Opinion
Tunisie/Libye :
menace islamiste ?
Pascal Boniface
Pascal
Boniface - Photo IRIS
Mercredi 26 octobre
2011
Le succès beaucoup
plus large que prévu du parti Ennahda
aux élections en Tunisie, les
manifestations devant le domicile du
directeur de la télévision tunisienne
qui avait diffusé le film « Persepolis
», l'annonce que la charia serait la
source de la nouvelle constitution en
Libye ont suscité une vague de
commentaires dans les médias français :
tout ça pour ça ? Les espoirs de
révolution, de démocratie, de
renversement des tyrans vont être
balayés par la prise de pouvoir des
islamistes ?
S'il convient de ne
pas tomber dans l'angélisme, il faut
néanmoins raison garder et ne pas faire
d'amalgames.
Le premier à éviter
est celui qui est fait entre la Tunisie
et la Libye. En Tunisie, il y a eu une
révolution populaire, suivie d'élections
démocratiques qui se sont déroulées de
façon satisfaisante. En Libye, il y a eu
le renversement du dictateur par une
guerre civile avec l'aide d'armées
étrangères.
On peut également
souligner que la force des sociétés
civiles, le statut de la femme, le
rapport à la laïcité sont tout à fait
différents dans les deux pays.
Le second amalgame
à éviter est entre les salafistes, qui
ont manifesté contre le film «
Persepolis » (et qui n'ont pas eu le
droit de concourir aux élections) et le
parti Ennahda. Quand des intégristes
catholiques manifestent en France contre
un film ou une exposition, on ne les
confond pas avec l'ensemble des
catholiques français.
Le parti Ennahda a
eu un succès inattendu. C'est le choix
des Tunisiens. Nous ne pouvons pas
produire la démocratie sous condition de
pouvoir déterminer pour les autres
peuples « le bon choix ».
Le parti Ennahda a promis de respecter
les libertés, de ne pas interdire la
consommation d'alcool et de ne pas
obliger les femmes à porter le voile.
Certes, il peut y avoir un double
discours. On voit quand même mal ce
parti mettre en place de telles
interdictions, non seulement par rapport
à la force de la société civile
tunisienne, mais tout simplement pour
l'impact économique que cela pourrait
avoir sur le tourisme.
Par ailleurs le
parti, tout en étant la première
formation tunisienne, va devoir
gouverner au sein d'une coalition.
Son succès
s'explique également pour une large part
par le fait qu'il a été l'opposant
historique de Ben Ali, que les pays
occidentaux soutenaient justement au nom
de la lutte contre l'islamisme.
On peut être
beaucoup plus inquiet pour la Libye.
Certes l’invocation de la charia ne
signifie pas automatiquement qu’elle
sera la source unique d'inspiration de
la nouvelle constitution. Elle peut être
une source parmi d'autres. L'annonce du
rétablissement de la polygamie est
néanmoins inquiétante. Mais ce qui est
beaucoup plus perturbant concernant la
Libye, c’est la façon dont le Conseil
National de Transition est arrivé au
pouvoir ainsi que les conditions de la
mort de Kadhafi.
N'est-ce pas parce
qu'il a été porté au pouvoir avec l'aide
étrangère que le CNT est obligé de faire
de la surenchère à propos de la charia
pour montrer son caractère national et
écarter le reproche d'être dans les
mains des puissances étrangères ? La
participation des forces occidentales à
la capture de Kadhafi viendra ajouter à
la nécessité du nouveau pouvoir de
renforcer le caractère national de sa
légitimité.
Son lynchage, quoi
que l'on puisse penser du personnage,
suscite le trouble. L'exposition du
corps à Misrata montre que la volonté de
vengeance l'emporte sur celle de
réconciliation. Les exécutions sommaires
de soldats prisonniers, le sort fait aux
Africains ne sont pas admissibles. Le
fait que l’on ait enterré le corps de
Kadhafi dans un lieu secret afin
d'éviter de faire de sa sépulture un
lieu de pèlerinage, est un aveu indirect
qu’il a conservé des partisans,
fussent-ils minoritaires. Au-delà de la
place de la charia dans la nouvelle
constitution, il demeure un risque de
poursuites des violences sectaires en
Libye.
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Publié le 27 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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