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IRIS
Charles Enderlin
sous les feux croisés
Pascal Boniface
Mercredi 6 octobre 2010
Le 30 septembre 2000, une fusillade éclate dans la ville
palestinienne de Netzarim. Un père et son enfant essaient de
s’abriter mais l’enfant est atteint par des tirs et va mourir.
La scène a été filmée par un cameraman de France 2 et sera
diffusée sur cette chaîne pour être reprise par pratiquement
toutes les télévisions du monde. Le petit Mohamed El Dura
devient le symbole de l’enfant innocent tué par les soldats de
Tsahal, les tirs provenant des positions de l’armée israélienne.
Ces images suscitent une immense émotion, l’armée israélienne ne
conteste pas la présentation de France 2, mais peu à peu
l’affaire va prendre une autre dimension, et c’est le
journaliste responsable du reportage, Charles Enderlin, qui va
être mis au banc des accusés. Charles Enderlin n’est pas
n’importe qui : c’est un journaliste extrêmement réputé, parfait
connaisseur du Proche-Orient et contre qui il est à priori
difficile de porter l’accusation d’antisémitisme puisqu’il a
notamment la double nationalité franco-israélienne. Depuis plus
de dix ans, Charles Enderlin subit des attaques professionnelles
et des menaces sur lui et sa famille qui l’ont amené à déménager
plusieurs fois et à bénéficier d’une protection.
Les images avaient été filmées par un cameraman palestinien
contre lequel les services israéliens n’avaient jusqu’ici jamais
émis le moindre doute. Une théorie du complot va se mettre en
route. De la même manière que certains ont nié l’existence des
attentats du 11 septembre, certains vont développer la théorie
d’une mise en scène expliquant que l’enfant n’a pas été tué et
qu’il vit tranquillement en Jordanie, ou qu’il l’a été par les
Palestiniens afin de prendre une position victimaire. Charles
Enderlin a reçu de la part d’organisations juives extrémistes le
prix Joseph Goebbels, initiative sympathique pour quelqu’un dont
une partie de la famille a disparu dans les camps de la mort du
nazisme, et plusieurs fois sa tête a été demandée à son
employeur. Heureusement, la direction de la rédaction de France
2 n’a jamais cédé. C’est toute cette histoire que Charles
Enderlin raconte dans son livre, Un enfant est mort (Editions
Don Quichotte) ; les dix ans de galère, d’accusation, de
pression, de harcèlement moral et professionnel, tous les
éléments sont là et la démonstration de Charles Enderlin est
implacable.
Son livre et son histoire suscitent plusieurs interrogations.
Comment expliquer que cette mort ait pu prendre une telle
importance. La journaliste d’Europe 1, Catherine Nay, en a
peut-être livré l’explication lors d’un éditorial, disant que
cette photo allait faire écho à celle de l’enfant juif du ghetto
de Varsovie. Elle a aussitôt été attaquée violemment et on a
publiquement tiré la conclusion qu’elle n’évoquerait plus jamais
le conflit israélo-palestinien. Des enfants tués par l’armée
israélienne au cours d’opérations militaires, il y en a eu des
centaines, mais la force de l’image est telle que la mort en
direct d’un seul enfant a plus d’impact que celle dont on rend
compte en quelques lignes dans les journaux.
Deuxième source de réflexion : s’il n’est pas étonnant que
des extrémistes au profil psychologique curieux, à l’image de
Philippe Karsenty qui fait de la chasse à Charles Enderlin une
raison de vivre et un moyen de subsistance, que la ligue de
défense juive ou l’ex-journaliste Luc Rosenzweig devenu
propagandiste extrémiste (dont on peut lire des mails absolument
délirants dans le livre) aient attaqué le journaliste de France
2, il est beaucoup plus surprenant qu’il ait été partagé par des
personnalités dites modérées ou se disant attachées à la paix.
Alain Finkielkraut, l’ex-ambassadeur israélien en France
redevenu historien Elie Barnavi, ou le président du Crif,
Richard Prasquier, ont également participé sans état d’âme à
cette chasse à l’homme. On a même vu deux journalistes réputés,
Denis Jeambar, à l’époque à la tête de l’Express, et Daniel
Leconte, l’incontournable producteur d’Arte, faire une démarche
auprès d’Arlette Chabot pour mettre en cause Charles Enderlin.
Ils auraient souhaité que cette démarche reste purement
confidentielle ce qui ne fut pas le cas.
Il y a bien sûr la volonté de faire un exemple et d’empêcher
la critique d’Israël sur un plan moral. Charles Enderlin livre
également une autre explication à la formidable campagne dont il
a été la victime. Plus encore que son reportage sur la mort d’un
enfant, ce sont ses livres et documentaires sur l’échec du
processus de paix et la reprise du conflit qui sont en cause.
Charles Enderlin a fait un travail historique remarquable des
événements qui ne sont contestés par aucun des acteurs qu’il a
pour la plupart vu longuement. Ses conclusions tendent à prouver
que, contrairement à ce que vont essayer de faire croire le
gouvernement israélien et ses partisans et relais médiatiques,
ce n’est pas Yasser Arafat qui a décidé d’interrompre les
négociations et de relancer l’Intifada, mais que c’est bien la
répression des manifestations ayant fait plusieurs morts, le
lendemain de la visite d’Ariel Sharon le 28 septembre 2000 sur
l’Esplanade des mosquées, qui est venue susciter une colère
incontrôlée. C’est sans doute cette démonstration historique qui
est reprochée à Charles Enderlin. Il a dit la vérité, il est
normal qu’il soit exécuté.
Pascal Boniface, Directeur de l'IRIS
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Publié le 7 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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