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La Mosquée Al Aqsa
est en danger !
Nabil Ennasri
La Mosquée Al Aqsa
Mercredi 12 août 2009 Au cœur de l’été, il
faut croire que les Palestiniens ne sont pas seulement accablés
par la chaleur. Car à Jérusalem, la tension monte et la menace
grandit dangereusement. Les derniers évènements survenus dans la
partie orientale de la ville sont suffisamment inquiétants pour
tirer la sonnette d’alarme : la mosquée Al Aqsa, et avec elle
l’esplanade des moquées et toute la vieille ville de Jérusalem,
sont en péril.
Menacé autant par les fouilles
archéologiques qui compromettent ses fondations que par des
colons extrémistes qui redoublent d’efforts pour le détruire, le
troisième lieu saint de l’islam est au centre de polémiques qui
ne cessent d’enfler au point d’en faire l’une des questions les
plus épineuses du conflit israélo-palestinien. L’urgence de la
situation doit être prise très au sérieux car la charge émotive
et la capacité mobilisatrice de cet édifice religieux sont
considérables dans tout le monde arabe et musulman.
Al Aqsa prise entre deux feux
Il y a quelques jours, des colons
extrémistes ont tenté de prendre d’assaut la mosquée Al Aqsa
sans y parvenir. Plusieurs échauffourées ont alors éclaté avec
des Palestiniens aux abords du lieu saint. Au même moment, tout
près de l’esplanade des mosquées, des associations évangéliques,
épaulées par des religieux juifs, plaidaient pour la destruction
du troisième lieu saint de l’islam.
Leur but : reconstruire, sur les ruines de la mosquée Al Aqsa et
sur celle de Qobat Assakhra,
le “Troisième Temple“.
Beaucoup de ces associations, issues pour
la plupart du mouvement évangélique américain, voient en l’islam
« l’Antéchrist », taxent le Prophète Muhammad de
« terroriste » et souhaitent la destruction de la mosquée Al
Aqsa comme prélude à la “reconstruction“ du Temple de Salomon.
Adeptes du “Grand Israël“, nourris d’une lecture millénariste
des textes bibliques, nombre d’entre eux considèrent la survie
de l’Etat d’Israël comme une nécessité vitale car elle est la
condition du retour du Messie.
Très nombreuses, jouissant d’une influence considérable aux
Etats-Unis grâce à leurs 70 millions d’adeptes (dont un certain
Georges W. Bush), ces associations évangéliques sont à l’origine
de l’émergence du “sionisme chrétien“.
Ce mouvement entretient des liens très étroits avec de nombreux
juifs orthodoxes et plus largement avec une bonne partie de
l’extrême droite israélienne. Lors de son premier mandat en
1998, l’actuel Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou,
avait déclaré en Floride, devant une assemblée de Voices United
for Israël (Voix unies en faveur d’Israël), réseau de 200
organisations évangéliques pro-israéliennes : “Nous n’avons
pas de meilleurs amis et alliés que les gens assis dans cette
salle“.
Cette alliance douteuse et redoutable
prend désormais pour cible la mosquée Al Aqsa. Et les menaces
qu’elle fait peser sur le lieu saint ne relèvent pas que du vœu
pieux : le 21 août 1969,
Michael Denis Rohan, un chrétien australien,
incendia en partie l’édifice et plusieurs attentats ont été
déjoués dans les années 1980. De leur côté, certains juifs
fanatiques caressent toujours le rêve de reproduire à Al Aqsa
“l’exploit“ de leur héros Baruch Goldstein. Le 24 février 1994,
ce dernier avait assassiné 29 fidèles palestiniens pendant
qu’ils priaient au caveau des Patriarches, à Hébron. Sa tombe
fait aujourd’hui l’objet d’un pèlerinage. Pour le quotidien
israélien de gauche Ha’aretz, un nouveau massacre de
Palestiniens n’est plus qu’une question de temps.
