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Mazin Qumsiyeh
Éducation ou contamination des esprits ?
Nurit Peled-Elhanan
Discours tenu à l'université
du Connecticut,
New London,
27 septembre 2006
Je voudrais dédier ces mots à tous les garçons et filles
palestiniens, à tous les garçons et filles libanais, ainsi qu'à
tous les garçons et filles irakiens qui ont été massacrés par
des garçons soldats israéliens et américains à l'esprit
contaminé, et qui ont récemment rejoint ma propre petite fille
dans le royaume souterrain des enfants morts, qui grandit sous nos
pieds pendant que je parle...
...Je voudrais leur dire de ne pas s'inquiéter : Enfants, vous y
serez bien reçus et personne ne vous blessera simplement parce
que vous avez fait l'école buissonnière ou parce que vous
portiez un voile sur votre tête ou parce que vous viviez dans un
certain endroit. Reposez en paix, chacun a droit à une égale
dignité dans votre nouveau monde. C'est le monde où les enfants
israéliens demeurent côte à côte avec les enfants
palestiniens. Là ils reposent, victimes et meurtriers, dont le
sang a été longtemps absorbé par la Terre sainte, qui a
toujours été indifférente au sang. Là ils reposent, tous
victimes de duperie.
Vous tous, enfants morts, avez été trompés, parce que votre
mort n'a abouti à rien du tout et le monde continue à vivre
comme si votre sang n'avait jamais coulé. Parce que les leaders
du monde continuent à jouer leurs jeux meurtriers, en vous
utilisant comme des dés et en utilisant notre chagrin comme
carburant pour leurs machines à tuer. Parce que les enfants sont
des entités abstraites pour des généraux et que le chagrin est
un outil politique. Vivant des deux côtés, celui des victimes et
celui des tueurs, je continue à me demander, quels sont les
moyens qui font que de bons enfants israéliens sont transformés
en monstres assassins, quels sont les moyens qui contaminent
autant leurs esprits pour qu'ils en viennent à tuer, torturer et
humilier d'autres enfants, leurs parents et grands-parents, et à
sacrifier leur propre vie pour rien d'autre que la folie et la mégalomanie
de leurs chefs. Dans le prétendu monde occidental éclairé
chacun se sent très légitime quand il blâme l'Islam pour les
attentats suicide et la terreur. Mais qui songerait à blâmer le
judaïsme pour meurtre ? Les enfants juifs ultra-orthodoxes qui
n'ont jamais quitté Brooklyn savent que tuer des Arabes est un «
mitzva » (commandement sacré) car pour eux ce sont des « vilde
hayeths » (bêtes sauvages). Et les enfants israéliens
commettent réellement les crimes de massacre et de torture. Ni le
judaïsme ni l'Islam ni aucune autre religion dans ce domaine ne
sont la cause des meurtres et de la terreur. C'est l'éducation
raciste qui l'est. C'est l'impérialisme américain qui l'est,
c'est l'impitoyable régime d'occupation israélien qui l'est. Les
femmes et les enfants qui souffrent le plus de la violence
occidentale aujourd'hui sont les femmes musulmanes mais le racisme
ambiant fait que la souffrance de ces femmes est imputée au fait
qu'elles sont musulmanes.
Le monde occidental aujourd'hui est infecté par la peur de
l'Islam et de la matrice musulmane. La grande France de la liberté-égalité-fraternité
est effrayée par des petites filles voilées, l'Israël juif
appelle, dans des discours publics et des livres scolaires, les
citoyens arabes d'Israël un « cauchemar démographique » et
« l'ennemi intérieur ». Quant aux réfugiés palestiniens
vivant sous occupation, ils sont définis dans les livres
scolaires israéliens d'histoire comme un « problème à résoudre
». Il n'y a pas bien longtemps c'étaient les juifs qui étaient
un problème à résoudre.
Ceci en dépit du fait que les gens qui détruisent le monde
aujourd'hui ne sont pas musulmans. Les gens qui utilisent les
armes désastreuses les plus sophistiquées pour tuer des milliers
de civils innocents ne sont pas musulmans. Ils sont chrétiens, et
juifs. Néanmoins ce sont ceux qui appartiennent aux cultures judéo-chrétiennes,
qui soutiennent les crimes contre l'humanité américano-britanniques
et israéliens, et en particulier contre les musulmans partout
dans le monde, les personnes qui envoient leurs enfants au combat
dans ces guerres inutiles impitoyables au nom de la démocratie et
de la liberté qui sont des noms de code pour l'avarice et la mégalomanie,
qui se voient eux-mêmes comme éclairés et blâment tout cela au
nom de je ne sais quel clash imaginaire des civilisations. Quelle
solution ce monde frappé par la peur offre-t-il aux Palestiniens,
aux Irakiens ou aux Afghans qui sont harcelés, maltraités,
torturés et affamés par les crimes et l'exploitation occidentaux
? L'offre générale que ce monde éclairé leur fait consiste à
dire : soyez comme nous. Constituez une démocratie comme les nôtres,
embrasser nos valeurs qui vous méprisent, qui vous considèrent
comme un tas de primitifs inférieurs qui doivent être cultivés
ou épurés.
