Opinion
Crise en Egypte :
les illusions de la place Tahrir
Oksana
Polichtchouk
Photo: RIA
Novosti - © REUTERS/ Mohamed Abd El
Ghany
Vendredi 7 décembre
2012
Source :
RIA Novosti
Ces jours-ci l'Egypte vit un terrible
déjà-vu – un printemps arabe à l'envers.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, des
chars ont à nouveau été envoyés dans la
capitale, destinés cette fois à faire
cesser les affrontements entre les
opposants et les partisans des Frères
musulmans au pouvoir en Egypte. La
police est incapable de maîtriser les
confrontations qui éclatent dans divers
quartiers du Caire. Les altercations ont
déjà fait sept morts et plus de 600
blessés.
Tout le pays s'attendait à ce que
jeudi, le président s'adresse enfin à la
nation dans une période aussi difficile.
L'opposition lui reproche déjà d'avoir
réuni une conférence de presse à quatre
heures du matin pour annoncer sa
victoire alors qu'aujourd'hui, il
n'arrive pas à trouver le temps pour
rassurer le pays.
Vaut-il mieux une stabilité stagnante
ou des troubles révolutionnaires ? Deux
ans après le début de la révolution
égyptienne, alors que le sang coule à
nouveau dans les rues du Caire et que
les affrontements entre les opposants et
les partisans du président Mohamed Morsi
ne cessent pas, la société égyptienne
choisira certainement la première
option.
Changer un
dictateur pour un autre
Le 2 juin 2012, l'ex-président Hosni
Moubarak, qui a dirigé le pays pendant
20 ans, a été condamné à perpétuité pour
la mort des manifestants pendant les
émeutes du début de l’année 2011. Quand
les manifestants exigeaient la démission
de Moubarak - qui menait selon eux une
politique despotique - ils ne
s'attendaient certainement pas à changer
de dictateur pour un autre.
Tout avait commencé avec plus ou
moins d'optimisme : quelque temps après
le départ de Moubarak et sa mise en
détention, la présidentielle organisée
en Egypte a été remportée de façon tout
à fait démocratique par le représentant
des Frères musulmans, Mohamed Morsi.
Bien que la frange libérale de la
société égyptienne n'ait pas sauté de
joie en voyant les radicaux arriver au
pouvoir, la construction de la
démocratie en Egypte semblait tout de
même possible. Quelques mois plus tard,
le pays se retrouve avec un nouveau
dictateur encore plus cruel que Moubarak
– un dictateur islamiste.
Avant et après la présidentielle,
Morsi ne lésinait pas sur les promesses
: il assurait à ses compatriotes qu'ils
conserveraient leurs droits et leurs
libertés. Mais le gouvernement islamiste
d'Egypte a commencé à serrer les
boulons, y compris en faisant pression
sur les médias.
La proclamation par le président de
la déclaration constitutionnelle qui
refermait sur lui les trois pouvoirs le
20 novembre a fait déborder le vase.
Morsi, que l'opposition qualifie déjà
de "nouveau pharaon" au pays des
pyramides, s'est également accordé
l'immunité – immunité qui s’étend même à
ses décisions. Selon les représentants
des partis laïques, cette méthode
établit en Egypte une véritable
dictature.
Constitution, loi fondamentale… de la
charia
Les Egyptiens n'étaient pas du tout
réjouis par le projet de nouvelle
constitution, qui fera l’objet d’un
référendum le 15 décembre. Déjà, au
stade de l'élaboration du texte, les
passions s’étaient déchaînées.
Une commission spéciale a été formée
pour élaborer le projet de constitution
nationale - dont font partie les
représentants de plusieurs partis
égyptiens. Cependant, rapidement après
la création de la commission, les
libéraux et la gauche l'ont quittée,
indignés par l'hégémonie des islamistes
radicaux.
Avant que commencent les travaux de
la commission, les Frères musulmans
avaient fait comprendre qu'ils voulaient
élaborer une constitution impliquant une
forme de gouvernement
présidentielle-parlementaire, où les
pouvoirs du président seraient
significativement réduits. Par ailleurs
le parlement, au sein duquel les
islamistes détiennent la majorité, était
censé obtenir le droit de nommer le
gouvernement. Cependant, tandis que
l'opposition laïque exigeait la
dissolution de la commission, ses
membres ont tout fait pour terminer leur
travail dans les plus brefs délais et
faire adopter leur projet.
