Opinion
Quand Bruxelles
censure Dieudonné
Olivier Mukuna
Samedi 26 mai 2012
Une
première européenne : la police
bruxelloise a empêché manu militari
le spectacle de l’humoriste Dieudonné !
Malgré l’absence de violences ou «
d’incitations à la haine », des
moyens répressifs disproportionnés ont
été déployés : dix fourgons, une
autopompe anti-émeutes, plus d’une
centaine de policiers ! A la clé :
menaces de tabassage et d’arrestation de
300 spectateurs si la représentation se
poursuivait … A la lumière d’un
manifeste censuré d’Albert Camus (1),
voici l’unique reportage de cette soirée
hallucinante. En opposition à une
désinformation médiatique qui masque une
question centrale : laisserons-nous
écraser nos libertés par le lobby
pro-israélien et sa police politique ?
Bruxelles, 9 mai 2012, 19h00. Une
interminable queue patiente le long du
Fiesta Club. Située Quai des usines, la
spacieuse boîte de nuit s’apprête à
accueillir plusieurs centaines de
personnes pour le dernier spectacle de
Dieudonné : « Rendez-nous Jésus
». Initialement prévu la veille, à
Roosdaal, le one-man-show a été annulé
in extremis par le propriétaire de la
salle. Harcelé et menacé par la police
fédérale, l’exploitant du Roosdaal
Palace a finit par jeter l’éponge
(2). Solution de rechange : le Fiesta
Club.
Autour du nouveau lieu, l’air est
électrique. Les regards, parfois
inquiets. Une question domine toutes les
autres : « le spectacle aura-t-il lieu ?
». Depuis 2009, pour assister aux
représentations de Dieudonné à
Bruxelles, il faut vraiment le vouloir !
Et abandonner toute idée de confort.
Aucune affiche, Aucune pub, aucun relais
médiatique. Tout s’apprend via Internet
pour, souvent, s’adapter à un changement
de salle de dernière minute imposé par
des censures politiques, fallacieusement
déguisées en risques de « troubles à
l’ordre public » (3).
20h30. Fiesta Club, bondé ! Dieudonné
monte sur une scène improvisée sous les
applaudissements de 700 spectateurs.
Dense, satirique, subversif, le champion
de l’humour noir dynamite sujets tabous
et injustices comme aucun humoriste
francophone n’ose ou ne peut le faire.
L’affaire DSK, journalistes, musulmans,
juifs, gays, Camerounais, Chinois,
Québécois ou Belge : chacun en prend
pour son grade. Y compris la vingtaine
de policiers en civils dans
l’assistance. Une heure quart plus tard,
concluant par un paisible et jésuitique
« Aimez-vous les uns les autres !»,
l’artiste remercie son public. Ovations
à tout rompre.
En écho nous revient
un manifeste d’Albert Camus,
censuré en 1939 et exhumé en mars
dernier. L’écrivain, également
journaliste, y définissait « les
conditions et les moyens par lesquels la
liberté peut être non seulement
préservée mais encore manifestée. Ces
moyens sont au nombre de quatre : la
lucidité, le refus, l’ironie et
l’obstination. »
La lucidité
Au lieu de retrouver les « coulisses
», Dieudonné ne quitte pas la scène. Il
annonce que la police ne veut pas d’une
seconde représentation. A plusieurs
reprises, l’humoriste invite un
représentant des forces de l’ordre à
venir expliquer les raisons de cette
soudaine interdiction. Monte une clameur
du public : « Assumez ! Assumez !
Assumez ! ». Dehors, 300 personnes
détentrices d’un billet, patientent pour
pouvoir entrer. Aucun pandore ne viendra
donner la moindre explication …
Visiblement très tendu, le
propriétaire du Fiesta Club,
Olivier Da Silva,
rejoint Dieudonné sur scène. Et
prend le micro : « A Bruxelles quand
vous faites des one-man-show, vous êtes
dans l’obligation de transmettre un
dossier à la Ville de Bruxelles, qui
accepte ou qui refuse – ce que je n’ai
pas fait vu qu’on n’avait que 24 heures.
