Ici, en Israël, la façon dont nous
traitons les enfants palestiniens a
longtemps été guidée par l’adage : « Les
abrutis engendrent des insectes ».
Certains le disent ouvertement, d’autres
partagent ce point de vue en silence. Il
n’y a pas de mois sans que plusieurs
enfants palestiniens soient tués sous
des prétextes douteux, que personne ne
comprend, jusqu’à ce qu’un journaliste
suédois essaie de deviner et que toute
la grosse artillerie soit déployée pour
le faire taire. La plupart du temps les
Autorités d’Occupation s’arrangent pour
falsifier l’âge des petites victimes et
pour leur prêter des intentions
criminelles ou subversives et quand rien
de tout cela ne marche, ils s’excusent
eux-mêmes comme des joueurs de ping-pong
en disant « Oh, désolé ! ». Et cette
fois encore, les experts en meurtres de
l’Armée israélienne ont dit : «
Peut-être que ça aurait pu être arrangé
autrement ! »
Peut-être !! En Vérité ! Dans la
presse israélienne les enfants
palestiniens sont toujours décrits comme
une terrifiante menace surgissant de
toutes parts : d’en-haut, d’en bas, ou
en face des soldats qui tirent ,
lesquels soldats, ne l’oublions pas sont
armés des pieds à la tête comme des «
robotcops », mais sont décrits dans les
rapports de presse comme des jeunes
perdus, frappés de terreur lorsqu’ils
sont confrontés à des enfants en
T-shirts en route pour le travail des
champs avec leur binette, ou font face à
des enfants qui les attaquent avec des
frondes, Goliath hurlants confrontés à
des David fluets , agiles et
inébranlables qui obstinément insistent
pour continuer à vivre en dépit de ce
que nous leur avons déjà expliqué des
milliers de fois.
La fumée flottant au-dessus de Gaza
massacrée et ensanglantée n’est pas
encore dispersée et les voilà de nouveau
sortant aux champs pour la récolte. De
nouveau ils ont l’air d’attaquer ou de
vouloir attaquer, rêvent d’attaquer ou
semblent attaquer quand ils lèvent une
fourche pour faire les foins ou
simplement énervent nos soldats par leur
présence même. Nos soldats, héroïques,
adultes, responsables, qui déambulent
avec des armes effrayantes dans les rues
de la ville et tous les lieux publics
sont décrits dans les communiqués de
presse qui rapportent les meurtres comme
manquant de jugement, glacés
d’épouvante, ou comme des meurtriers
sans cœur, sans conscience et sans
intelligence qui ne savent pas comment
expliquer et ne jugent pas que ce soit
nécessaire, et qui ne savent pas quoi
faire, en bref qui ne savent pas.
Comme dans le film « Valse avec
Bachir », comme dans le film « Juste
pour voir si je souris » comme dans les
innombrables témoignages de soldats
traumatisés, ils se demandent juste ce
qu’ils sont venus faire là. Ils m’ont
posté là, alors j’ai tiré, alors j’ai
bombardé, alors je les ai fouillés,
alors j’ai cassé les manifestations,
alors j’ai obéi, alors j’ai tué. Parce
que j’avais peur, j’avais terriblement
peur, de loin on avait l’impression
qu’ils tenaient des pierres, des
frondes, des fourches ou quelque chose
comme ça comment pourriez-vous savoir,
comment pourriez-vous voir avec ce
casque qui vous tombe sur les yeux, avec
la sueur qui vous coule dans les yeux,
mais je ne suis pas coupable, parce que…
pourquoi m’ont-ils posté là ? ??
Et les enfants morts dont le sang
irrigue les champs ? Dont le sang crie
depuis la profondeur de la glaise ? Dont
les cris de mort ne seront pas étouffés
par un millier de colonies, en l’honneur
de qui on ne déplacera pas le moindre
projet immobilier mais il est presque
sûr que leurs corps seront recouverts de
vastes immeubles destinés à des colons
qui ne veulent rien connaître de leur
histoire mais qui chanteront et
danseront sur leur sang encore et encore
pour tenter de le faire taire. Seuls ces
enfants morts qui sont allés rejoindre
ma propre petite fille dans ce Royaume
souterrain des enfants morts sur lequel
ce pays du béton se construit sans
arrêt, eux seuls savent que Satan n’a
pas encore créé la vengeance pour le
sang d’un petit enfant *.
Eux seuls savent que toutes les
danses et les chants, que les marches et
les drapeaux, les tanks et les
bulldozers et les lois racistes et
liberticides qui apparaissent chaque
jour subrepticement , ne laveront pas le
sang que nous avons sur les mains, le
sang des enfants bruns en T-shirts,
presque morts de faim qui se lèvent
chaque matin en quête de travail, en
quête de leur pain quotidien, en quête
d’un peu de dignité sans jamais
renoncer. C’est leur vengeance. Que leur
mémoire soit bénie.
*« Une telle vengeance, la vengeance
pour le sang d’un petit enfant / Satan
ne l’a pas encore créée » du poème « Sur
le Massacre » composé par le poète
Hébreu Haïm Nahman Bialik pour
commémorer les victimes du pogrom de
Kishinev en 1903.
(Traduit de l’Anglais par Roseline
Derrien)
Prof. Nurit Peled-Elhanan