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Le « barrage » de
Rafah ou comment étrangler la bande de Gaza
Nabil Ennasri

En attendant la signature
entre Israël et le Hamas d'une trêve dans la bande de Gaza,
plusieurs dizaines de familles palestiniennes hurlent leur
colère aux policiers égyptiens qui leur refusent depuis
plusieurs jours leur retour au pays,
à Rafah, au point de passage avec la bande de Gaza.
Photo Help Doctors
Jeudi 19 février 2009 Lundi 16 février, 11h au
point de passage de Rafah qui sépare l’Égypte de la bande de
Gaza. Nous attendons depuis plus de deux heures une éventuelle
ouverture de la frontière pour pouvoir entamer notre mission
médico-psychologique et de solidarité organisée par la Campagne
Civile Internationale de Protection du Peuple Palestinien
(CCIPPP).
Soudain, une forte explosion trouble le calme de
cet endroit, seule porte d’entrée et de sortie pour toute la
population de Gaza meurtrie par plus de 3 semaines d’intenses
bombardements. Un hélicoptère israélien vient de lâcher un
missile qui visait certainement un tunnel de la Résistance, seul
moyen de briser le blocus criminel qui étrangle les Gazaouis
depuis près de deux ans.
Le lieu de l’explosion ne se trouve qu’à
quelques centaines de mètres de nous et le choc de l’explosion
nous a tous fait sursauter. Scène terrible mais en même temps
tellement coutumière des habitants de Gaza, victimes depuis plus
de 40 ans de l’occupation israélienne.
C’était donc la première fois que nous
assistions à un bombardement pour la plupart d’entre nous. Tout
s’est passé si vite. En quelques secondes, l’hélicoptère a lâché
son missile, survolé la zone de bombardement et est reparti
alors que l’imposante fumée ne mettait que quelques minutes à
disparaître du ciel, pourtant très clair, de cette bande de
terre abandonnée par le monde entier.
Ce premier contact avec la bande de Gaza nous
permet de constater à quel point le cessez-le-feu décrété il y a
quelques semaines n’est qu’une chimère et qu’Israël poursuit ses
bombardements avec la même impunité qui la caractérise depuis
toujours. D’ailleurs, trois autres explosions retentiront encore
dans la journée, toujours à proximité du terminal de Rafah et
pendant des heures, nous constaterons la présence des drones
survolant le territoire.
Nous resterons toute la journée au point de
passage de Rafah, les autorités égyptiennes ayant interdit tout
passage d’étrangers dans la bande de Gaza. Seules, quelques
ambulances et voitures entreront et sortiront de ce point de
passage qui est en fait un véritable barrage qui maintient la
bande de Gaza dans une situation dramatique. Car depuis le 5
février, quasiment plus personne ne rentre et ne quitte la bande
de Gaza faisant de celle-ci une véritable prison, ou plutôt une
cage à ciel ouvert. Les histoires sont nombreuses de médecins,
de volontaires internationaux ou de simples Gazaouis qui voient
leur entrée refuser par les responsables égyptiens.
La raison ?L’ouverture du point de passage est
suspendue aux négociations en cours entre le Hamas et Israël et
tant que la trêve n’est pas signée, la frontière restera
hermétiquement fermée. Nous savions que l’Égypte collaborait
avec Israël pour faire plier le Hamas à Gaza mais la
constatation de visu de cette alliance honteuse nous a tous mis
en colère.
Car il y avait quelque chose de surréaliste de
voir les obus israéliens exploser de l’autre côté de la
frontière alors que de ce côté-ci, les Égyptiens nous refusaient
le passage pour porter assistance à un peuple en danger. Pris
entre le marteau et l’enclume, on imagine la souffrance, la
colère et le désespoir de ces centaines de milliers de
personnes, victimes d’une situation hallucinante et révoltante.
Le lendemain, la situation est restée
sensiblement la même. Seule une fine pluie donnait au désert une
allure plus chatoyante. L’air s’était rafraichi en même temps
que notre espoir de voir le terminal de Rafah s’ouvrir. En
effet, cette journée allait se terminer comme celle de la
veille. La police égyptienne ne laisse personne passer. Nous
rencontrons devant le poste-frontière des familles
palestiniennes à l’histoire stupéfiante.