Il se fait que les gens qui font leur
travail savent que ça se passait ici :
ils sont là ! Gentiment, ils ont accepté
que M. Dieudonné termine le spectacle,
maintenant, et ne donnent pas leur
accord pour le deuxième vu que je
n’avais déjà pas l’accord pour le
premier ». Directement conspué à
l’énoncé de ses derniers mots,
l’exploitant rétorque : « Ça ne sert
à rien de huer : ces gens-là ont laissé
le spectacle se terminer ». «
J’aurais bien aimé voir comment ils
auraient pu m’arrêter ?! »,
interrompt Dieudonné, soulevant
l’approbation générale.
Rapport de forces et résistance
citoyenne. Totalement solidaire de
l’artiste, les 700 spectateurs refusent
de quitter les lieux ! Objectif :
permettre au second public d’assister au
spectacle qu’ils viennent de voir. La
tension monte. Des débuts
d’échauffourées éclatent aux deux
extrémités de la scène. Les
perturbateurs sont rapidement soustraits
par la sécurité. Dieudonné réitère les
appels au calme : « Pas de
violences, s’il vous plaît ! Pas de
violences ! ». Et d’ajouter : «
Evidemment, ce sont des agitateurs de
l’extérieur qui viennent … ». «
C’est la police qui fait ça ! »,
hurle une spectatrice. « Oui, c’est
fatiguant », répond Dieudonné. «
Mais je pense que la résistance veut
que, puisqu’ils ne veulent pas laisser
entrer, on va attendre un petit peu
…». Nouvelle ovation à
tout rompre ! Et nouvelle intervention «
élégante » de Da Silva auprès de
l’humoriste : « Ou tu marches avec
moi et il n’y a pas de problème ou tu
les allumes et ça va partir en couilles!
».
A cet instant précis, près de dix
années de boycotts, d’annulations, de
censures et de harcèlement judiciaire se
cristallisent dans l’esprit de
l’artiste. « La meilleure façon pour
que tout se passe bien et dans le calme,
c’est que je puisse faire cette deuxième
représentation ! », objecte
Dieudonné à Da Silva. « Je suis
désolé que ça se passe chez toi, mais
est-ce qu’on doit accepter cette
injustice ? C’est ça la question ! Moi,
je suis patient. On est patient. Ce
peuple est patient : c’est fatiguant ! Y
en a même pas un (policier, ndlr)
qui va venir nous parler ! Dans notre
dos, encore une fois ! »,
conclut-il, excédé. Redoublement des
cris solidaires du public. Olivier Da
Silva disparaît. Provisoirement.
« La vertu de l’homme est de se
maintenir en face de tout ce qui le nie
», écrivait Camus, il y a
73 ans. Devant l’extrême tension de la
situation, d’autres mots du manifeste de
l’écrivain restent furieusement
d’actualité : « La lucidité suppose
la résistance aux entraînements de la
haine et au culte de la fatalité. Dans
le monde de notre expérience, il est
certain que tout peut être évité. La
guerre elle-même, qui est un phénomène
humain, peut être à tous les moments
évitée ou arrêtée par des moyens
humains. »
Le refus
« Ecoutez, je crois qu’ils
veulent que j’aille négocier quelque
chose », annonce soudain Dieudonné,
souriant. « Ce que je vous propose,
c’est de rester là jusqu’à mon retour
». Trois minutes plus tard, l’humoriste
remonte sur scène : « Bon, les amis,
vous pouvez y aller, vous pouvez sortir
: les gens sont en train de rentrer !
». Une cri de victoire retentit à
travers la salle. Les 700 spectateurs
sortent ; 300 autres prennent leurs
places. Dieudonné entame sa seconde
représentation. Pour vingt minutes …
Aux cris d’« Arrêtez ! Arrêtez !
», Da Silva déboule sur scène flanqué
d’un vigile menaçant. Proche de la crise
de nerfs, le manager du Fiesta Club
menace ouvertement l’artiste: « Fais
gaffe à toi ! J’ai été gentil avec toi :
fais attention à ce que tu vas faire !
Calme tout le monde ou je commence par
toi ou par lui ! Ici, t’es chez moi !
». Avec sang-froid, Dieudonné ramène son
interlocuteur sur terre : « Tu ne
peux pas me menacer. Il faut que ça se
fasse calmement. Ce que je veux dire,
c’est qu’on est nombreux ici … Donc il
faut vraiment que ça soit calme, ok ?!