Le nouveau texte répond presque
intégralement aux intérêts des Frères
musulmans au pouvoir bien que, selon les
auteurs, le document "inclut des droits
et des libertés qui n'avaient encore
jamais été inscrits dans aucune
constitution égyptienne". Le projet
s'appuie sur le texte établi à l'époque
de Moubarak - l'une des nouveautés est
l'interdiction faite aux anciens chefs
du Parti national démocratique de faire
de la politique, de se présenter au
poste de chef de l'Etat et au sein du
pouvoir législatif pendant dix ans.
Les discussions les plus vives ont
été suscitées par l'article sur la
charia, qui stipule qu'elle est la
"principale source de la législation".
Pour ne pas arranger les choses,
l'article suivant déclare que les
affaires civiles et religieuses des
chrétiens et des juifs qui vivent en
Egypte seront traitées en conformité
avec les normes législatives de ces
confessions. Les islamistes ont paralysé
le travail de la Cour constitutionnelle
d'Egypte, dont les membres ont dû
annoncer une grève dimanche dernier. Ce
jour-là, les juges devaient apprécier la
légitimité de la commission
constitutionnelle. Les partisans des
Frères musulmans avaient encerclé le
tribunal et les juges ont préféré ne pas
travailler tant que la pression ne
cesserait pas. Selon les juges, le 2
décembre fut une "journée noire dans
l'histoire de la justice égyptienne".
L'Egypte
serait-elle au bord d'une guerre civile
?
Aujourd'hui, l'Egypte traverse une
période difficile. Les affrontements
entre les opposants et les partisans du
gouvernement actuel ont déjà fait des
morts et des centaines de blessés. A
neuf jours du référendum, l'opposition
libérale s'efforce toujours de faire
annuler le vote mais les Frères
musulmans n'ont pas l'intention de
reculer et veulent faire adopter à tout
prix leur projet de loi fondamentale
pour le pays.
Pour l'instant, toutes les forces
politiques égyptiennes cherchent à
l'éviter. Le mercredi 5 décembre, les
représentants de l'opposition libérale
unie ont déclaré qu'ils étaient prêts à
dialoguer avec les autorités mais si
Morsi reportait le référendum et
annulait sa déclaration
constitutionnelle.
Après plusieurs jours de
confrontations violentes, le président
égyptien a promis de s'adresser à la
nation mais on ignore quand il le fera
et comment il pourrait rassurer la
population.
De toute évidence, les fruits de la
révolution n'ont pas été aussi savoureux
qu'on l’aurait voulu : la mésentente
sociale et la situation économique
égyptienne continuent de s'effondrer
tandis que le gouvernement ne semble pas
pouvoir contrôler la situation.
La
situation touristique
Le déclin général a aussi touché le
secteur le plus prospère de l'économie
égyptienne : le tourisme. Même si les
autorités se démènent pour maintenir
l'ordre dans les régions touristiques,
les signes de la crise qui s'est emparée
du pays sont flagrants. Les touristes
qui reviennent d'Egypte constatent que
les territoires des hôtels ne sont plus
aussi bien entretenus, que des gens à
l’air obscur errent dans les rues des
villes sans pour autant que l'on voie
des policiers appelés à maintenir l'ordre.Les
commerçants, autrefois souriants et
avenants, qui acceptaient de faire des
remises sur leurs marchandises, refusent
de négocier en prétextant que les
touristes sont de moins en moins
nombreux - or leurs besoins sont plus
élevés en raison de l'inflation dans le
pays.
Quelle
suite ?
Si la situation en Egypte échappait à
tout contrôle, la communauté
internationale se retrouverait avec un
autre point chaud au Moyen-Orient alors
que la région traverse déjà une période
de troubles. Surtout, l'Egypte ne serait
plus le pilier de la stabilité relative
mais se transformerait en pays à
l’avenir imprévisible. Et l'évolution de
la situation pourrait suivre un scénario
qui ne ressemblerait ni à la Syrie ni à
la Libye, où les troubles étaient et
sont alimentés de l'extérieur.
Il est possible que le printemps
arabe en Egypte ait été partiellement
orchestré par l'Occident. Cependant, la
situation actuelle dans le pays n'est
certainement pas le résultat d'un plan
qui aurait mûri quelque part sur les
rives du Potomac. C'est plutôt une
réaction interne, ce qui la rend encore
plus effrayante. Il reste à espérer que
ce processus ne devienne pas
irréversible, et que ce pays central
dans la région ne s'immerge pas dans le
chaos d'une guerre civile insensée et
impitoyable.
© 2012
RIA Novosti
Publié le 7 décembre 2012
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