Opinion
Le Hamas, Laurent
Gbagbo et l'Occident:
l'insupportable deux poids deux mesures
Nabil Ennasri
Dimanche 19 décembre 2010
Décembre 2010 : crise politique en Côte
d’Ivoire. Laurent Gbagbo refuse de céder le pouvoir malgré sa
défaite à l’élection présidentielle du 28 novembre. Son
adversaire et vainqueur du scrutin, Alassane Ouattara, crie au
scandale. Toute la communauté internationale s’insurge contre ce
coup de force du président sortant. L’ONU, les Etats-Unis,
l’Union Européenne et bientôt l’Union Africaine menacent Laurent
Gbagbo de sanctions s’il ne reconnaît pas le résultat du vote.
L’Occident exige le respect d’une élection qui s’est déroulée
dans des conditions relativement correctes en invoquant le
respect de la démocratie et de la volonté populaire des
Ivoiriens.
Retour en arrière. C’était un 26 janvier 2006.
Autre région mais une situation similaire. Ce jour-là, les
Territoires palestiniens votent pour des élections législatives.
Deux grands partis représentant l’essentiel du mouvement
national palestinien s’affrontent. Le scrutin, que supervisent
des centaines d’observateurs internationaux, se déroule dans des
conditions exemplaires de transparence. Le résultat est sans
appel. Le Hamas remporte haut là main l’élection en raflant la
majorité absolue des sièges. Mais ici, c’est le contraire de la
situation ivoirienne qui va prévaloir. Les Etats-Unis, Israël et
l’Union Européenne se refusent de considérer l’issue du scrutin.
Le parti sorti vainqueur des urnes se voit mis au banc des
accusés.
L’Occident décidera de sanctionner le peuple
palestinien pour avoir mal voté et très vite, les soutiens
financiers des organismes internationaux se tarissent. A
l’inverse du cas ivoirien, les perdants (le Fatah) se voient
confortés dans leur refus d’honorer l’issue du suffrage. Dans la
foulée, des dizaines de députés élus démocratiquement vont être
jetés en prison par Israël pendant que les effets du boycott
international vont finir d’accentuer la détresse d’un peuple
palestinien (surtout à Gaza) qui ajoutera à son malheur le
déshonneur.
Des condamnations
sélectives
Ce traitement à géométrie variable démontre la
grande incapacité des Occidentaux d’être à la hauteur des
valeurs qu’ils sont censés incarner. Leur attitude est ici
proche de l’hypocrisie. Comment peut-on exiger le respect des
règles démocratiques dans un cas quand on les piétine
allègrement dans un autre ? Ce deux poids deux mesures laisse un
goût amer et pose de sérieuses questions sur les intentions d’un
Occident visiblement davantage guidé par ses intérêts que par le
respect de valeurs qui se veulent pourtant au fondement de son
identité. Car somme toute cette politique est dangereuse,
stérile et contre-productive. Dangereuse car elle renvoie de
l’Occident une image désastreuse.
En invoquant la démocratie et les droits de
l’Homme pour la Côte-D’ivoire ou le Darfour et en se taisant
devant les crimes de guerre commis en Irak ou à Gaza, le message
de l’Occident se voit discrédité et rejeté par une grande partie
des peuples du Sud, notamment dans le monde musulman. Absurde
car censurer un parti sorti vainqueur des urnes est le meilleur
moyen de le conforter dans sa posture de victime, de renforcer
sa popularité et même de le pousser à la radicalisation. Enfin
contre productive car elle fournit du grain à moudre à tous ceux
(et ils sont nombreux) qui fustigent la domination occidentale
en prenant justement prétexte de cette hypocrisie lucrative. Et
rien n’éclaire plus ce comportement troublant que la situation
palestinienne
Durcir le ton face à
Israël
La crise ivoirienne nous permet en effet
d’appréhender en miroir le problème palestinien. Pratiquement
deux ans après la sanglante opération "Plomb durci" menée par
l’armée israélienne à Gaza, la situation demeure bloquée et la
perspective d’aboutir à un accord de paix s’éloigne chaque jour
davantage. Et pour cause. A la tête d’un gouvernement de droite
dure (dans lequel figurent des représentants de l’extrême-droite
israélienne) Benyamin Netanyahou persiste dans une politique
intransigeante : poursuite de la colonisation, de l’édification
du Mur (que la Cour Internationale de Justice avait estimé
illégale), promulgation de lois scélérates légalisant une
discrimination à l’endroit des Palestiniens d’Israël,
judaïsation à marche forcée de Jérusalem-Est, poursuite du siège
infâme de la bande de Gaza etc.
Ce qui est ici surprenant c’est le silence
complice des pays occidentaux qui, au mieux, se contentent de
lâcher de timides condamnations. Mais penser à des sanctions
envers un gouvernement coupable de fouler au pied les
résolutions internationales et sur lequel plane des accusations
de crimes de guerre (1), ça jamais.
De l’autre côté, le million et demi d’habitants
de la bande de Gaza continue de croupir dans des conditions
"indignes et épouvantables" comme le rappelait récemment
l’ancien ambassadeur français Stéphane Hessel. Considéré comme
"terroriste" par les Américains et l’Union Européenne, le Hamas
qui gouverne à Gaza continue pourtant de bénéficier de la
confiance d’une majorité de Palestiniens. Seulement, l’opprobre
international est ici de mise sous le prétexte que le Hamas ne
reconnaît pas Israël.
Ce lieu commun réducteur est loin de refléter
une réalité plus complexe, de nombreux responsables du Hamas
ayant à plusieurs reprises rappelé qu’ils accepteraient un plan
de paix qui octroierait au peuple palestinien un Etat dans les
territoires occupés en 1967 – ce qui vaut une reconnaissance de
facto d’Israël. La Ligue arabe a réitéré plus d’une fois la même
proposition. Mais la réponse israélienne a toujours été un refus
catégorique. Il est vrai que la charte du Likoud (parti de
M. Netanyahou) ne reconnaît pas la Palestine (2) et que nul
n’est plus sourd que celui qui ne veut entendre.
Une seule solution :
l’application du droit international
Pour sortir de ce deux poids deux mesures
insupportable pour beaucoup, l’Occident devra renouer avec ses
principes et maintenir une même position sous toutes les
latitudes. Celle-ci signifie de mettre un terme à la
complaisance et de parler le langage de la fermeté lorsqu’il
s’agit du respect du droit. Car les condamnations sélectives ne
règleront pas le problème ni au Proche-Orient ni en Côte
d’Ivoire. Le plus regrettable est que le véritable perdant dans
cette histoire est la foi en l’idéal démocratique. En
l’invoquant au gré de ses intérêts, l’Occident perd de son âme
et s’expose de son plein gré aux critiques les plus acerbes.
Notes :
(1)
http://blog.mondediplo.net/2010-05-31-Israel-l-impunite-jusqu-a-quand
(2)
http://www.protection-palestine.org/spip.php ?article9230
Publié le 20 décembre
2010 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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