». Un ton plus bas, Da Silva implore : «
Il y a une demi-heure, j’ai demandé
de stopper parce qu’on m’oblige à
stopper. Le problème, c’est que ces
gens-là (les policiers, ndlr)
vont se rebeller sur nous et nous, on
n’a rien avoir : on t’a accueilli les
bras ouverts ». Chargé de la
sécurité de l’humoriste, Joss
Elise enchaîne : « Je vais
vous demander de respecter. Il a la
pression ! Et il y a du monde qui vous
attend dehors ! On va sortir calmement
». Cris et huées fusent de toutes
parts ! Davantage que le public
précédent, les spectateurs n’ont aucune
intention de se laisser voler leur
soirée …
Dieudonné reprend alors la parole : «
C’est un spectacle comique : on
n’est pas là pour faire autre chose que
s’amuser. Ma propre équipe me dit que
les policiers veulent rentrer et taper
sur tout le monde… On va certainement
arrêter pour éviter… On pourrait …
mais vous avez vu l’ambiance générale.
On est des résistants. C’est vrai qu’on
est face à une injustice hallucinante et
que j’ai été, dans le passé, plutôt
conciliant. Aujourd’hui, je suis fatigué
! Ces gens-là me fatiguent, ils
m’empêchent de travailler, ils
m’empêchent de m’exprimer. On est là
pour rigoler : on m’envoie des cars de
policiers. Putain, est-ce qu’il n’ont
pas du boulot ces gens-là ?! ».
Plus compréhensive, la foule est
désormais au diapason de l’artiste. Ce
qu’elle fera dépendra de ce qu’il dira.
Dieudonné décide de sauver son public
d’une ratonnade programmée : « Ce
que je vous propose, c’est de terminer
ce spectacle à un autre moment. Vous
allez sur Internet, on vous dira comment
ça se passe. Il va falloir qu’on trouve
un endroit. C’est pas facile ! Mais je
reviendrai pour vous : ça , c’est sûr !
». Les 300 spectateurs quittent le Club
et se retrouvent nez-à-nez avec plus
d’une centaine de policiers. Une
auto-pompes anti-émeutes à 50 mètres des
lieux (4)…
Parenthèse médiatique. Excepté
l’auteur de ces lignes, aucun
journaliste n’a assisté à cette première
européenne, made in Belgium,
consistant à censurer un artiste en
pleine représentation. Pour pondre un
papier sur cette dérive, Marc
Metdepenningen, journaliste au
Soir, siphonne la propagande
frelatée des Autorités. Sans peur du
ridicule : « Une personne aurait
harangué la foule, l’invitant à faire le
salut nazi. La police a dressé un
procès-verbal à l’encontre de Dieudonné
pour incitation à la haine raciale
». Parmi 700 spectateurs, un illuminé
lève le bras, poing serré; le rabaisse,
puis le relève à nouveau, main tendue.
Aussi étrange que regrettable. Mais
insinuer que le trublion a invité la
foule à faire de même alors que personne
ne l’avait remarqué, ce procédé porte un
nom : désinformation.
Metdepenningen conclut avec un
historique judiciaire à moitié mensonger
: « En mars dernier, il s’était
produit à Herstal devant près d’un
millier de personnes. Le parquet de
Liège a ouvert une enquête en raison de
propos antisémites tenus à l’occasion de
cette représentation. Dieudonné a déjà
été condamné à trois reprises en France
pour antisémitisme. Son dernier film,
parodie d’Auschwitz financé par des
fonds iraniens, a été interdit de
diffusion. ».
Le parquet liégeois accuse
effectivement l’humoriste
d’antisémitisme, sans pour autant
divulguer ou établir le moindre élément
probant. Malgré l’enregistrement
policier du spectacle d’Herstal (10 mars
2012) et après plus deux mois d’enquête
… D’autre part, ces huit dernières
années, Dieudonné a bien essuyé trois
condamnations pour antisémitisme et a
été relaxé près d’une trentaine de fois
de la même accusation. Ne comptez pas
sur Metdepenningen pour s’interroger sur
« l’éventualité » d’un harcèlement
procédurier contre l’artiste
provocateur.
Enfin, le premier film réalisé par
Dieudonné n’a pas été interdit de
diffusion par le Tribunal des référés de
grande instance de Paris ! Demandant
l’interdiction et 10.000 € de dommages
et intérêts, la Licra s’est vue
déboutée. La juge, Anne-Marie
Suteraud, a notamment estimé
que « malgré son caractère insidieux
et particulièrement outrancier, la
séquence (et non ’le film‘,
ndlr) n’est nullement présentée
comme une thèse scientifique ou sérieuse
et nul ne peut se tromper sur son aspect
parodique » (5) …
Ici également, les mots de Camus
résonnent au présent : « En face de
la marée montante de la bêtise, il est
nécessaire d’opposer quelques refus.