Ceci, mesdames et messieurs, est l'attitude qui permet aux soldats
américains de violer, torturer et tuer des hommes, des femmes et
des enfants musulmans par milliers, qui permet à des soldats israéliens
d'ordonner aux femmes palestiniennes de se déshabiller devant
leurs enfants pour des raisons de sécurité, aux geôliers de les
maintenir dans des conditions inhumaines, sans les règles hygiéniques
nécessaires, sans eau ou matelas propres et de les séparer de
leurs nourrissons et enfants en bas âge. De bloquer leur chemin
vers l'éducation, de confisquer leurs terres, de détruire leurs
puits d'eau, de déraciner leurs arbres et de les empêcher de
travailler leurs champs. C'est ce qui permet aux pilotes israéliens
de laisser tomber une centaine de bombes d'une tonne par jour sur
le secteur le plus peuplé au monde - Gaza. C'est ce qui permet à
Israël de voter les lois racistes qui séparent des mères, des pères
et des enfants.
Les femmes palestiniennes, irakiennes et afghanes sont des mères
comme moi. Et quand elles perdent un enfant, même si c'est un
enfant de 12 ans, leur douleur est égale à la mienne. Mais en
plus de perdre leurs enfants, elles perdent également leurs
maisons, leur vie et leur futur parce que le monde n'écoute pas
leur souffrance et ne punit pas leurs meurtriers. Leur honneur de
femmes et de mères est écrasé. Leur identité est détruite et
leur cri n'est pas entendu. Leur foi et leurs coutumes, leurs
modes de vie séculaires sont traités par le mépris.
Les soldats américains ne sont en fait pas les seuls à massacrer
des « Arabes » : les soldats israéliens le font aussi avec les
Palestiniens et les Libanais. Et ces soldats israéliens n'ont
probablement jamais vu un visage humain arabe avant de se
retrouvent à l'armée. Mais ils ont appris, pendant 12 longues
années, que ces gens sont primitifs, qu'ils élèvent des enfants
pour les envoyer dans la rue jeter des pierres sur nos soldats
qui-veillent-au-maintien-de-la-paix, qu'ils sont incultes parce
qu'ils ne reçoivent pas notre éducation, étant fourbes et sales
parce qu'ils ont une autre notion que nous de la politesse, qu'ils
s'habillent différemment et se couvrent la tête avec différents
morceaux de tissu. Eh bien, d'après mon expérience, il y a
beaucoup plus de keffiehs que de kippas dans le camp des partisans
de paix. Des enfants israéliens sont empêchés de connaître
leurs voisins immédiats, leur histoire et leur culture, leurs mérites.
Des enfants israéliens sont éduqués à voir en leurs voisins
des éléments indésirables. Ce n'est pas de l'éducation, c'est
de la pollution mentale.
Le scientifique Richard Dawkins a été le premier à parler de
virus mentaux. Les enfants, parce que leurs esprits sont crédules
et ouverts à quasiment toute suggestion, ne sont pas immunisés
contre les pollutions mentales de toutes sortes de propagande et
de mode. Ils se laissent facilement persuader de percer leurs
visages et de tatouer leurs fesses, de mettre leurs casquettes à
l'envers et de dénuder leurs ventres, de croire aux anges et aux
fées. Ils acquièrent également facilement les croyances
politiques et s'approprient les cartes mentales qui influenceront
plus tard leurs décisions sur la question des futures frontières
de l'État et sur la nécessité de la guerre. Tous nos enfants
ont l'esprit contaminé à un âge précoce. De sorte qu'au moment
où ils sont en âge de devenir de vrais soldats, ils ont déjà
appris à être de bons soldats, c'est-à-dire que leurs esprits
sont totalement contaminés et qu'ils sont incapables de remettre
en cause la « vérité » qui leur a été inculquée. Ceci est
une partie de l'explication que l'on peut donner aux actes
terribles qui sont commis aujourd'hui par de braves garçons israéliens,
qui sont définis encore et toujours comme des « gens attachés
aux valeurs ». Il est donc grand temps de se demander de quelles
valeurs il s'agit. Les lignes suivantes font partie d'une préface
personnelle de Tal Sela, un de mes étudiants d'université, à
son mémoire de fin d'études, qui inclut l'analyse d'un manuel
d'histoire.
