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Le
capital contre l’Islam (partie 1/2)
Abdelaziz Chaambi, Nadjib Achour, Youssef Girard Vendredi
25 janvier 2008
L’adjonction de l’Islam et du
lexique islamique au vocabulaire marchand s’est accélérée ces
dernières années. Nous avons vu l’apparition de produits comme
les sodas, les agences de voyages, les fast-foods, les assurances,
les vêtements, avec des marques de streetwear « islamiques »,
les banques, les bonbons, tous estampillés du sceaux de
l’Islam. On a même vu de l’eau estampée « halal »
et agréé par telle ou telle mosquée.
Ces temples dédiés à la consommation
que sont les grandes surfaces possèdent bien souvent un rayon
« halal » pour attirer le consommateur musulman.
Le mois de ramadan, est l’occasion
pour ces sanctuaires du marché d’organiser des semaines
« spéciales », alliant un folklore orientaliste à
une « islamité » consumériste et superficielle,
permettant de dégager des profits subsidiaires. Tout devient prétexte
à un démarchage « islamique ».
L’Islam est ainsi transformé en
argument publicitaire et s’apparente à un produit, une griffe,
donnant une valeur ajoutée à des produits de consommation. Intégré
par la civilisation capitaliste dans sa logique marchande,
l’Islam est utilisé pour créer de nouveaux marchés et attirer
une nouvelle clientèle puisqu’il est dans la logique du capital
de générer sans cesse de nouveaux « besoins ».
Cette utilisation de l’Islam comme un
« argument publicitaire » permettant de promouvoir un
produit et de lui donner une plus value, pose le problème de la réification,
telle que le philosophe hongrois Georg Lukacs l’a expliqué dans
Histoire et conscience de classe, c’est-à-dire la
transformation, par le capitalisme, de tous les rapports sociaux
et de toutes les formes culturelles en choses et en rapports
« chosifiés » ce que Karl Marx appelait le « fétichisme
inhérent au monde marchand ».
Ainsi, le capitalisme transforme les
Hommes, et les rapports entre les Hommes, les cultures, les
spiritualités en marchandise. Pour Georg Lukacs, toutes les
relations et toutes les pensées dans la civilisation capitaliste
deviennent inéluctablement des rapports marchands.
Par ces rapports marchands, les Hommes,
les cultures et les spiritualités, dans notre cas l’Islam, sont
intégrés à la dynamique du capitalisme. Les Hommes, les
cultures et les spiritualités sont asservies à l’idéologie de
la marchandise et c’est pourquoi il devient facile de convaincre
les individus de consommer.
La création d’une gamme de produits
estampillés « islamiques » permet au marché de
trouver de nouveaux débouchés et au capital d’étendre sa sphère
de contrôle participant ainsi à la réification de l’Islam qui
devient un argument commercial. Ainsi, lorsque les capitalistes
parlent de la vie, des Hommes, des cultures ou des spiritualités,
et dans notre cas d’Islam, c’est un euphémisme pour évoquer
le marché.
Ce matérialisme, bassement consumériste,
inhérent à la civilisation capitaliste, et aux logiques qui la
sous-tendent, ne peut aboutir qu’à la dissolution de toutes
formes de spiritualité. De l’Islam ne sont préservés qu’une
forme purement juridique et les aspects formels, au détriment de
sa dynamique spirituelle dont les effets directs sont la
transformation de l’Homme et de la société.
La civilisation capitaliste se définissant
par une dynamique d’accumulation par dépossession, ne peut que
s’étendre à l’ensemble du globe et à tous les secteurs de
l’existence humaine en détruisant tout ce qui risque
d’entraver la logique du capital comme les spiritualités et les
cultures non-marchandes.