Toutes les contraintes du monde ne
feront pas qu’un esprit un peu propre
accepte d’être malhonnête. Or, et pour
peu qu’on connaisse le mécanisme des
informations, il est facile de s’assurer
de l’authenticité d’une nouvelle. C’est
à cela qu’un journaliste libre doit
donner toute son attention. Car, s’il ne
peut dire tout ce qu’il pense, il lui
est possible de ne pas dire ce qu’il ne
pense pas ou qu’il croit faux. »
L’ironie
Certains l’ont compris : inutile de
gloser indéfiniment sur « la dangerosité
raciste » de Dieudonné, pour les uns, ou
« sa maîtrise quenellière », pour les
autres. Mais plutôt de s’interroger sur
la diabolisation d’un artiste
antisioniste qui conduit élites
politiques et officines du lobby
pro-israélien à violer l’article 25 de
la Constitution comme les libertés
individuelles de milliers de citoyens.
Le tout, maquillé à la hâte par une
presse vénale, plus enthousiaste à
coller servilement aux pouvoirs qu’à
exercer son métier en toute
indépendance.
En 2004 et 2009, le Conseil d’Etat
belge a consacré la liberté d’expression
de Dieudonné. Jurisprudence
systématiquement omise par nombre de
journalistes amnésiques (6). Autrement
dit, Dieudonné, on l’aime ou on le
déteste. On court le voir ou on s’enfuit
en sens inverse. On le soutient ou on
dépose plainte. Mais il est illégal
d’interdire a priori ses
spectacles ! En conséquence, des
bourgmestres censeurs envoient leur
polices harceler et menacer tout
propriétaire de salle en contrat avec la
société de production de l’humoriste.
Agitant la pure fiction de «
bagarres rangées » ou «
d’attentats »; leur promettant des
amendes administratives de plus de
20.000 € (7). Et si cela ne suffit pas ?
Des bataillons de policiers pour
censurer le spectacle en cours feront
l’affaire !
Comment justifier ces pratiques
liberticides dignes de l’ex-URSS ou de
l’Allemagne nazie ? « Après avoir
constaté la tenue de propos
‘xénophobes’, les policiers ont exigé
que l’exploitant interrompe le spectacle
en coupant l’électricité. Les
spectateurs se sont alors dispersés dans
le calme, selon Nicolas
Dassonville, porte-parole du
Bourgmestre de la Ville de Bruxelles
», rapporte La Libre Belgique.
Et d’ajouter sans la moindre réflexion
critique : « Le porte-parole n’a pas
précisé la nature exacte des propos
tenus, mais il a souligné que le ‘PV de
la police avait été transmis au
parquet’, qui pourra entamer des
poursuites.»
Par esprit civique et confraternité
professionnelle, aidons ces braves gens
à repérer les « propos xénophobes
» contre lesquels plus de cent policiers
ont bossé dur le 9 mai 2012. Nous ne
voudrions pas être en reste dans cette
splendide lutte antiraciste d’une
ampleur jamais égalée en Europe !
Passons en revue quelques extraits de «
Rendez-nous Jésus ». Celui-ci
nous semble fort suspect : « La
première religion au Cameroun, c’est
l’argent ! Faites-vous arrêter par un
policier camerounais … » ? Non.
Ridiculiser la corruption en Afrique, ce
n’est pas xénophobe. Dans le registre,
les inoubliables Michel Leeb
et Annie Cordy ont
commis plus outrageant sans jamais
mobiliser une autopompe anti-émeutes.
Alors, c’est sûrement celui-là : «
Le mollah, il rigole pas comme ça.
Sa nature, c’est de s’éclater sur des
chants religieux. J’ai un copain mollah
qui m’a invité dans une soirée de
mollahs : si t’as pas fait une sieste
dans l’après-midi, on est mal ! » ?
