Analyses
Les oulémas du pouvoir vs les oulémas de
la dignité
Nabil Ennasri

Jeudi 21 janvier 2010
La controverse qui secoue actuellement
le monde arabe au sujet de la
fatwa scélérate émise par le Cheikh d’Al Azhar légitimant,
d’un point de vue islamique, la construction de la barrière
métallique anti-tunnels entre l’Egypte et la bande de Gaza,
révèle au grand jour le visage douteux de ces Oulémas du pouvoir
qui, par leur compromission, jettent un trouble sur la catégorie
des savants de la législation islamique
(‘Oulémas As Shar’).
L’assujettissement de l’institution Al Azhar au Raïs égyptien et
à sa politique machiavélique d’étranglement du peuple de Gaza
pose en effet la question des relations, en islam, entre le
détenteur de l’autorité politique et la catégorie des savants
religieux, plus connus sous le vocable de ‘Oulémas.
Pour saisir
l’enjeu crucial qui tourne autour de cette relation, rappelons
les faits. Il y a quelques semaines, la presse israélienne
révélait que les autorités égyptiennes s’apprêtaient à
construire un mur d’acier souterrain s’enfonçant jusqu’à 30
mètres de profondeur, l’objectif avoué étant de contrer la
“contrebande“ due à la présence de centaines de tunnels
entre le territoire palestinien et son voisin égyptien. Très
vite, l’annonce de ce nouveau “Mur de la Honte“ allait
déclencher une vive polémique et de nombreuses voix se sont
élevées dans le monde arabe pour dénoncer cette ultime
provocation émanant du gouvernement de Hosni Moubarak. Parmi
celles-ci, on trouve le Cheikh Al Qardawi qui représente à
l’heure actuelle l’Ouléma le plus connu et certainement le plus
influent du monde musulman. Ce dernier s’est fermement prononcé
contre l’édification de cette barrière qui finira par étouffer
complètement la bande de Gaza. Qualifiant ce projet de “crime“,
celui qui est également le Président de l’Union Mondiale des
Oulémas a dans le même temps considéré le mur égyptien comme
étant “illégal au
regard de la Loi islamique“. Rejoint par de très
nombreuses personnalités religieuses du monde musulman cette
fatwa a provoqué l’ire des responsables égyptiens qui ont
immédiatement répondu en passant commande auprès de leurs
fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses d’une
contre-fatwa
légitimant l’opération égyptienne...
Ainsi va la vie
auprès des sultans, rois, présidents et autres despotes du monde
arabe. Leur forfaiture n’ayant plus de limites, ils s’essayent
dorénavant à instrumentaliser les tenants de l’autorité
religieuse pour mieux légitimer leur trahison. Le plus désolant
est que, malgré le cynisme et l’incurie qui les caractérisent,
ces derniers trouveront toujours de soi-disant docteurs de la
Loi prompts à leur signer des fatwas de circonstance qui les
couvrira et justifiera leur politique au regard des préceptes de
l’islam. Le lendemain de la parution de la fatwa du Cheikh Al
Qardawi, le journal égyptien
Al Masri Alyoum annonçait en Une que l’Académie des Sciences
d’Al Azhar avait édicté une fatwa soutenant la démarche du
gouvernement égyptien et qualifiait tous ceux qui la
contestaient comme
“des opposants à la Chari’a islamique“ !
Mais qu’ils se
rassurent : l’auteur de ces lignes a pu récemment constater, à
la faveur de la
Gaza Freedom March qui a malheureusement été bloquée
au Caire pendant une semaine, combien ces petites manœuvres
n’avaient plus aucun effet auprès des masses qui n’attendent
plus rien de politiciens corrompus et d’un certain personnel
religieux qui, pour le coup, a sombré dans le déshonneur.
Chronique parue sur le site
www.saphirnews.com, le
jeudi 21 janvier 2010
Nabil Ennasri
est diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence,
est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Il est
également membre du Collectif des musulmans de France (CMF).
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