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Opinion
Sarkozy, l'ennemi
des espoirs démocratiques africains
Olivier Mukuna
Mercredi 19 janvier 2011
La première révolution du monde arabe maghrébin
La diplomatie française a défendu jusqu’au bout le régime
tunisien
Pendant le mois de soulèvements populaires qui a
débouché sur la première révolution du monde arabe, Sarkozy et
son gouvernement n’ont cessé de soutenir le tyran Ben Ali et son
régime décadent. Confirmant une vieille tradition de la
politique française en Afrique : l’entretien de complicités de
toutes natures avec les pires dictatures pourvu que cela
rapporte de manière sonnante et trébuchante. Pour le reste, on
oscillera entre fermer les yeux ou mentir sur la confiscation
totale des libertés, les exécutions sommaires, la torture ou la
spoliation mafieuse. De la Côte d’Ivoire à la Tunisie, le
bonimenteur Sarkozy ne porte désormais qu’un seul costume :
celui d’ennemi public n°1 des aspirations démocratiques des
peuples d’Afrique ...
« Je veux lancer un appel dans le monde à tous ceux qui
croient aux valeurs de la tolérance, de la liberté, de la
démocratie, de l’humanisme ; à tous ceux qui sont persécutés par
les tyrannies et les dictatures, je veux dire à tous les enfants
à travers le monde, à toutes les femmes martyrisées dans le
monde, que la fierté et le devoir de la France sera d’être à
leurs côtés (...) La France sera du côté des opprimés du monde !
C’est le message de la France, c’est l’identité de la France ,
c’est l’histoire de la France ! » (1).
Dans le cas de la Côte d’Ivoire comme celui de la Tunisie, on
reste soufflé par la manière dont Nicolas Sarkozy a mis en
oeuvre l’exact contraire de sa profession de foi présidentielle
de 2007. Une imposture si criante aujourd’hui que les médias
traditionnels français - majoritairement très complaisants ou
terrorisés par l’Élysée - n’ont pu faire l’impasse sur
l’attitude du premier collaborateur européen à la dictature de
Ben Ali. Ménageant relativement l’hôte de l’Élysée, Le Monde,
par exemple, propose plusieurs articles titrés « La
diplomatie française a défendu jusqu’au bout le régime
tunisien » ; « Les manifestants en colère contre le manque de
soutien de la France » ou « Un dictateur honni par son peuple et
choyé par les dirigeants occidentaux ».
S’y ajoute un éditorial critique sur les « complaisances de
Paris » considérées comme une « erreur politique ».
De même qu’un salutaire appel d’intellectuels au gouvernement
français afin de « soutenir les revendications du peuple
tunisien » (2). Connu pour ses escarmouches avec le
Président français, Laurent Joffrin, rédacteur en chef de
Libération, parvient à signer son éditorial sans citer nommément
Sarkozy. Préférant interpeller « les diplomaties occidentales
qui soutiennent sans discontinuer les régimes en place,
abandonnant leurs principes pour se trouver du côté du manche »
(3).
Cette liberté de ton et de courage minimal retrouvée plaira sans
doute. Elle se révèle pourtant fort tardive et quelque peu
déplacée. D’une part, il est assez hypocrite d’enfin dénoncer ce
« régime dictatorial corrompu et indigne » après que le
peuple tunisien eut dû payer de son sang l’apparition d’un réel
espoir démocratique. D’autre part, quel est le journaliste
français qui ignore que la politique africaine reste le domaine
réservé de l’Élysée ? En l’occurrence, il ne s’agit pas
« d’indulgence », « d’erreur » ou de « frilosité »
diplomatiques mais bien d’une realpolitik aux fondements
racistes et cyniques.
Décidée au niveau présidentiel, ce machiavélisme sordide s’est
toujours mené contre les intérêts et aspirations légitimes des
populations africaines. De Mitterrand à Sarkozy en passant par
Chirac, c’est la même politique prédatrice qui est reconduite
sans considération aucune pour le cortège d’injustices et de
souffrances endurées par la société civile tunisienne. Après que
des dizaines de Tunisiens eurent perdu la vie sous les balles
des escadrons de Ben Ali, Sarkozy osera pousser plus loin le
curseur de l’indécence et du cynisme.