Autant pour moi. Vanner des musulmans,
iraniens de surcroît, c’est plutôt
encouragé. Attendez ! Là, on en tiens un
: « Jésus a sorti cette fameuse
phrase : ‘Il faut chasser les marchands
du temple’. Là, il était mort. C’était
fini : antisémitisme, etc. Les marchands
du temple, ils étaient pas Congolais,
réfléchis ! C’était déjà la bande à
Strauss-Khan. C’est le FMI qui a
crucifié Jésus ! » … Pour autant,
nous hésitons fébrilement avec cet
ultime extrait : « J’ai toutes les
associations israéliennes sur le dos,
jusqu’à l’Élysée qui est quand même la
plus connue ».
On comprend mieux pourquoi des mois
d’enquête sont nécessaires au parquet de
Liège. Et pourquoi les policiers
bruxellois n’ont pas réussi à choisir un
exemple « xénophobe » à
retranscrire dans leur procès-verbal.
Qu’à cela ne tienne : pouvions-nous
éprouver plus grande fierté citoyenne
que de collaborer avec la police
politique de notre pays ? Le devoir
accompli, laissons les parquets de
Bruxelles et de Liège ficeler le dossier
en vue des indispensables procès contre
l’insupportable M’Bala M’Bala …
Comme l’écrivait Albert Camus,
visiblement pour l’éternité : « Il
reste donc que l’ironie demeure une arme
sans précédent contre les trop
puissants. Elle complète le refus en ce
sens qu’elle permet, non plus de rejeter
ce qui est faux, mais de dire souvent ce
qui est vrai. »
L’obstination
Du côté de la société de production
de Dieudonné, on ne risque pas non plus
d’oublier la « super-soirée » au Fiesta
Club. Préférant conserver l’anonymat vu
« l’ambiance », l’un de ces responsables
témoigne : « Pendant que Dieudonné
jouait sa première représentation, j’ai
été appelé dans le bureau d’Olivier Da
Silva. En refermant la porte, j’ai vu
qu’il était ‘vert ’ ! Entouré de
policiers, une terreur se lisait dans
ses yeux. Un pandore m’interpelle :
« Vous devez arrêtez le spectacle ! Il y
a des risques de troubles à l’ordre
public ! ».
« Je lui répond que c’est faux,
qu’il n’ y a aucun trouble. Je le
renvoie à la jurisprudence du Conseil
d’Etat belge qui a cassé chaque
interdiction de spectacle de Dieudonné.
Je lui fait aussi remarquer que c’est
eux, et personne d’autre, qui vont
amener des troubles ! Là, Da Silva
m’interrompt : « Je suis obligé
d’arrêter la seconde représentation.
J’ai des pressions directes du
Bourgmestre et celui-ci m’a même dit que
ça venait de plus haut » … Il me
raconte ensuite que cela fait neuf ans
qu’il est en très bon termes avec la
Ville, qu’il a négocié un projet
immobilier de six étages comprenant
notamment une brasserie. Durant
l’échange, je comprends que se trouve,
parmi les policiers, un fonctionnaire de
l’Urbanisme de la Ville de Bruxelles.
Rien n’a été laissé au hasard pour
mettre la pression maximale sur Da Silva
».
A tel point que le pauvre manager
tentera ensuite quelques arrangements
avec la vérité. Au quotidien La
Capitale, il déclare : « J’ai
été floué, je ne savais pas qu’il
s’agissait de Dieudonné. J’ai reçu un
coup de fil mercredi (9 mai, ndlr)
dans la journée. On m’a dit qu’on
souhaitait réserver ma salle pour un
humoriste, en me donnant le nom de Plume
Productions, sans me donner le nom de
l’artiste. J’ai pensé que ce devait un
être jeune humoriste ou une société,
pour que mon interlocuteur s’y prenne
aussi tard. J’ai donc dit OK. Ce n’est
que le soir que j’ai compris. J’ai
débarqué en catastrophe » (8).
« Il savait parfaitement qu’il
s’agissait du spectacle de Dieudonné
», réplique un autre employé de
Plume productions. « Nous
en avons discuté au téléphone le lundi 7
mai et, ce jour-là, vers une heure du
matin, il m’a transmis un mail pour les
conditions de location ». Courriel
que nous nous sommes procuré. Celui-ci
est effectivement envoyé et signé par
Olivier Da Silva. Objet : une location
du Club en date du 8 mai, de 14h à
minuit pour un montant de 5000 €. Le
manager propose à son destinataire «
de nous rencontrer à 14h sur place pour
le paiement de la salle ». Les
protagonistes se verront finalement dans
l’après-midi du 9 mai. Mais la date
d’envoi comme le contenu de ce courriel
démontrent que Da Silva ment lorsqu’il
affirme qu’il « ignorait »
qu’il s’agissait de Dieudonné.
