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IRIS
Elections
présidentielles en Afghanistan :
un second tour en vue, à moins que...
Olivier Guillard
Olivier Guillard - Photo IRIS
Mercredi 21 octobre 2009
L’Afghanistan s’achemine donc, 2 mois (1) après le 1er
tour du scrutin présidentiel, vers une « seconde manche »
mettant aux prises le 7 novembre prochain le Président sortant
Hamid Karzai et son principal challenger, le Dr
Abdullah Abdullah…
A Kaboul, siège du (ténu)
pouvoir administratif et politique afghan, la situation est
certes encore susceptible de bouger – nous y reviendrons
probablement plus loin – mais à l’heure qu’il est, nous devrions
effectivement assister à l’organisation d’un insolite deuxième
tour, aucun des candidats n’ayant obtenu lors du 1er
le chiffre magique synonyme d’élection directe, le fameux 50%
des voix + 1. Le chef de l’Etat en exercice clamait hier matin
encore que sa candidature avait recueilli bien plus que le
nécessaire (+ de 54% des voix) ; cette lecture comptable
avantageuse prenait toutefois en compte un % là encore élevé…de
bulletins invalidés (près d’un sur trois…).
De quoi, après un long et complexe recomptage supervisé par
la commission électorale (Electoral Complaints Commission) – une
instance sous l’autorité de l’ONU –, abaisser le total des voix
portées sur sa candidature sous la barre des 50% (49,67%) ; au
grand déplaisir de ce dernier et de ses supporters ; à la grande
joie des partisans de son challenger, le Dr
Abdullah Abdullah (31% des voix après recomptage).
Quels sont les enjeux de ce 2e
tour et …aura-t-il seulement lieu ?
Ce second tour, en effet, aura-t-il seulement lieu ? 17
jours ; moins de trois semaines séparent donc cette annonce de
la tenue du second tour du scrutin ; un terme à maints égards
très insuffisant, beaucoup trop court. Quand on se rappelle que
les autorités onusiennes et la majorité des observateurs
étrangers avaient jugé, après des mois de préparation, que ces
élections étaient « un casse-tête logistique sans équivalent »,
« le scrutin le plus compliqué jamais organisé », on ne
peut qu’être surpris de l’optimisme des autorités. Dans ce pays
de violence et de chaos, où 400 incidents et attaques avaient
été répertoriés le 20 août dernier, alors que l’hiver est sur le
point d’envelopper les reliefs, déployer en un temps si court
une telle logistique – pour ne pas parler du défi d’assurer la
sécurité minimale à son bon déroulement… – relèvent plus de la
fantaisie que de la raison. C’est bien la Constitution afghane
qui impose ce délai congru entre les deux tours ; mais tout de
même…
D’ici là, il n’est pas interdit de penser que face à cette
réalité matérielle, à ces contingences logistiques et
sécuritaires si particulières, les principaux intéressés
façonnent « à l’afghane » une sortie de crise honorable,
ménageant les apparences, les susceptibilités des uns et les
ambitions des autres…Notons encore que les errements relevés
lors du vote du 20 août (fraude, infractions, etc.) demeurent
parfaitement reproductibles lors de la prochaine échéance… En
toutes hypothèses, des deux protagonistes à pouvoir encore
briguer la Présidence, le chef de l’Etat sortant est désormais
celui qui a le plus à perdre ; c’est aussi celui disposant de
plus moyens (étatiques…). Jouant gros sur ce scrutin, il n’est
pas le moins du monde disposé à laisser facilement le champ
libre à son adversaire. On ne peut s’empêcher d’anticiper une
bien petite place réservée aux « meilleures pratiques »
dans le déroulement équitable et fair-play de cet éventuel
second tour….
L’hypothèse d’un « ticket » Karzai-Abdullah,
association des contraires, fait-elle du sens ?
On ne peut exclure cette piste, fort possible dans le
contexte tendu actuel, à défaut de paraître viable à moyen
terme ; la cohabitation de la carpe et du lapin, du Pachtoune et
du Tadjik, de l’individu à l’aura écornée et de celui à la
popularité ascendante (mais loin de faire l’unanimité), présente
toutes les caractéristiques de l’association superficielle
non-pérenne. Certes, « sur le papier », ce tandem des
contraires réunirait dans une même équipe les deux principaux
courants d’opinion de l’échiquier politique contemporain. De
quoi en théorie satisfaire – un certain temps - une partie de
l’opinion et plaire aux grands acteurs extérieurs (cf.
