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Analyses
Menaces sur les lieux saints musulmans en
Palestine
Nabil Ennasri

Jeudi 18 mars 2010
En août
dernier, nous avions publié dans les colonnes d’oumma.com un
article qui tirait la sonnette d’alarme au sujet des dangers qui
guettent la mosquée Al Aqsa[1]. Aujourd’hui, la situation des
Lieux saints musulmans en Palestine est encore plus grave. Les
dernières provocations du gouvernement israélien à leur égard
confirment la politique agressive de “judaïsation“ entreprise
depuis plusieurs années par les autorités israéliennes. Cette
tension au sujet des Lieux saints (et particulièrement de
l’esplanade des mosquées et de son cœur, la mosquée Al Aqsa)
arrive dans un contexte de crise qui présage de lendemains
orageux.
Des
provocations en cascade
Depuis
quelques semaines, le gouvernement israélien a, coup sur coup,
pris plusieurs mesures rendant la situation explosive en
Palestine. En l’espace de trois semaines, le cabinet de Benyamin
Netanyahou a décidé d’annexer deux édifices religieux islamiques
particulièrement sensibles dans le patrimoine national de l’Etat
juif[2], humilier le vice-président américain Joe Biden en
annonçant lors de sa venue le projet de construction de
centaines de colonies israéliennes à Jérusalem-Est, empêcher à
de nombreuses reprises les Palestiniens de moins de 50 ans de
prier sur l’esplanade des mosquées, entrepris de boucler
totalement la Cisjordanie pendant plusieurs jours, le tout dans
une Palestine qui continue de subir les foudres d’une occupation
de plus en plus insupportable. Sans parler de Gaza qui croupit
toujours dans son isolement infâme et où chaque jour qui passe
la rapproche de la catastrophe humanitaire. De provocations
honteuses en déclarations fracassantes, le gouvernement
israélien poursuit sa politique du pire. Et ce n’est pas le
tollé qu’ont provoqué ces différentes annonces auprès de la
communauté internationale qui semble freiner la détermination
des faucons israéliens.
Car ce
gouvernement largement dominé par l’extrême droite religieuse[3]
applique méthodiquement une politique qui, non seulement tourne
le dos à la paix, mais met en place toutes les conditions pour
la reprise d’une confrontation. Composé d’ultras, sa stratégie
est simple et cynique : réduire à néant toute idée d’Etat
palestinien, faire le « grand Israël » et forcer les
Palestiniens à signer une paix de la soumission[4]. Les derniers
événements le prouvent : ce cabinet a fait de l’intransigeance
et de l’arrogance ses principales caractéristiques et
l’obstination de M. Netanyahou à soutenir l’extension des
colonies, malgré la désapprobation unanime des capitales
occidentales[5], en est la dernière illustration. La vraie
question est aujourd’hui celle de savoir jusqu’où les Israéliens
iront dans cette fuite en avant outrancière et que se cache
derrière cette stratégie de la terreur. Car les dirigeants
israéliens ne se contentent pas seulement de brutaliser la
population palestinienne ; ils ne ratent jamais une occasion de
menacer ouvertement l’Iran d’une attaque militaire préventive[6]
qui, si elle est déclenchée, suscitera un véritable apocalypse.
Des lieux
saints en danger
En fait, les
décisions prises ces dernières semaines révèlent au grand jour
la véritable nature du gouvernement israélien, lui-même reflet
de l’état de l’opinion israélienne qui s’est radicalisée au fil
des dernières années. La récente décision (que M. Netanyahou
savait foncièrement provocante pour les Palestiniens) d’ajouter
les deux lieux saints de Cisjordanie à la liste des sites
enregistrés au patrimoine archéologique d’Israël a été prise
suite aux pressions du parti juif ultra-orthodoxe Shass. C’est
le président du même parti Shass, Eli Yishaï, également ministre
de l’intérieur qui a annoncé, en pleine visite du vice-président
américain, la construction de 1 600 nouveaux logements dans la
colonie ultra-orthodoxe Ramat Shlomo, située dans un secteur à
majorité arabe de Jérusalem-Est. Au même moment, le journal
Ha’aretz dévoilait le plan de la mairie de Jérusalem qui
prévoirait de bâtir 50 000 nouveaux logements dans le secteur
oriental de la Ville sainte[7]. Le cabinet israélien ne pouvait
ignorer que ces concessions répétées à l’extrême droite
religieuse ne pouvaient qu’embraser la situation et éloigner
encore davantage le retour aux « négociations indirectes »,
sapant ainsi les efforts américains en vue d’une reprise, même
timide, des pourparlers de paix.
On comprend,
dans ces conditions, l’exaspération et la colère de l’opinion
palestinienne. Depuis plusieurs semaines, pas un jour ne passe
sans qu’éclate ici ou là des affrontements avec la police ou
l’armée israélienne faisant craindre l’émergence d’une nouvelle
Intifada. La tension est à son comble notamment au sujet de la
mosquée Al Aqsa. Lundi 15 mars 2010, une nouvelle synagogue,
située à quelques dizaines de mètres de la mosquée, était
inauguré en grande pompe. Cette synagogue, dite de la Hourva –
appellation que les Palestiniens traduisent par le terme arabe
Al Kharab, lui-même signifiant démolition, terme qui en dit long
sur la portée d’un tel édifice – a mis le feu aux poudres[8].