Au sujet du proçès-verbal pour «
propos xénophobes », le responsable
français se montre formel : « Cette
raison n’a jamais été invoquée durant la
soirée. A aucun moment, je n’ai entendu
Da Silva ou les policiers reprocher à
Dieudonné d’avoir tenu des propos
xénophobes ou d’avoir inciter à la haine
raciale. Ils répétaient sans arrêt que
nous n’avions pas d’autorisation et
qu’il fallait tout arrêter ».
Avec Camus, « il faut convenir
qu’il est des obstacles décourageants :
la constance dans la sottise, la
veulerie organisée, l’inintelligence
agressive, et nous en passons. Là est le
grand obstacle dont il faut triompher.
L’obstination est ici vertu cardinale.
Par un paradoxe curieux mais évident,
elle se met alors au service de
l’objectivité et de la tolérance. »
Contre-attaque
Obstiné, Dieudonné ne compte pas en
rester là. Une contre-attaque judiciaire
s’organise. Ses avocats belges, Maîtres
Sébastien Courtoy et
Henri Laquay, ont tenu
une conférence de presse à Paris, aux
côtés de l’humoriste, dans son Théâtre
de la Main d’Or. Une seconde conférence
est annoncée à Bruxelles…
« Depuis plusieurs années, on lui
a mis des bâtons dans les roues »,
estime Me Courtoy. « Comme c’est un
type débrouillard, intelligent et qu’il
reste encore des gens courageux, il
finissait toujours par trouver une
salle. Depuis le 9 mai, nous sommes
entré dans une phase supérieure :
l’envoi de la police pour chasser
Dieudonné à coups de gourdins. Et après
? Plus rien ! J’ai écris un recommandé
au Bourgmestre de la Ville de Bruxelles,
Freddy Thielemans, et
au Ministre de l’Intérieur,
Joëlle Milquet, pour connaître
le fondement sur lequel les Autorités
s’étaient basées pour poser un acte
aussi grave que d’arrêter le spectacle
d’un humoriste ? Aucune réponse à ce
jour ».
Pour autant, un dossier pénal contre
Dieudonné est ouvert au Parquet de
Bruxelles. « Celui-ci
concerne non seulement la soirée du 9
mai », poursuit Me Courtoy, «
mais ils comptent également le
poursuivre pour un spectacle antérieur
tenu à Bruxelles. Un P-V, dressé en
2009, a été ajouté au dossier. En
résumé, il s’agit d’une attaque du
parquet pour antisémitisme. Action sur
laquelle vient se greffer le Centre pour
l’Egalité des Chances qui attaque aussi
pour incitation à l’homophobie ».
Directeur-adjoint du Centre pour
l’Egalité des chances, Edouard
Delruelle ne manque pas une
occasion médiatique de diaboliser
Dieudonné. Suite au spectacle d’Herstal,
l’inquisiteur a encore poussé le
curseur. Sur les ondes de la RTBF ou sur
le plateau de Controverses
(RTL-TVI), le « philosophe » balance : «
Il n’est pas seulement antisémite,
il est aussi homophobe. Son spectacle
est aussi un spectacle homophobe ».
Et de promettre que le Centre « va
vraiment essayer de le coincer et de
faire un procès » (9). Pour sa
part, Sébastien Courtoy se dit surpris
: « Je m’étonne que ce Monsieur, à
la tête d’un organe censé lutter contre
les incitations à la haine, jette en
pâture une personne dans les médias
avant même qu’un seul juge, en Belgique,
ait statué sur le bien-fondé des
accusations que ce Monsieur estime
pouvoir formuler. J’ai l’impression que
celui qui est dans l’incitation à la
haine, c’est le directeur-adjoint du
Centre et non Dieudonné » …
Delruelle a-t-il assisté à la
représentation liégeoise de «
Rendez-nous Jésus » ? On peut en
douter. A chacune de ses saillies
médiatiques, il « oublie » cet extrait
du spectacle : «Je tiens quand même
à préciser que je ne voudrais pas, par
ces quelques plaisanteries, me mettre la
communauté homosexuelle à dos. Même si
ce n’est pas le gros de ma clientèle.
Non, s’il y a des homos dans la salle,
bien sûr, vous êtes les bienvenus !
