Analyses
Giza street for Gaza strip !
Nabil Ennasri
Mercredi 30 décembre 2009 “La Marche pour la
liberté à Gaza“ a pris une tournure à la fois toute singulière
et extrêmement réconfortante. Nous ne pensions pas que notre
détermination et notre engagement auraient bénéficié d’un tel
impact. Du New York Times à France info en passant par Al
Jazeera et jusqu’à la presse égyptienne, tout le monde évoque la
mobilisation de ce groupe de volontaires français qui n’a pas
hésité à bloquer – fait rarissime dans les rues de la capitale
égyptienne – l’une des artères principales du Caire et de camper
devant l’ambassade de France pour faire aboutir leurs
revendications.
A l’heure où je vous écris ces lignes, nous
sommes toujours bloqués sur le trottoir de l’ambassade de France
du Caire où nous nous apprêtons à dormir pour la troisième nuit
consécutive à même le sol. Retour sur quelques jours
exceptionnels qui auront gravé nos mémoires, marqué l’esprit des
Egyptiens et permis quelque peu au siège de Gaza de sortir du
mutisme dans lequel il est confiné.
Dimanche 27 décembre 2009 : nous sommes au Caire
depuis la veille. De toute la ville doivent converger les
différents groupes de volontaires français qui se sont inscrits
auprès de la CAPJPO[1] pour participer à la “Gaza Freedom
March“. Notre point de rencontre est prévu à 19h devant
l’ambassade de France au Caire, avenue Charles de Gaulle. Nous
nous y rendons mais avec une légère suspicion, les autorités
égyptiennes ayant fait volte-face il y a quelques jours en
annonçant que la Marche serait interdite. A 19h, alors que les 6
bus qui devaient transporter les 300 marcheurs à Rafah sont
absents, des négociations s’engagent entre nos responsables et
les autorités égyptiennes par le biais de l’ambassadeur de
France.
Quelques minutes plus tard, on nous annonce que
la Marche pourra s’élancer et que les bus arriveront dans un peu
plus d’une heure. Seulement, ils n’arriveront jamais. Un coup de
téléphone nous apprend vers 22h que ce n’est plus la peine
d’espérer et que le gouvernement égyptien n’autorisera pas le
déplacement à Rafah. Ulcérés, un groupe d’entre nous décide de
bloquer l’avenue Charles de Gaulle en formant une chaîne
humaine. En quelques minutes, le boulevard est bloqué, un
embouteillage monstre se forme, les klaxons retentissent tandis
que commence à résonner les slogans pour la Palestine.
Pour la première fois depuis de longues années,
l’un des principaux axes du Caire est occupé par des
manifestants qui ont trouvé ce dernier recours pour exprimer
leur indignation face à la forfaiture des responsables
égyptiens. Les premiers journalistes arrivent, les policiers
égyptiens sont pris de panique et l’ambassadeur de France, dont
la position apparaîtra très vite comme complice de la lâcheté
des Egyptiens, ne sait plus quoi dire. Nous resterons sur la
voie une bonne partie de la nuit avant de quitter le boulevard
et de se replier sur le trottoir de l’ambassade. A trois heures
du matin, épuisés, nous déplions nos tentes pour profiter d’un
temps de répit.
Lundi 28 décembre 2009 : le réveil est assez
brutal ; un cordon de CRS égyptien s’est déployé durant la nuit
ce qui a pour effet de ceinturer l’ambassade et de nous confiner
à l’intérieur du trottoir. L’ambassade qui devait ouvrir à 9h du
matin est désormais fermée et le Tout-Caire commence à parler de
notre action spectaculaire. Les Egyptiens, tout comme les
officiels de l’ambassade, sont stupéfaits de notre audace et de
la cette forme de mobilisation que nous avons adopté et à
laquelle ils ne s’attendaient pas du tout. De l’aveu même de
l’ambassadeur, c’est du jamais vu en Egypte !
Durant toute la journée, plusieurs caméras se
succéderont : Al Jazeera, la BBC, plusieurs chaînes de
télévision arabe, France 24 et même des journalistes égyptiens.
Des volontaires internationaux en provenance des Etats-Unis, du
Japon, d’Australie, d’Ecosse, de Grèce, un député philippin,
l’ancienne vice-présidente du parlement européen, la sénatrice
française Alima Boumediene-Thierry etc. nous rejoignent et nous
congratulent.
Nous comprenons que notre action jouit désormais
d’un impact grandissant auprès de l’opinion ce qui irrite
d’autant plus les généraux égyptiens qui nous menacent en
déployant un deuxième puis un troisième cordon de policiers
devant l’ambassade. Des passants égyptiens nous font des signes
de victoire, certains klaxonnent en signe de sympathie à notre
égard. Des messages de félicitation affluent de tous côtés,
certains provenant même de … la bande de Gaza. Fatigués
physiquement mais satisfaits moralement, nous nous apprêtons à
dormir pour une deuxième nuit dans la rue.
Mardi 29 décembre : coincés entre le mur de
l’ambassade et la rangée de CRS qui limite sévèrement nos
déplacements, nous nous réveillons dans un état de siège. Le
trottoir a désormais l’allure d’un véritable camp de fortune où
la situation devient de plus en plus précaire. Très vite se pose
la question des toilettes et de l’hygiène. L’ambassadeur de
France, avec qui les discussions sont de plus en plus tendues –
lequel affiche en outre une posture de plus en plus
intransigeante – nous annonce que l’accès aux toilettes de
l’ambassade sera réduit de manière drastique et que seuls les
Français seront autorisés à y accéder avec l’obligation de
présenter le passeport à l’entrée.
Dans une attitude qui mélange indignité et aucun
sens de la compassion, on refusera à un ressortissant belge, à
deux Coréennes et à un Algérien résidant en France depuis 43 ans
l’accès aux sanitaires… Même si, l’usure et la fatigue aidant,
la situation se tend quelque peu dans notre étroite “bande de
trottoir“, notre mouvement gagne de l’ampleur. C’est avec une
agréable surprise et une fierté assumée que nous apprenons que
nous faisons la « Une » de plusieurs quotidiens égyptiens et que
notre mouvement résonne jusque dans les colonnes du New York
Times. Au-delà de cette large couverture médiatique de notre
mobilisation, ce qui nous réjouit le plus c’est d’avoir
contribué à focaliser l’attention sur le drame que vit
actuellement le peuple de Gaza, victime d’un blocus abject qui
l’affame.
La journée se termine dans la bonne humeur, une
véritable cohésion et un esprit de solidarité s’est emparé des
marcheurs et malgré des conditions déplorables, une ambiance
chaleureuse et fraternelle règne dans cet espace qui ressemble
ironiquement à la bande de Gaza. L’ambassade se trouvant dans la
zone de Giza et l’avenue portant également le nom du quartier,
certains participants ont su déniché un slogan à la tonalité
évocatrice : ““ – la rue de Giza pour la bande de Gaza !!
[1] Coordination des Appels pour une Paix
Juste au Proche-Orient, association pro-palestinienne française
dont le site internet www.europalestine.com est très actif dans
la campagne de Boycott à l’égard d’Israël.
Ennasri Nabil, Diplômé de l’Institut
d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant
en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences
humaines de Château-Chinon. Il est également membre du Collectif
des Musulmans de France (CMF).
Les analyses de Nabil Ennasri
Le dossier de la marche internationale pour Gaza
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