Décrivant ce système Georg Lukacs écrivait
« que l’évolution du capitalisme moderne ne transforme
pas seulement les rapports de production selon ses besoins, mais
intègre aussi dans l’ensemble de son système les formes du
capitalisme primitif qui, dans les sociétés pré-capitalistes,
menaient une existence isolée et séparée de la production, et
en fait des membres du processus désormais unifié de
capitalisation radicale de toute la société […].
Ces formes du capital sont certes
objectivement soumises au processus vital propre au capital, à
l’extorsion de la plus-value dans la production même ;
elles ne peuvent donc être comprises qu’à partir de
l’essence du capitalisme industriel, mais elles apparaissent,
dans la conscience de l’homme de la société bourgeoise, comme
les formes pures, authentiques et non falsifiées du capital.
Précisément parce qu’en elles
les relations, cachées dans la relation marchande immédiate, des
hommes entre eux et avec les objets réels destinés à la
satisfaction réelle de leurs besoins, s’estompent jusqu’à
devenir complètement imperceptibles et inconnaissables, elles
doivent nécessairement devenir pour la conscience réifiée les véritables
représentantes de sa vie sociale ».
Par ce processus de réification, le
capital prend le pas sur les impératifs humains, culturels et
spirituels non-marchands. Dans cette logique, l’Islam doit être
transformé en une valeur marchande quantifiable. L’Islam est
soumis au règne de la marchandise qui asservit l’Homme en
le rendant étranger à lui même.
Au sein de la civilisation capitaliste,
la marchandise, et donc cet « Islam » qui a été
transformé en objet marchand, ne vaut que par l’argent.
L’argent est l’équivalent général qui voile la nature réelle
des échanges auxquels il est utile. Dans la civilisation
capitaliste, la loi suprême est celle du profit, légitimée par
une anthropologie faisant de l’individu, l’Homo
oeconomicus, un être visant uniquement son intérêt
personnel.
La soumission progressive de tous les
aspects de la vie humaine aux exigences de cette logique du
capital déstructure les rapports humains, le lien social. Elle
produit une civilisation purement marchande. Dans cette
civilisation, les Hommes ne sont plus perçus qu’au travers de
données statistiques, quantifiables et économiques, comme leurs
pouvoirs d’achat, leurs capacités à engendrer du profit et
leurs aptitudes à produire, à travailler et à consommer.
Comme l’écrivait Karl Marx dans
cette civilisation « l’homme n’est plus rien ».
Cette civilisation capitaliste tend à
créer un monde sans « extérieur » où tout
est soumis au capital. A ce propos, Georg Lukacs écrivait que « les
« lois naturelles » de la production capitaliste ont
embrassé l’ensemble des manifestations vitales de la société
et que - pour la première fois dans l’histoire - toute la société
est soumise (ou tend au moins à être soumise) à un processus économique
formant une unité, que le destin de tous les membres de la société
est mû par des lois formant une unité ».
Selon le philosophe hongrois, « le
monde réifié apparaît désormais de manière définitive - et
s’exprime philosophiquement, à la seconde puissance, dans l’éclairage
« critique » - comme le seul monde possible, le seul
qui soit conceptuellement saisissable et compréhensible et qui
soit donné à nous, les hommes ».
Face à cette civilisation
capitaliste sans « extérieur » Georg Lukacs pensait
qu’une modification radicale du point de vue était possible sur
le terrain de la société bourgeoise. Dans le cas qui nous intéresse,
comment est-il possible de lutter radicalement, c’est-à-dire en
prenant le problème à la racine, contre la réification de
l’Islam, contre sa transformation en valeur marchande ?
A suivre…
Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,
Ed. de Minuit, Paris, 1960, page 94
Marx Karl, Misère de la Philosophie, Ed. Costes, Paris,
1950, page 57
Lukacs Georg, Histoire et conscience de la classe,
op. cit., page 93
Abdelaziz Chaambi, membre fondateur de Divercité. Il
est également membre du Collectif des Musulmans de France.
Nadjib Achour
Youssef Girard
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Publié le 29 janvier 2008 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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