Ai-je besoin de le dire ? Y a-t-il
d’ailleurs des homosexuels dans la salle
? Levez la main pour voir. Non, mais
c’est vrai que se moquer de la Gay pride,
c’est devenu blasphématoire. Au même
titre que la Shoah. Ce sont les deux
sujets interdits. Moi, j’ai un copain,
un humoriste homo, il m’a dit :
‘Surtout ne fait aucun sketch sur la Gay
pride sinon t’es mort !’. Je lui ai
dit : ‘Bon, ben, je vais le faire’
» …
D’autres feignent aussi d’oublier
qu’il est assez rentable d’incriminer
l’humoriste antisioniste lorsqu’on
souhaite plaire au lobby pro-israélien
ou éviter d’être dans sa ligne de mire.
Il y a cinq mois, deux de ces ardents
lobbyistes, les politiciens
Viviane Teitelbaum (MR) et
Alain Destexhe (MR),
ont exigé à grands cris la démission de
Delruelle (10). Ce dernier
chercherait-il aujourd’hui à protéger
son poste en traînant Dieudonné en
justice ?
A cela, s’ajoute une curieuse
coïncidence. « Sur les 127
substituts du procureur que compte le
parquet de Bruxelles, il se fait que
Julie Feld s’est vue
confier le dossier », nous apprend
Sébastien Courtoy. Ancienne avocate du
Centre pour l’Egalité des Chances, Julie Feld a récemment quitté le barreau pour
travailler au parquet. « Nous sommes
dans une affaire où l’Etat doit apporter
un arbitrage sur la question de savoir
si quelqu’un attaque la communauté juive
», poursuit l’avoué.
« Dès lors, je m’étonne que la
personne censée représentée l’Etat dans
cette affaire soit issue de la
communauté juive. Cela ne donne pas une
apparence d’indépendance de la part du
ministère public. Je vous le dis comme
je le pense : ça ne va pas ! Dans ces
conditions, j’aurais préféré qu’on
désigne un substitut d’origine
camerounaise. Encore faudrait-il qu’il y
en ait un ? Sommes-nous arrivé à ce
degré d’acception de l’immigration
africaine dans notre pays ? Au Tribunal,
je vois des prévenus d’origine
africaine, des avocats d’origine
africaine, mais je n’ai jamais vu un
membre du ministère public qui soit
Africain … En l’occurrence, le substitut
du procureur ne devrait être issu ni de
l’une ni de l’autre des communautés
concernées. Même tactiquement, pour le
parquet, c’est une erreur ! ».
A ce stade, il n’est pas certain que
les poursuites débouchent sur un procès.
Éventualité que refusent fermement
Maîtres Courtoy et Laquay : « Si le
parquet abandonne en cours de route,
nous nous constituerons parties civiles
et nous ferons un procès contre la Ville
de Bruxelles et les policiers qui se
sont rendus coupables de ce fait
gravissime ».
Les chances de l’humoriste de
l’emporter devant un tribunal ? Nulles
en première instance, selon Sébastien
Courtoy : « Il va comparaître
devant la 61ème chambre du Tribunal
correctionnel où il est condamné
d’avance ! Nous y allons dans le respect
de la magistrature, même si on ne croit
pas en l’issue favorable. Ensuite, nous
irons devant la Cour d’appel ».
Face au risque d’une longue procédure
qui, de fait, interdirait à Dieudonné de
se produire en Belgique pendant
plusieurs années, l’avocat affiche une
détermination remarquable : « A
partir du moment où l’on envoie 200
policiers avec autopompe pour arrêter un
spectacle, cela signifie que, dans le
chef des Autorités, ce qu’a fait
Dieudonné est d’une gravité absolue.
Cette enquête, soyons sérieux, ne
nécessite pas d’analyses génétiques ni
de commissions rogatoires à Singapour !
Il s’agit d’un dossier où, en un mois,
le parquet peut arrêter une
argumentation et rassembler des preuves.
Avec autant de policiers sur place, cela
n’a pas dû être trop difficile d’en
réunir … Nous estimons que ce procès
doit avoir lieu de manière imminente !
Chaque semaine qui s’écoulera, sans que
le procès ne débute, sera une semaine
supplémentaire où le parquet comme la
Ville de Bruxelles seront en aveux
d’avoir commis un acte illégal ».
Olivier Mukuna
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