Opinion
France, Turquie,
génocide arménien:
l'Assemblée nationale contre l'intérêt
national
Pascal Boniface
Pascal
Boniface - Photo IRIS
Vendredi 23
décembre
2011
L’Assemblée
Nationale vient de voter une loi visant
à pénaliser la négation du génocide
arménien commis par l’empire Ottoman en
1915.
Ce texte pose de nombreux problèmes.
Est-ce au Parlement de légiférer sur
l’Histoire ? Ce n’est pas vraiment dans
la tradition démocratique. Ce sont
plutôt les régimes autoritaires qui
veulent imposer une Histoire officielle.
Lorsque l’État dirige le travail des
historiens ce n’est pas bon signe.
Le Parlement français est-il habilité à
légiférer sur l’Histoire des autres pays
? Mais alors, pourquoi ne pas adopter
une loi pénalisant la négation du
génocide des amérindiens par l’empire
espagnol ou des natifs américains par
les Etats Unis ?
L’idée de faire l’Histoire est
dangereuse politiquement. Faire celle
des autres pays dénote un sentiment de
supériorité qui n’est plus d’age à
l’heure de la globalisation. « Ne
faisons pas aux autres ce que nous
n’aimerions pas qu’ils nous fassent » et
« ne nous croyons pas supérieurs aux
autres » sont des principes qui ont été
bafoués. Nous donnons l’image déplorable
d’un pays prompt à donner des leçons, à
juger l’histoire des autres plus
facilement que la sienne.
Si on souhaite que la Turquie se penche
sur son histoire est-ce la meilleure
méthode ? N’avons-nous pas au contraire
créé une réaction de crispation et
donner un coup de pouce aux ultra
nationalistes et aux négationnistes ?
Que ferons-nous par ailleurs si le
Parlement turc adopte une loi pénalisant
la négation du génocide vendéen ou des
crimes de guerre de l’époque coloniale ?
Nous serions scandalises !
La Turquie doit reconnaitre le génocide
arménien. En le faisant, elle ne se
diminuerait pas, elle se grandirait.
Mais elle ne le fera pas sur
l’injonction du Parlement français.
Les députés qui ont adopté ce texte
l’ont fait pour satisfaire des
associations arméniennes. Il est tout à
fait normal que celles ci veulent
développer le devoir de mémoire par
rapport au génocide dont leurs ancêtres
ont été victimes, mais cela ne passe pas
par la loi.
En privilégiant leur intérêt électoral à
court terme, les députés qui ont adopté
ce texte ont méconnu l’intérêt national.
La Turquie est un pays émergent. Une
puissance montante avec laquelle nous
avons des intérêts, non seulement
économiques mais aussi et surtout
politiques et stratégiques. Ils sont
durablement atteints par ce vote.
Affirmer comme le font certains que ce
vote n’est pas un acte d’hostilité à la
Turquie et que cela n’affectera pas les
relations entre la Turquie et la France,
est une insulte à l’intelligence.
La France se prive de marges de
manœuvres internationales sans aider,
bien au contraire, à la réconciliation
entre la Turquie et l’Arménie à
reconnaitre le génocide arménien. Et
qu’on ne vienne pas dire que la morale a
conduit à négliger l’intérêt et
favoriser les principes et donc qu’elle
justifie ce vote. Car ici, ce ne sont
pas les principes qui ont été
privilégies mais l’intérêt électoral, au
détriment de l’intérêt national. Si
demain l’électorat d’origine turc
dépasse celui d’origine arménienne, les
députés abrogeront-ils la loi ? Peut-on
faire dépendre notre politique
extérieure du poids des communautés qui
fondent la France, et se plaindre après
cela du communautarisme ?
Les évolutions stratégiques en cours ne
sont pas naturellement favorables à la
France. Sa place dans le monde est
remise en cause. Si on veut la
conserver, il faut agir avec encore plus
d’intelligence qu’auparavant. Des hommes
d’états sont comptables de l’intérêt
national à long terme du pays. Des
hommes politiques sont intéressés par
leur réélection. Les seconds ont prévalu
sur les premiers.
PS : Prévoyant à l’avance la
réaction de certains de mes amis, je
réaffirme préventivement, une fois
encore, que dans ma célèbre note au PS
de 2001 sur le conflit du Proche-Orient,
je ne préconisais pas du PS d’adopter
une attitude plus favorable à la
Palestine « parce qu’il y a plus
d’arabes que de juifs » comme veut le
faire croire la campagne de
désinformation à mon encontre, mais en
fonction de principes universels. Je
soulignais que ceux-ci devaient
prévaloir sur le poids des communautés.
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Publié le 25 décembre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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