Etats-Unis, OTAN), fébriles devant tant d’incertitudes et de
blocages pesants. Cependant, à moins d’un miracle, on voit mal
ces deux rivaux travailler à nouveau ensemble (2), fut-ce au
profit d’un Afghanistan taraudé par les tourments et à quelques
pas d’un gouffre profond…
Le « puzzle ethnique » afghan
Compte et décompte des voix (scrutin du 20 août)
Dans quelle mesure la communauté internationale a-t-elle
pesé sur les derniers événements ?
De tout son poids, pour dire le moins. L’annonce des
résultats du recomptage des voix mettait en scène le Président
sortant Karzai, reconnaissant, les dents serrées, la nécessité
de respecter la lettre de la Constitution et d’organiser (bien
malgré lui) un second tour ; à ses côtés, le sénateur américain
John Kerry (3) et une haute autorité onusienne, Kai Eide : ces
derniers n’étaient pas sur la photo pour le seul plaisir
esthétique. De Gordon Brown au Président Barack Obama, du
Secrétaire général de l’OTAN à l’Elysée, sans omettre la
Secrétaire d’Etat américaine Hillary R. Clinton, les « invitations »
à se plier au verdict des urnes et d’un recomptage des bulletins
de vote n’ont cessé d’être adressées en direction du camp Karzai,
le locataire démocrate de la Maison-Blanche laissant notamment
entendre que si « surge » américain il devait y avoir
dans les mois à venir, cela ne pourrait se concevoir que dans un
cadre institutionnel clair, aplani ; pas question de dépêcher et
d’exposer plusieurs milliers de GI supplémentaires dans un chaos
politique ; celui sécuritaire suffit déjà amplement….
Quel est l’état d’esprit de la
population afghane face à cet imbroglio politique tout d’abord,
et plus généralement, vis-à-vis de la détérioration préoccupante
de la situation sécuritaire ?
A la différence du précédent scrutin présidentiel (2004) où
elle s’était déplacée nombreuse (4), la population afghane a
largement boudé le 1er tour de
l’élection ; moins de 40% des inscrits se sont déplacés vers les
bureaux de vote. La « seule » menace d’une sanction
promise par les talibans aux votants n’explique pas tout ;
nombreux étaient les Afghans à expliquer ne « pas croire » en ce
scrutin, qu’il était « joué d’avance », « organisé par
les Etats-Unis pour leur favori Karzai ». Pléthoriques
étaient encore ceux à avouer leur déception face aux promesses
non tenues de l’équipe présidentielle, à ne plus croire en son
discours, à douter à la fois de ses compétences comme de son
intégrité. Il est vrai qu’après 8 années d’une gestion - certes
terriblement délicate – du Président Karzai, durant lesquelles
les écrans de promesses diverses dissimulèrent souvent une
montagne… d’immobilité et de déception, on serait échaudé à
moins…
Les développements observés ces deux dernières années,
témoins de l’extension de la présence et de la défiance des
talibans non plus dans leurs seuls place-fortes et bastions
traditionnels (cf. le sud ; provinces de l’Est) mais de plus en
plus vers les provinces du nord et du centre, l’édifiante
facilité des terroristes à perpétrer des attentats à répétitions
dans les secteurs « théoriquement » parmi les plus sûrs du pays
(cf. Kaboul), le dénuement évident des autorités face à cette
affliction, les limites ou les désillusions liées à la présence
de 100 000 soldats étrangers (5), n’ont pas contribué à alléger
le cœur des Afghans, à leur faire entrevoir des lendemains
meilleurs. Un fatalisme patent, une désillusion marquée, sont
des sentiments très palpables aujourd’hui. 8 ans après la chute
du régime taliban du Mollah Omar, après tant de conférences
internationales organisées sur la reconstruction de l’Etat
afghan – construction tout court serait du reste plus juste… -,
tant de promesses de d’investissements, tant d’efforts
domestiques et étrangers engagés, tant de personnes et d’entités
investies, le constat s’avère d’une profonde tristesse.
(1) Le 1er
tour du scrutin présidentiel a eu lieu le 20 août 2009.
(2) Le Dr
Abdullah a été le Ministre des Affaires étrangères de
l’administration Karzai entre 2001 et 2006, avant de
démissionner.
(3) Le Sénateur Kerry aurait eu pas moins de 20 heures de
discussions – négociations serrées avec Hamid Karzai, étalées
sur 5 jours, pour convaincre ce dernier d’accepter le verdict du
recomptage…
(4) 70% des inscrits sur les listes électorales avaient pris
part au vote.
(5) Troupes de l’OTAN et celles de l’opération + Enduring
Freedom
Olivier Guillard, directeur de recherche à
l’IRIS
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Publié le 22 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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