Elles sont bloquées en Égypte depuis plusieurs
jours voire depuis quelques semaines. Leur faute ? Personne ne
sait, les autorités égyptiennes leur faisant savoir simplement
qu’il leur est interdit de rentrer chez eux !! Nous sommes, avec
d’autres médecins et volontaires étrangers provenant de Corée du
Sud, d’Irlande, de Malaisie et du Canada spectateurs d’une
véritable mascarade à l’accent tragique. En témoigne ces
médecins marocains quittant la bande de Gaza et relatant une
situation catastrophique ou cette voiture transportant dans un
cercueil la dépouille d’une femme et qui mettra des heures à
franchir la frontière...
En fin de journée, nous rentrons à Al-Arish,
ville moyenne située à une quarantaine de km de Rafah. Avant de
rentrer à notre hôtel, nous passons par le stade municipal,
notre correspondant égyptien nous ayant informé que des tonnes
d’aide humanitaire y était stockées. Quelle a été notre surprise
en constatant ce gâchis inqualifiable. 12 000 tonne de vivres,
de médicaments et de couvertures offerts par des pays du monde
entier (Jordanie, Libye, Vénézuela, Qatar etc.) et provenant
également des provinces d’Egypte se trouvent ici depuis un mois.
Des centaines de palettes d’eau, d’huile, de
riz, de farine, de vêtements sont entassées de manière
anarchique, certaines étant très endommagées. Des sacs de riz
éventrés nous font comprendre qu’une partie de cette aide est
déjà perdue. Plus tard dans la soirée, lors d’une rencontre avec
des responsables des Nations Unies chargés de l’aide
humanitaires, nous apprendrons que 15% de toute cette aide, soit
plus de 1800 tonnes de vivres, est anéantie. Alors que le
million et demi de Palestiniens manque de tout, l’Égypte bloque
et laisse pourrir cette aide précieuse. A l’incompréhension
s’ajoute désormais la colère.
Le jour suivant, soit le mercredi 18 février,
nous décidons de retourner à Rafah pour continuer à mettre la
pression, aussi modeste soit-elle, sur la police égyptienne.
D’ailleurs, cette dernière semble visiblement agacée par notre
détermination à vouloir franchir la frontière. Bien sûr, notre
demande d’entrer à Gaza se verra essuyer une fin de non-recevoir
de la part des Moukhabarat, les « légendaires » services secrets
égyptiens, omniprésents dans ce secteur hautement sensible.
Croulant sous une température de près de 30°, nous serons alors
rejoints par un groupe de musiciens jordaniens désirant partager
leur art avec leurs homologues palestiniens.
Dépités par le refus des policiers égyptiens,
les chansons qu’ils entonneront seront bientôt couvertes par le
vrombissement des F-16 israéliens qui attaqueront à plusieurs
reprises. Cette journée aura été la plus violente depuis notre
arrivée. Plusieurs bombardement auront lieu et la terre
tremblera littéralement sous nos pieds à différentes reprises.
Le paysage de Gaza en cette fin d’après-midi de février est
parsemée de colonnes de fumée noire, symboles de l’oppression et
de l’injustice infligées à tout un peuple.
A l’heure où ces lignes sont écrites, la
probabilité de nous voir franchir le barrage de Rafah s’amenuise
de plus en plus. En effet, les discussions autour de la trêve
s’éternisent, Israël arguant encore une fois de faux prétextes
pour ajourner sa mise en application. Rafah, triste et lugubre
point de passage désespérement fermé, n’est que le reflet du
cynisme d’une communauté internationale qui a décidé
d’abandonner tout un peuple.
Devant Gaza la martyre, outre toutes ces
violations répétées des lois humaines les plus élémentaires,
nous retiendrons surtout ces quelques mots lancés à la face du
monde par cette mère palestinienne, dont on refuse l’entrée à
Gaza et qui n’a pas revu ses enfants depuis plus de trois mois :
« Ghaza da’iman tabqa arda lsabr wassoumoud »...
Nabil Ennasri, diplômé de
l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est
actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a séjourné
dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis). Son
mémoire « Le champ politico-religieux du Qatar : une vision
estudiantine » obtenu en vue de la validation du Master II
(Recherche) « Politique Comparée » à été rédigé sous la
direction du professeur François Burgat. Il est également membre
du Collectif des Musulmans de France.
Publié le 21 février 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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