17 octobre 2008
Les sifflets entendus au Stade de France le 14 octobre lors
du match France-Tunisie ont suscité une tempête politique. Le
Président de la République a convoqué dès le lendemain le
Président de la Fédération Française de Football. Le Premier
ministre a déclaré qu’il aurait mieux valu annuler le match.
La Fédération Française de Football avait
pourtant pris toutes les précautions, le match a été qualifié de
match de l’amitié, et l’hymne national français a été chanté par
une chanteuse d’origine tunisienne. Exceptionnellement, les deux
équipes ont posé ensemble, et non séparément comme à
l’accoutumée, pour la photo d’avant match. Ils sont rentrés sur
le terrain de la même façon. Le dispositif de sécurité a bien
fonctionné puisque, après le but de Benzema qui portait le score
à 3-1, il a été renforcé pour éviter toute entrée intempestive
sur la pelouse. La Fédération ne pouvait ni refuser de vendre
des billets aux jeunes d’origine maghrébine, ni encadrer chacun
d’entre eux par un policier. Elle est donc, en l’occurrence,
victime et non responsable.
Respect, intégration, racisme, identité
nationale sont les ressorts de cette polémique. Un match de
football entre équipes nationales est ce qui en révèle de façon
la plus certaine les ressorts de l’identité nationale.
L’équipe de France a joué à l’extérieur
devant 70.000 spectateurs qui remplissaient le Stade de France,
stade qui méritait mal son nom ce soir-là. Les supporters de la
Tunisie étaient les plus nombreux et les plus bruyants.
Pourtant, il n’y avait presque que des Français ou des résidents
en France. Il n’y a pas eu de vols spéciaux venant de Tunisie
pour supporter l’équipe nationale. Ceux qui ont sifflé la
Marseillaise sont donc majoritairement des jeunes Français
d’origine tunisienne.
Ils ont donc une identité partagée entre la
France et la Tunisie. Ils encouragent d’ordinaire l’équipe de
France, mais lorsque celle-ci joue contre leur pays d’origine,
leur cœur va à la Tunisie. Ils se sentent donc Français au
quotidien, mais Tunisiens lorsque leur pays de résidence et leur
pays d’origine s’affrontent. Volonté de rappeler ses racines,
volonté de s’exprimer sur un problème d’intégration (ou de
non-intégration), soutien du faible présumé contre le fort
supposé, volonté de défier l’autorité, il y avait tout ce
cocktail pour expliquer ce phénomène aux origines multiples. Il
y a aussi là un problème de génération. Les plus de 40 ans ont
déploré ces sifflets qui ont été le fait de la jeunesse. Il y a
eu également une part de mimétisme des Français d’origine
tunisienne, comme des Français d’origine algérienne ou marocaine
qui avaient déjà sifflé la Marseillaise. Car le problème ce sont
bien les sifflets qui ont accompagné la Marseillaise, et qui ont
ulcéré les responsables politiques, choqué de nombreux Français
et meurtri de nombreux Maghrébins résidant en France. Aurait-il
fallu annuler le match ? On peut penser que cela aurait été un
remède pire que le mal, et que cela aurait pu dégénérer. Ces
sifflets ont été pénibles, mais aucune violence n’a été à
déplorer.
Contrairement à ce qu’ont dit certains
commentateurs, le fait de siffler les hymnes nationaux, n’est
pas exceptionnel. Cela se produit à chaque match international.
La différence est que, généralement, c’est l’équipe visiteuse
qui voit son hymne sifflé. Or, la France hier était supposée
jouer à domicile. En cas d’identité partagée, il est très
différent d’exprimer une préférence envers l’une (soutenir
l’équipe tunisienne) et de l’hostilité envers l’autre (huer
l’hymne français). Lorsque l’équipe des Etats-Unis joue à
domicile contre une équipe latino-américaine, les spectateurs
prennent partie pour cette dernière, mais ne sifflent ni
l’hymne, ni l’équipe américaine.
Lors des deux derniers matchs France-Israël,
le même stade de France était divisé entre ceux qui
encourageaient l’équipe de France et ceux qui applaudissaient
l’équipe d’Israël, mais ni l’équipe de France, ni la
Marseillaise n’ont été sifflées. Cela signifie tout simplement
que la question de l’intégration ne se pose pas de la même façon
pour les Latino-Américains aux Etats-Unis, et pour les Juifs de
France, que pour les Maghrébins en France.
Hatem Bernafa, né tunisien et qui a choisi la
nationalité française pour jouer en Equipe de France, a été le
joueur français le plus sifflé. Par ceux-là mêmes qui
l’idolâtrent ordinairement, qui sont fiers de son parcours et
qui iront l’applaudir chaleureusement le 19 novembre s’il joue
contre l’Uruguay. Mais si ce qui s’est passé n’est pas anodin,
il convient de ne pas non plus dramatiser à l’excès l’événement,
sauf à donner une victoire symbolique aux siffleurs. Ne pas
entamer un match si l’hymne est sifflé pourrait poser des
problèmes de sécurité. Comment évacuer dans le calme un stade ?
Et le fera-t-on si c’est un hymne étranger qui est sifflé ?
Ces sifflets vont malheureusement donner des
arguments à tous ceux qui estiment que les Maghrébins ne sont
pas tout à fait des Français comme les autres. Les jeunes qui
les ont donc déclenchés ont été particulièrement irresponsables.
Alors qu’ils n’avaient probablement pas de projet politique
leurs actes ont eu une grande portée politique. Ils ont voulu
exprimer un malaise vis-à-vis de leur intégration. Ils sont
venus l’aggraver.
Pascal Boniface, directeur
de l'IRIS
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Publié le 17 octobre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.