Via son ministre des Affaires étrangères, il propose à « son
ami » despote le « savoir-faire » français en matière
de sécurité et de répression policière. Tout un programme de
« tolérance » et « d’humanisme » ... A peine dérangé par une
collaboration jusqu’au-boutiste avec l’une des pires
kleptocraties du continent, Sarko-le-collabo assure aujourd’hui
son « soutien déterminé » aux révolutionnaires tunisiens.
Enchaîne avec l’annonce du gel du butin du gang Ben Ali dormant
sur les comptes bancaires français. Des déclarations de
bonimenteur fatigué qui ne trompent personne. A défaut de ne pas
avoir vu « l’homme africain entrer dans l’Histoire » (4),
Sarkozy bute aujourd’hui sur l’histoire d’une révolution arabe
écrite par les persécutés eux-mêmes.
Autre absent des analyses médiatiques, le contraste saisissant
entre l’intervention assumée de Sarkozy dans le conflit
post-électoral ivoirien et sa collaboration silencieuse contre
le soulèvement tunisien. Deux cas d’ingérence aux formes
différentes mais issus d’une même vision colonialiste et
racialiste posée sur le continent africain. Dans le cas
ivoirien, le Président français jugeait la situation
« parfaitement inadmissible ».
Faisant opportunément l’impasse sur les fraudes constatées au
nord du pays comme sur la légitimité du Conseil constitutionnel
ivoirien, Sarkozy jouait de la menace : « Laurent Gbagbo et
son épouse ont leur destin entre leurs mains. Si avant la fin de
la semaine, ils n’ont pas quitté le poste qu’ils occupent, le
poste que Laurent Gbagbo occupe en violation de la volonté du
peuple ivoirien, ils seront nommément sur la liste des
sanctions » (5). Pour Ben Ali, aucune condamnation ni
sanctions, mais une collaboration discrète jusqu’à la volteface
devenue incontournable.
Quatre jours après la fuite de Ben Ali vers la dictature
saoudienne, chacun sait que les semaines à venir seront
cruciales pour les Tunisiens. Objectif : ne pas se voir voler
leur révolution vers la démocratie pour un funeste changement de
façade. Afin que le business d’antan reprenne au plus vite et
que l’inspiration révolutionnaire ne touche pas l’Algérie, le
Maroc, l’Égypte ou la Libye, qui peut affirmer que les
chancelleries européennes ne souhaitent pas que s’impose la
seconde option, plus « rassurante » ? Car Nicolas Sarkozy
n’est que le capitaine d’une équipe des « droits de l’homme
blanc », mieux connue sous le nom d’Union européenne.
Union restée muette et complice pendant 23 ans et un mois
d’insurrections populaires historique. Démontrant ainsi son
choix pour la « stabilité » dictatoriale contre l’espoir
démocratique finalement arraché par le peuple du pays du jasmin.
La pire des erreurs pour les Tunisiens serait d’accepter cette
« aide » aussi soudaine que suspecte de l’Union
Européenne concernant la tenue d’élections libres et
transparentes. Les cas de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Gabon ou
de la Palestine (2006) se chargent de le rappeler aux
amnésiques : l’ingérence occidentale, surtout française, n’a
jamais été du côté du verdict démocratique.
Imbue de suprématie et de paternalisme, cette ingérence
préférera toujours « son » candidat (non islamiste, cela
va sans dire), à celui qu’une majorité de Tunisiens se sera
choisi. A l’instar de leur admirable révolution, la difficile
construction de la démocratie tunisienne devra se réaliser sans
ceux qui la repoussent depuis près d’un quart de siècle ...
Olivier Mukuna
(1)
http://www.youtube.com/watch?v=shn0...
(2)
Le Monde, 16 et 17 janvier 2011.
(3)
Libération, 17 janvier 2011.
(4)
Discours de Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2007 à Dakar (Sénégal)
où, entres autres amabilités
négrophobes, le Président français a déclaré : « L’homme
africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire ».
(5)
http://www.youtube.com/watch?v=iJH3...
Le dossier Tunisie
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