leur compte cette
affirmation sans même penser à me contacter pour savoir si je
confirmais ou démentais ces propos. On peut d’ailleurs s’étonner
du crédit qu’ils portent à ce journal en langue arabe dont on
peut supposer que, d’ordinaire, ils ne tiennent pas ce qui y est
publié comme vérité absolue ! Qu’Elisabeth Lévy, qui se prétend
journaliste, qui de plus veut s’ériger en juge critique des
médias, ne prenne pas la peine de vérifier auprès de l’intéressé
les affirmations d’une source dont la fiabilité est douteuse, en
dit long sur son absence totale de déontologie. Aux Etats-Unis,
un journaliste agissant ainsi serait disqualifié
professionnellement. Quant à Mohamed Sifaoui, sa réputation de
désinformateur n’est plus à faire, entre son infiltration bidon
au sein d’Al-Qaïda et le restaurant asiatique détruit parce que,
selon lui, les restes d’une enfant disparue s’y trouvait ; mais
ce n’est pas sur le fond que je suis en désaccord avec Sifaoui,
c’est sur ses méthodes de faussaire.
On voit dans cette affaire que les
extrémistes des deux camps se rejoignent pour semer la discorde
et la haine. Le premier camp pour faire croire au lectorat arabe
qu’il y a un complot organisé par les juifs contre eux. La
preuve, étant qu’un intellectuel non-musulman le dit lui-même.
L’autre camp, pour susciter la peur chez les juifs et créer, ou
agrandir un fossé, entre ces derniers et les autres.
A un moment où le climat intellectuel en
France devient plus serein, que le conflit du Proche-Orient
produit moins d’affrontements passionnels en notre République,
il est regrettable que certains veuillent fabriquer des
polémiques à partir de désinformation. Ceci me rappelle
l’affaire Balkans.info – pour laquelle j’ai remporté le procès
en diffamation – qui m’avait également attribué des propos
antisémites lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Lorsque
« l’informateur » de ce journal s’est présenté à l’audience, le
parquet a demandé son expertise psychiatrique : la personne
avait en effet un comportement incohérent et avait été
manifestement instrumentalisée.
Pascal Boniface, directeur
de l'IRIS
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Publié le 28 novembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.