« Le 5 septembre 1997 je me trouvais au Liban, dans une mission
de renfort. Tous mes amis étaient dans la bataille, 12 soldats
ont été tués. Les jours suivants j'étais heureux : "je
suis vivant, j'ai survécu", me disais-je à moi-même. Mais
un an plus tard, j'étais dans une dépression profonde. Triste et
morose. J'ai décidé de consulter un psychologue. Après quelques
séances j'ai pu rassembler mes forces, physiques et morales. J'ai
pu réorganiser mes pensées. Alors j'ai compris que la crise
mentale que j'avais eu était en fait une crise morale, une crise
de conscience. Ce que j'avais réellement ressenti c'était de la
frustration, de la honte et de la colère...
Comment avais-je pu être si crédule et me laisser tromper ?
Comment expliquer qu'un homme de paix s'expose à une expérience
si morbide de son propre gré ? Aujourd'hui, comme toutes les deux
semaines, j'ai conduit des activistes pacifiques aux postes de
contrôle militaires de l'armée israélienne dans les territoires
palestiniens occupés. J'ai vu un officier mettre les menottes à
un chauffeur de taxi parce qu'il n'avait pas obéi à l'ordre des
soldats pour se garer ici et pas là. "Nous le lui avons dit
mille fois", disaient les soldats. L'homme était couché à
terre dans la pire chaleur de l'été, assoiffé, pendant des
heures. Son ami était plus chanceux : il a dû rester debout dans
une cellule, sans menottes. »
Qu'est-ce qui a poussé ces jeunes garçons israéliens à jouer
le rôle des juges suprêmes à en perdre tout jugement ? À mon
avis c'est le grand récit sioniste qui sert de conscience
collective à toute la société israélienne, tant de manière
explicite qu'implicite. Ce grand récit est le système des
valeurs qui nous incite à appartenir à ce collectif particulier.
C'est le système qui dicte les rapports entre nous et les
Palestiniens. Comment sinon peut-on expliquer que des jeunes qui
ont été éduqués à aimer leur voisin comme ils s'aiment, tuent
leurs voisins, détruisent leurs établissements scolaires, leurs
bibliothèques et leurs hôpitaux, pour aucune autre raison
apparente que le fait que ce sont leurs voisins ? La seule
explication est que leurs esprits sont contaminés par les
parents, les enseignants et les leaders, qui les convainquent que
les autres ne sont pas aussi humains que nous, et donc que les
tuer n'est pas vraiment un meurtre ; cela porte, pour être légitimé,
d'autres noms tels que « épuration », « nettoyage », «
punition », « opération », « mission », « campagne » et «
guerre ». Même si je parle des garçons israéliens, ce n'est
pas une affaire israélienne parce que, comme vous le savez, l'épidémie
est mondiale. Mon neveu, Doroni, 7 ans, qui vit aux USA, est venu
à la maison le jour de Halloween et a déclaré qu'il voulait être
soldat, aller en Irak et sauver l'Amérique. Combien de jeunes
hommes américains, ignorants comme lui l'absurdité de cette déclaration,
sont vraiment allés en Irak et y sont morts sans savoir pourquoi,
mais avec les mots « sauvons l'Amérique » sur leurs lèvres ?
La question est : comment ces valeurs fausses ont-elles été
imprimées dans leurs esprits et comment peuvent-elles être effacées
?
La psyché humaine, dit Dawkins, connaît deux grandes maladies :
la tendance à mener des vendettas de génération en génération
et la tendance de mettre des étiquettes de groupe sur des
personnes plutôt que de les voir comme des individus. Nous
souffrons tous des étiquettes, mais c'est seulement ceux d'entre
nous qui sont morts à cause des étiquettes qui se sont rendus
compte que la manière de combattre les étiquettes est de les
refuser. La manière de vaincre les faux systèmes de valeurs est
de les mettre à nu. Les virus de l'esprit ne sont que
partiellement affaiblis par des jeunes comme Tal et d'autres
refuzniks israéliens tels que les « Combattants pour la paix ».