Les colons présents à son inauguration n’ont jamais caché leur
sombre projet de détruire la mosquée Al Aqsa. En effet, tout un
courant juif fanatique – soutenu en cela par la mouvance des
protestants évangélistes américains – prône depuis de nombreuses
années la destruction du troisième lieu saint de l’islam pour
construire à sa place le Temple de Salomon[9] et la nouvelle
synagogue serait, selon ces derniers, le prélude à son
édification.
Alors, ce
qui devait arriver se produisit : la journée de mardi 16 mars a
été marquée par de violents affrontements dans de nombreux
quartiers de Jérusalem et ailleurs en Cisjordanie tandis que le
Hamas à Gaza appelait à une journée de la colère. Toutes les
chaînes de télévision arabe ont ainsi retransmis ces images de
centaines d’adolescents affrontant à coups de pierres des
soldats israéliens surarmés. Tout porte à croire que les
prochaines semaines seront marquées par une recrudescence des
affrontements. Après maintes provocations et dans un pays où une
partie de la classe politique (tout comme certains organes de
presse) revendiquent ouvertement un droit à la haine[10], on a
presque envie de dire que cette dégradation de la situation
était dans la nature des choses. C’est certainement ce que
cherchait à susciter la politique machiavélique – et à terme
suicidaire – du gouvernement israélien.
Dans ce
contexte, les dernières annonces du Premier ministre israélien
ne font qu’accentuer la politique de “judaïsation“ des lieux
saints musulmans. De tout le monde arabe et musulman des appels
sont lancés et les initiatives se multiplient pour protéger le
patrimoine culturel et religieux de la Vieille ville. L’émotion
à l’égard de la mosquée grandit à mesure que s’accroissent les
menaces qui pèsent sur elle. Le problème est que cette
mobilisation peine à faire effet. A part quelques courageuses
institutions, organisations non-gouvernementales ou autres
leaders religieux, tout le monde se cantonne (Ligue arabe et
Autorité palestinienne en tête) à des déclarations de principe
où l’on se limite à exprimer sa préoccupation.
Une
mobilisation urgente, massive et plurielle
Au vu de
l’évolution dramatique de la situation, l’heure doit être à la
mobilisation pour les musulmans du monde, particulièrement pour
ceux d’Occident. En effet, à l’inverse de leurs coreligionnaires
du monde arabe et musulman – qui vivent pour la plupart sous des
régimes autoritaires dont les politiques servent, à bien des
égards, les intérêts d’Israël – ils bénéficient d’un cadre leur
permettant de s’engager pleinement pour dénoncer ces dérives
scandaleuses. Il leur incombe de faire savoir ce qui se passe
là-bas pour mieux agir ici, de mettre leur citoyenneté au
service de la promotion du droit et d’user de tous les moyens
pacifiques pour condamner avec force ce nouvel Apartheid qui,
outre ses violations répétées au droit international, porte
gravement atteinte aux libertés fondamentales de culte et de religion.
Toutefois,
l’émotion considérable que soulève la question de la mosquée Al Aqsa dans le monde musulman peut être salutaire mais elle
pourrait dangereusement déplacer le conflit. En effet, cet émoi
légitime de la part de nombreux musulmans du monde pourrait
entraîner comme effet pervers l’émergence croissante de la
dimension religieuse du conflit aux dépens de sa dimension
territoriale et politique. Or, ce glissement serait fortement
préjudiciable pour deux raisons au moins : d’abord parce que
l’origine du conflit est avant tout le fait d’une occupation et
d’un processus colonial. Jérusalem-Est, tout comme les autres
territoires palestiniens, est illégalement occupée et colonisée
par Israël depuis 1967. De très nombreuses résolutions
internationales l’attestent comme le rappelle aujourd’hui
l’administration Obama et l’ensemble des pays du monde. Ensuite,
car la réduction du conflit à une querelle entre religions est à
la fois simplificateur, dangereux et préjudiciable au mouvement
de solidarité avec la Palestine. C’est tout l’intérêt de
l’obscure politique de M. Netanyahou de renforcer la dimension
religieuse du conflit et d’en faire l’axe principal. Il ne
faudrait pas tomber dans ce piège et il faut dire et répéter que
la question des lieux saints musulmans de Palestine s’inscrit
dans une démarche de protection des libertés fondamentales et du
respect des conventions internationales
Bien au
contraire, il faut et faudra continuellement tisser des liens
avec toutes celles et ceux qui partagent une vision commune de
la justice, du respect du droit et ouvrent pour une égalité de
traitement[11]. C’est ce cadre qui permettra aux Palestiniens de
continuer à jouir d’une large sympathie dans le monde entier et
d’entrevoir le bout du tunnel. Les ponts qui existent déjà sur
ces questions avec les partenaires non-musulmans sont à
consolider, de même que les passerelles avec les tenants
d’autres traditions. C’est déjà le cas avec la communauté
chrétienne de Palestine qui, dans un document récent, a
courageusement pris position pour l’arrêt de l’occupation et la
dénonciation des crimes israéliens[12]. La question des lieux
saints musulmans de Palestine ne doit donc pas être uniquement
défendue par les musulmans et ce, pour une raison simple : elle
est le symbole du traitement indigne et inique exercé par la
puissance occupante israélienne.
Article publié sur le site
www.oumma.com, le 17 mars 2010
Nabil Ennasri
est diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence,
est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Il est
également membre du Collectif des musulmans de France (CMF).
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