Des fouilles archéologiques
controversées et menaçantes
Aujourd’hui, rarement la situation autour
de l’esplanade des mosquées n’aura été aussi tendue. En effet,
outre la multiplication des provocations diverses, les fouilles
archéologiques que l’Etat hébreu a lancées aux abords du lieu
saint font toujours craindre le pire pour de nombreux
Palestiniens et suscitent l’inquiétude dans tout le monde
musulman. En effet, selon l’Office des biens religieux musulmans
à Jérusalem, ces travaux menacent les fondations de l’esplanade.
Ces dernières années, le percement de
plusieurs tunnels a régulièrement mis le feu aux poudres et a
été à la source des affrontements les plus violents entre
Palestiniens et Israéliens. En 1996, le creusement par la
municipalité de Jérusalem d’un tunnel à proximité de l’esplanade
avait déclenché des émeutes qui avaient fait plus de 80 morts,
en majorité des Palestiniens. En février 2007, c’est l’arrivée
de trois bulldozers sous le site symbole, au pied de
l’esplanade, qui a déclenché une levée de boucliers dans tout le
monde arabe et musulman et a suscité de vifs affrontements dans
la vieille ville.
Et rappelons que le 28 septembre 2000, c’est la visite
provocatrice d’Ariel Sharon - entouré de centaines de policiers
- sur l’esplanade des mosquées qui a donné naissance à la
nouvelle intifada que les Palestiniens ont surnommé “Intifada
Al Aqsa“, toujours en référence au lieu saint menacé qu’il
faut protéger.
Al Qods confisquée, occupée et colonisée
Il est donc désormais clair que pour les
Palestiniens, la situation de Jérusalem-Est tourne à l’urgence.
Les menaces qui planent sur la mosquée Al Aqsa ont pour toile de
fond la stratégie israélienne de confiscation de la partie arabe
de la ville qui consiste notamment à vider progressivement cette
zone de ses habitants palestiniens pour y installer davantage de
colonies.
La judaïsation de Jérusalem est en marche suscitant logiquement
de très vives réactions non seulement chez les Palestiniens et
au sein du monde arabe, mais également au cœur de
l’administration Obama et des capitales européennes.
Le Cheikh Raed Saleh, leader du Mouvement
islamique arabe israélien, n’a eu de cesse ces dernières années
d’interpeller les pays arabes et l’opinion palestinienne sur les
risques qu’encourt la mosquée Al Aqsa et plus largement sur la
colonisation à Jérusalem-Est. Arrêté et détenu à plusieurs
reprises, ce dernier est récemment monté au créneau
lorsqu’Israël a notifié à près de 1500 habitants du quartier
arabe Al Boustan la destruction de leurs habitations.
Son activisme jouit d’un écho certain dans le monde musulman et
son message est aujourd’hui relayé par de nombreuses autorités
politiques et religieuses qui se joignent à cette campagne de
sauvegarde de Jérusalem et des lieux saints.
Il en est ainsi de multiples organisations
et institutions religieuses islamiques qui font de la mosquée
d’Al Aqsa et de la ville d’Al Qods (Jérusalem en arabe) un
élément symbolique et fédérateur puissant. Dans la conscience
collective des masses arabes et musulmanes, le cas de la mosquée
d’Al Aqsa devient aujourd’hui le symbole de l’arbitraire
israélien et de la violation dont est victime la terre de
Palestine. Un large mouvement de solidarité destiné à sauver Al
Aqsa et Al Qods est en marche, du Maroc à l’Indonésie. Et les
derniers événements malheureux survenus dans la ville sainte ne
font que renforcer le mouvement.
La Oumma au chevet d’Al Aqsa
Du roi du Maroc, président du comité Al
Qods
en passant par les peuples, médias, intellectuels, partis
politiques et jusqu’aux artistes, la défense des intérêts du
peuple palestinien à Jérusalem est unanime dans tout le monde
musulman. Mais c’est surtout dans les institutions religieuses
islamiques que l’activisme se fait le plus intense. La
perspective de voir Al Aqsa s’effondrer ou prise d’assaut
sensibilise depuis de nombreuses années une multitude
d’organisations privées ou d’institutions liées à de grands
prédicateurs. Chef de file de ce mouvement, le Cheikh Youssouf
Al Qardawi réitère sans cesse le droit inaliénable du peuple
palestinien, et au-delà de la nation islamique, à la
souveraineté sur le territoire de Jérusalem-Est et notamment
s’agissant de l’esplanade des mosquées.
