Opinion
Intervention de
Nurit Peled à la session finale
du Tribunal Russel sur la Palestine
Mercredi 20 mars
2013 Je
voudrais dédier ces mots à notre
bien-aimé Stéphane Hessel à qui je fus
présentée par l’intermédiaire de mes
enfants Elik et Guy qui l’admiraient
profondément et qu’il a inspirés dans
leur propre lutte contre l’occupation de
la Palestine. Je voudrais
aussi dédier ces mots à la mémoire d’un
jeune homme qui a l’âge de mes enfants,
le martyr Mo’ayad Nazeeh Ghazawna (35
ans) qui est mort hier à l’hôpital de
Ramallah. Mo’ayad a été grièvement
blessé il y a 3 semaines par un tir de
gaz lacrymogène utilisé par les forces
d’occupation israéliennes. Et les dédier
aussi à tous les enfants des mères
palestiniennes qui ont été tués,
mutilés, torturés, qui ont été kidnappés
dans leurs lits chaque nuit et jetés
dans des cellules solitaires, coupés de
leurs parents et de leurs familles,
interrogés dans les conditions les plus
cruelles, traumatisés à vie, pour avoir
juste jeté des pierres ou traversé une
route réservée aux Juifs, ou être revenu
de l’école vers leur village en
traversant la « barrière de sécurité » à
travers un trou. Ces enfants et leurs
parents ne peuvent jamais être entendus
dans aucune cour ou aucun tribunal dans
le monde. Leur parole n’a aucune
validité dans le système judiciaire
occidental. La sentence contre eux est
toujours déjà formulée. Ce sont des
criminels par le seul fait qu’ils sont
palestiniens. Et ce seul fait autorise
leurs oppresseurs à les traiter comme
des êtres à qui on peut refuser tout
statut social ou légal et dont la vie
impunément n’a pas d’importance.
Ces enfants et leurs parents
protestent chaque vendredi contre le Mur
de l’Apartheid et les colonies à Nabi
Saleh, Qaddum, Masaara, Nilin, Bilin et
Bet Umar, pour nommer quelques villages,
dont les maisons sont démolies avec des
excuses qui proviennent de ce que le
sociologue Stanley Cohen appelle le «
kitsch sioniste ». Ces enfants et leurs
parents ont reçu, peut-être pour la
première fois, une véritable écoute avec
le Tribunal Russell sur la Palestine.
Les Palestiniens ne sont pas
autorisés à quitter leurs maisons, même
pour aller dans un village voisin ou
pour rendre visite à leur famille. Ils
nous ont laissé voyager seuls jusqu’à
Bruxelles. Mais nous, qui sommes si
privilégiés, nous devons être leurs
représentants. Nous ne pouvons pas nous
permettre, comme le répétait toujours
Stéphane, d’être exaspérés parce que
l’exaspération est un refus de l’espoir
et nous, qui pouvons parler et qui avons
le privilège d’être entendus, nous
devons créer l’espoir pour ceux qui n’en
ont pas.
Les gens qui ont survécu à Auschwitz
disent souvent qu’un des faits les plus
exaspérants, c’est que personne n’ait
connu leur souffrance ou vu leur misère.
Le monde n’a jamais été intéressé par la
souffrance humaine, surtout quand elle
survient dans sa périphérie et cette
souffrance a toujours été classée sous
le vocable « politique ». C’est à peine
si quelqu’un étudie aujourd’hui ou
enseigne sur la souffrance palestinienne
et les conséquences dévastatrices de
l’agression israélienne pour les enfants
et leurs familles. Alors savoir qu’il
existe une institution experte,
respectable, qui a de l’influence, qui
est consciente de leur misère et qui se
bat pour leurs vies, leur dignité et
leur liberté, est une motivation pour
tous ceux qui résistent au mal
israélien, Palestiniens comme
Israéliens, pour continuer à se battre
et à vivre. Et je comprends que cela a
été un des buts principaux du Tribunal
Russell. L’autre but est de trouver
suffisamment de preuves pour incriminer
Israël et ses complices occidentaux en
des termes qu’ils ne peuvent pas
ignorer.
Israël a réussi à faire sa propre
publicité pour apparaître comme une
démocratie, mais le tribunal a établi
que c’est un Etat d’apartheid selon la
loi internationale, un régime
d’oppression qui prive la moitié de la
population dominée de droits aussi
élémentaires que l’accès à l’eau en été.
Giorgio Agamben a récemment dit : «
l’Etat d’Israël est un bon exemple qui
montre comment, quand l’état d’exception
se prolonge, toutes les institutions
démocratiques s’écroulent. C’est ce qui
est arrivé à la République de Weimar ».
Israël est parvenu à un sommet
inimaginable du Mal. Et d’ailleurs
beaucoup de gens dans le monde ont peine
à imaginer qu’il en soit ainsi.
Qui aurait pu imaginer des voyous
juifs, portant des bottes noires et des
casques, avec des armes à feu et des
bâtons, lâchant leurs chiens contre des
enfants et des personnes âgées, laissant
mourir de soif dans le désert ceux qui
cherchent asile, laissant mourir de faim
des grévistes de la faim ou punissant
ces prisonniers et leur famille en les
envoyant dans des cellules d’isolement ?
Qui aurait pu imaginer des docteurs
juifs emmenant une femme blessée hors de
l’hôpital et la laissant mourir de soif
sur une route déserte, qui aurait pu
penser que des soldats juifs cassent le
cou d’une jeune fille avec un foulard
rose parce qu’elle protestait contre
l’oppression ? Qui aurait pu imaginer
une éducation de jeunes filles juives
consistant à battre et à harceler des
femmes et des enfants ou une jeune femme
soldat juive recevant une décoration
pour avoir assassiné un garçon
palestinien qui allait chercher son
gâteau d’anniversaire ?
La seule conclusion possible, c’est
que le mal israélien n’a rien à voir
avec le judaïsme et que ce qui se
manifeste avec le comportement
israélien, ce n’est pas la judéité.
C’est du racisme colonialiste,
nationaliste et chauvin et cela doit
être traité ainsi.
Stéphane Hessel était parfaitement
clair sur tout cela, et un autre
camarade militant Michel Warschawski l’a
ainsi décrit : « Stéphane Hessel n’était
pas seulement la conscience du XXe
siècle mais la conscience juive en tout
ce qu’elle a de meilleur ».
Le Tribunal Russell a démontré et, il
faut l’espérer, continuera de démontrer
cette conviction de Stéphane que la pire
attitude en face de l’injustice est
l’indifférence. Ou le déni.
L’indignation et l’engagement sont les
seules réponses possibles face au Mal.
Et pour cela, je veux remercier
chaleureusement tous ceux qui font le
travail. Il est très important pour
nous, par-dessus tout, de savoir qu’il y
a des gens ici qui ne lâcheront pas
jusqu’à ce que le mur s’écroule et que
la justice s’impose.
Nurit Peled-Elhanan
Bruxelles le 17 mars 2013
Traduction : PS
Texte original en anglais
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