Mais la plupart de nos enfants contaminés ne seront libres de
l'emprise de ces virus que quand ils auront trouvé le repos final
dans le royaume toujours croissant et souterrain des enfants
morts. C'est seulement là qu'ils réaliseront que ce n'est pas
important que leur tête ait été couverte ou pas dans une
synagogue, une église ou une mosquée, qu'ils aient été
circoncis ou pas, qu'ils aient ou pas prononcé des mots
interdits, qu'ils aient mangé du porc ou de la vache ou qu'ils
aient pris un chocolat chaud après leur pizza au salami juste
avant de sauter sous la bombe de quelqu'un qui ne l'était pas ou
ne l'avait pas fait. Les mères israéliennes, américaines,
anglaises, italiennes élèvent leurs enfants avec tout l'amour et
le soin afin de les sacrifier au dieu de la mort, comme si leur utérus
est un capital national ou plutôt international. Des pères
poussent leurs enfants à s'engager dans des armées dont les intérêts
n'ont rien à faire avec la défense. Et quand ces enfants meurent
pour le bénéfice de quelqu'un d'autre, leurs parents portent le
deuil avec dignité et fierté, comme on leur a enseigné, mettant
les photographies de leurs enfants morts sur le dessus de la
cheminée et soupirent : il était si beau en uniforme.
Il est temps de dire à ces parents que personne n'est beau dans
l'uniforme de la brutalité. Il est temps de leur dire que les
uniformes, les grades et les médailles sont devenus laids. De
leur dire que leur dignité et leur fierté sont mal placées. Il
est temps de dire aux juifs que la seule manière de décourager
l'antisémitisme c'est de condamner le seul gouvernement au monde
qui envoie délibérément de jeunes juifs, garçons et filles, à
une mort certaine et qui persécute, jusqu'au génocide, une
nation sémite entière. Il faut leur expliquer que c'est le
gouvernement juif et les actions de son armée, non je ne sais
quelle haine primaire pour la race juive, qui sont les raisons de
l'invention du nouveau signe que nous voyons souvent dans les
manifestations pro-palestiniennes, où l'étoile de David est mise
en égalité avec la croix gammée.
C'est une tâche terriblement difficile pour les personnes qui ont
été éduquées en Israël ou aux USA ou dans n'importe quel
autre pays « démocratique occidental » d'admettre que nous
avons ont été élevés sur des valeurs racistes fausses. Sur l'hétérophobie.
La seule chose qui peut mettre en valeur un tel changement dans
les esprits, c'est l'image constante des petits corps mutilés des
victimes de ces valeurs.
Demain c'est Yom Kippour, le jour le plus saint pour les juifs. Ce
jour-là, les gens doivent demander le pardon. Pas pour pardonner
mais pour essayer d'être pardonné. Je voudrais citer une strophe
d'une poésie écrite par le défunt Hanoh Levin, un des plus
grands dramaturges d'Israël, dans les années 70 :
Cher père, quand tu seras sur ma tombe
Vieux, fatigué et très seul,
Et que tu verras comment ils m'ont enterré -
Demande-moi de te pardonner, mon père.
Nous devons tous demander pardon à nos enfants pour ne pas avoir
été plus vigilants, pour ne pas nous être battus suffisamment
afin de tenir nos promesses d'un monde meilleur, pour ne pas avoir
refusé plus tôt les virus du mal et pour les avoir laissés être
les victimes de la contamination horrible, la contamination
mentale dont nous souffrons tous. Regardons leurs petits visages
innocents, hébétés et sans illusions et demandons-nous :
pourquoi ce sillon de sang déchire t-il la pétale de leur joue ?
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Le Dr Nurit Peled-Elhanan est chargée de cours en sciences du
langage à l'Université hébraïque de Jérusalem, spécialisée
dans le discours au sein de l'éducation israélienne, avec un
accent mis sur les représentations visuelles et verbales des
Palestiniens et des juifs non-occidentaux. En septembre 1997,
Samarder, la fille de Nurit, a été tuée par un Palestinien dans
une attaque suicide. Elle et sa famille sont membres des Familles
en deuil palestiniennes et israéliennes pour la paix. Le père de
Nurit, le général Matti Peled, était un héros de la guerre de
1948, devenu partisan de la paix sur la fin de sa vie.
Ses deux fils sont actifs dans les mouvements de paix des
Refuzniks (soldats qui refusent de servir dans les territoires,
NdT) et de Combattants pour la paix, un nouveau mouvement
d'ex-combattants israéliens et palestiniens. Nurit Peled-Elhanan
a reçu en 2001, le prix Sakharov du Parlement européen pour les
droits de l'homme et la liberté de pensée. Elle est actuellement
en tournée aux USA avec une femme palestinienne (Hanan Abu Ghosh)
qui a perdu son frère âgé de 17 ans suite à des tirs israéliens.
Mazin Qumsiyeh
SOURCE : qumsiyeh.org
Traduit de l'anglais par Corinne Grassi et révisé par Fausto
Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la
diversité linguistique.
Diffusé par Corinne Grassi
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