Institution religieuse et intellectuelle à
lui tout seul, Cheikh Al Qardawi entraîne dans son sillage de
nombreuses associations caritatives des pays du Golfe dont l’un
des objectifs est de lever des fonds pour financer la
restauration et la réhabilitation des édifices religieux.
Plusieurs opérations de sensibilisation ont été lancées ces
dernières années notamment par le biais de sites web et des
chaînes satellitaires du monde arabe.
C’est dans ce cadre que l’Union Mondiale
des Oulémas (présidée par le Cheikh Al Qardawi et qui compte en
son sein la Ligue des Oulémas Palestiniens – Rabitat ‘Oulama’
Falestine) a adressé un communiqué en mai dernier exprimant,
à l’occasion du 42e anniversaire de l’occupation de
Jérusalem-Est, sa préoccupation quant aux atteintes dont la
mosquée Al Aqsa fait l’objet. Elle réaffirme également avec
force le droit fondamental des musulmans et des Palestiniens à
leur souveraineté sur les lieux saints et à venir s’y recueillir
librement.
Toute cette mobilisation en faveur d’Al
Aqsa donne la mesure de la charge symbolique puissante que revêt
le troisième lieu saint aux yeux de plus d’un milliard de
musulmans. Elle est en même temps révélatrice de la gravité de
l’état dans lequel se trouve Al Haram Al Sharif.Il
va sans dire que si la mosquée Al Aqsa venait à subir un assaut
d’illuminés ou s’écroulait du fait des travaux qui menacent ses
fondations, les conséquences d’une telle situation seraient
incalculables. Un tel scénario porte en lui les germes d’une
potentielle guerre des religions à la dimension planétaire.
Un glissement potentiellement dangereux
et préjudiciable
Toutefois, l’émotion considérable que
soulève la question de la mosquée Al Aqsa dans le monde musulman
peut être salutaire mais elle pourrait dangereusement déplacer
le conflit. En effet, cet émoi légitime de la part de nombreux
musulmans du monde pourrait entraîner comme effet pervers l’émergence
croissante de la dimension religieuse du conflit aux dépens de
sa dimension territoriale et politique
Or, ce glissement serait fortement
préjudiciable pour deux raisons au moins : d’abord parce que
l’origine du conflit est avant tout le fait d’une occupation et
d’un processus colonial. Jérusalem-Est, tout comme les autres
territoires palestiniens, est illégalement occupée et colonisée
par Israël depuis 1967. De très nombreuses résolutions
internationales l’attestent comme le rappelle aujourd’hui
l’administration Obama et l’ensemble des pays du monde. Ensuite,
car la réduction du conflit à une querelle entre religions est à
la fois simplificateur, dangereux et préjudiciable au mouvement
de solidarité avec la Palestine.
En réalité ce qui motive l’engagement en
faveur de la cause palestinienne est (et doit rester) un combat
pour la justice, le respect du droit et l’égalité de traitement.
C’est ce cadre qui permettra aux Palestiniens de continuer à
jouir d’une large sympathie dans le monde entier et d’entrevoir
le bout du tunnel. La question de la mosquée Al Aqsa ne doit pas
être uniquement défendue par les musulmans pour une raison
simple : elle est le symbole du traitement indigne et inique
exercé par la puissance occupante israélienne.
Notes:
Nabil Ennasri, diplômé de
l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est
actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a
séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes
Unis). Son mémoire « Le champ politico-religieux du Qatar :
une vision estudiantine » obtenu en vue de la validation du
Master II (Recherche) « Politique Comparée » à été rédigé
sous la direction du professeur François Burgat. Il est
également membre du Collectif des Musulmans de France.
Publié le 13 août 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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