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IRIS
Raymond Aron et les bombardements de Gaza
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Lundi 19 janvier 2009
« Israël, depuis 1948 jusqu’à ce jour, agit en
fonction d’une doctrine de sécurité dont l’efficacité militaire,
va en sens contraire de la finalité politique. Si les Israéliens
renforcent leur sécurité militaire, ils réduisent leur chance de
la reconnaissance politique ». Ces lignes n’ont pas été
écrites récemment, mais en 1976 par l’un des plus grands
penseurs politiques français, Raymond Aron. Il publiait
l’ouvrage de référence sur les questions stratégiques, « Penser
la guerre Clausewitz », consacré au grand théoricien prussien.
Raymond Aron ne pouvait pas être considéré comme hostile à
Israël, lui qui s’était opposé en 1967 à la rupture des liens
stratégiques entre la France et l’Etat hébreu, opérée par De
Gaulle. Mais en 1976, il était frappé par la contradiction entre
la puissance militaire d’Israël et l’absence de résultats
politiques que cela lui permettait d’obtenir. Il écrivait qu’en
1956, comme en 1967, les Israéliens gagnèrent des batailles qui
ne leur permettaient pas d’atteindre leur but politique et
risquaient même de les en éloigner.
On connaît la formule de Clausewitz : « La
guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens
». Elle signifie que la guerre est un échec si la victoire
militaire n’est pas accompagnée d’une victoire politique. On
peut faire la même réflexion avec les combats actuels de Gaza.
Au-delà de l’argument moral sur la responsabilité des
bombardements sur les forces militaires du Hamas, qui
obligatoirement atteignent également les populations civiles
vivant à Gaza, on peut légitimement s’interroger sur les buts
recherchés par Israël. S’agit-il, comme cela est annoncé
officiellement, d’affaiblir le Hamas et de renforcer le camp des
Palestiniens modérés qui, autour de Mahmoud Abbas, veulent
établir un accord de paix avec Israël ? Cet objectif pourrait
être largement soutenu au-delà d’Israël, en Europe et dans les
pays arabes. Mais hélas, les affrontements vont exactement
produire l’inverse : Mahmoud Abbas, qui avec une obstination
quasi touchante, poursuit depuis qu’il est élu à la tête de
l’Autorité palestinienne, en janvier 2005, la voie des
négociations avec Israël, n’a jamais rien obtenu en échange. Sa
modération ne lui a permis d’obtenir aucun résultat tangible sur
aucun point (statut de Jérusalem, frontières, sort des réfugiés,
sans parler de la poursuite de la colonisation, de la
construction du mur, maintien des check points, etc.). Il ne
peut se targuer devant les Palestiniens d’une quelconque
amélioration de leur situation, du bien-être économique ou
social des Palestiniens ou d’une quelconque avancée des
perspectives politiques. Il est considéré comme un interlocuteur
fréquentable par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne,
mais ceci ne s’est traduit par aucune avancée concrète.
Le Hamas n’a non plus guère fait avancer les choses. Plutôt que
de lancer des roquettes sur les villes israéliennes, la voie de
la contestation pacifique, comme le démantèlement par des
manifestants du mur qui permet le blocus autour de Gaza, aurait
été plus efficace. Mais ce n’est certainement pas en bombardant
la population de Gaza que l’on rendra le Hamas impopulaire. Tout
au contraire, en période de souffrance, ceux qui résistent le
plus durement, gagnent en crédit. L’espoir que la population
palestinienne se retournera contre le Hamas en le rendant
responsable des bombardements israéliens consiste à prendre ses
désirs pour des réalités. Les populations bombardées en veulent
généralement à ceux qui les bombardent, pas à ceux qui les
dirigent, même s’ils peuvent émettre des critiques sur leur
direction. Même en Cisjordanie, le Fatah est déconsidéré et le
Hamas gagne du terrain. Dans l’ensemble du monde arabe, ceux qui
étaient les plus enclins à négocier avec Israël sont affaiblis,
alors que ceux qui ont les positions les plus critiques sont
renforcés. Il y a encore une contradiction entre l’objectif
politique et l’objectif militaire. Pour atteindre son objectif
militaire de destruction du Hamas, Israël devra nécessairement
augmenter les pertes dans la population civile palestinienne et
augmenter la haine qu’il suscite dans le monde arabe et son
impopularité dans le monde.
Certes, Israël n’a pas à craindre de sanctions de la part de
l’Union européenne et encore moins de la part des Etats-Unis,
mais son image va être fortement dégradée dans les pays
européens et dans le monde, et l’animosité qu’il suscite dans le
monde arabe va augmenter ce qui donnera plus d’impact à ceux qui
tiennent les discours les plus radicaux. Israël s’enferme dans
une posture de supériorité militaire qui éloigne toute
perspective de règlement politique.
Pascal Boniface, directeur de l'IRIS Tous les droits des auteurs des Œuvres
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Publié le 20 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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