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Pour une politique étrangère «
républicaine »
Nabil Ennasri et Vincent Geisser
Vendredi 16 janvier 2009 La politique
étrangère est sans doute le meilleur site d’observation de
l’évolution de notre démocratie française qui connaît ces
dernières années une forme de « communautarisation larvée ». Le
pire, c’est que cette communautarisation n’est pas tant le
produit de la mobilisation des dites « communautés » en faveur
de telle ou telle « cause » mais d’abord le produit d’un certain
imaginaire social qui hante nos élites politiques. Le thème
rabattu des risques d’importation du conflit Israël-Palestine
sur le territoire français vise, en grande partie, à
exonérer les politiques de leurs propres responsabilités en
faisant porter le chapeau aux citoyens ordinaires.
Alors que l’action extérieure de la France
devrait être fondée sur la défense des principes du droit
international, celle-ci tend à épouser, en les fantasmant très
largement d’ailleurs, les intérêts d’un certain nombre de
groupes de pression. S’agissant de la relation à Israël, la
politique étrangère française semble éprouver des difficultés à
privilégier une certaine « normalité diplomatique », confortant
l’Etat hébreu dans un statut d’exception, faisant ainsi perdre à
la France tout pouvoir de médiation. Si la défunte « politique
arabe de la France » a produit incontestablement par le passé
(et encore aujourd’hui) des effets catastrophiques en confortant
les régimes autoritaires et dictatoriaux du Proche et du
Moyen-Orient (les Saddam Hussein, Assad, Ben Ali, Moubarak…), la
« nouvelle politique israélienne » entame largement sa
crédibilité auprès de la communauté internationale.
Débutant sa tournée-éclair au
Proche-Orient, Nicolas Sarkozy a, dans une interview à la presse
libanaise, estimé que le Hamas « portait une responsabilité
lourde dans la souffrance des Palestiniens de Gaza » car il
a « décidé la rupture de la trêve et la reprise des tirs de
roquette sur Israël ». Après avoir rappelé à plusieurs
reprises que l’escalade de la violence était due aux
« provocations irresponsables » et « aux tirs de
roquettes » du Hamas, le président de la République a reçu
avec les honneurs, jeudi 1er janvier, la chef de la
diplomatie israélienne,
Tzipi Livni.
Alors que la bande de Gaza étouffe sous un
déluge de feu et que la situation humanitaire y est
« épouvantable » selon les termes du Programme alimentaire
mondiale, le président français s’est donc résolument aligné sur
la position officielle israélienne, en dépit d’un appel au
cessez-le-feu et d’une tentative de médiation avortée. Faisant
fi de la réalité du terrain et surtout, de la traditionnelle
politique étrangère de la France qui faisait de Paris un acteur
plutôt critique à l’endroit d’Israël, Nicolas Sarkozy dévoile au
grand jour la véritable substance de sa politique étrangère. Une
politique qui se rapproche dorénavant de celle des Etats-Unis
avec une lecture des évènements qui fait d’Israël l’éternelle
victime des « terroristes palestiniens ».
En témoigne les différentes prises de
position des autorités françaises depuis le « samedi noir »,
date du début du carnage israélien ; tous les communiqués et
prises de positions officielles de la France vont dans le même
sens. Le Hamas est responsable de l’escalade de violence et
c’est lui qui a rompu la trêve avec ses tirs de roquettes. C’est
cette grille de lecture donnée par les autorités françaises, et
pitoyablement relayée par la plupart des médias français, qui
fait perdre à la France toute crédibilité. Une grille de lecture
erronée et au fond, révoltante car venant du pays se proclamant
comme étant la « Patrie des droits de l’homme ».
Car la diplomatie française semble souffrir
actuellement d’amnésie et de manque de courage. Rien n’est dit
sur ce qui précédait la fin de la trêve comme si celle-ci avait
pris fin par simple enchantement : ni le blocus israélien qui
asphyxiait et étranglait la vie du million et demi de réfugiés
palestiniens de la bande de Gaza depuis plus de dix-huit mois,
ni la multiplication des raids, incursions et assassinats, ni
les points de passage qui sont désespérément restés fermés etc..
Au-delà de ces causes immédiates, il
convient également de rappeler aux autorités françaises que la
puissance occupante n’a jamais permis à la bande de Gaza de
vivre normalement. L’armée israélienne contrôle depuis toujours
l’espace aérien et maritime de ce bout de terre de moins de 360
km2 et a toujours eu la mainmise sur son
approvisionnement. La punition collective infligée aux habitants
de la bande de Gaza depuis un an et demi était connue de tous et
tout le monde savait que cette situation explosive ne pouvait
durer.
A l’heure ou le président Sarkozy se
présente aux autorités israéliennes comme un « ami »,
Tsahal a recours à des bombes au phosphore blanc pour
couvrir l’assaut de ses soldats,
tout comme lors de son offensive meurtrière au Liban en juillet
2006. Partisan farouche d’un rapprochement avec Israël, à la
différence de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy est donc loin
d’avoir la capacité et la volonté de faire pression sur Israël
pour qu’elle accepte un cessez-le-feu. Pire, à l’unisson des
autres puissances, Paris semble vouloir donner davantage de
temps à Israël pour qu’elle “nettoie“ la bande de Gaza, au prix
de massacres s’il le faut.
A l’heure où un véritable drame
humanitaire se noue, la France, tout comme l’Europe, perd son
âme et foule aux pieds ses propres valeurs. La position
de la France a été scandaleuse, elle qui, en tant que présidente
de l’Union européenne, a honteusement proposé il y a quelques
semaines le rehaussement des relations entre l’Union européenne
et Israël, confortant ainsi le gouvernement israélien dans sa
stratégie criminelle d’étranglement de la bande de Gaza. Le
silence et la complaisance avec laquelle les autorités
françaises poursuivent leur dialogue avec Israël devient
insupportable. Il est temps que la France, au nom des valeurs
des droits de l’homme qui fondent la République, soit à la
hauteur de ses principes.
Ce n’est pas en écrasant une population que
l’Etat hébreu parviendra à faire plier le Hamas, bien au
contraire. Il est temps pour la France de prendre ses
responsabilités et, à l’image du conflit entre la Russie et la
Géorgie l’été dernier, de tout mettre en œuvre pour qu’un
cessez-le-feu puisse aboutir immédiatement. La responsabilité de
l’occupant israélien est écrasante dans le déclenchement de
cette tuerie (plus de 1000 morts à ce jour) et il en va de
l’honneur de la France de forcer Israël à accepter une paix
juste et équitable.
La politique étrangère de la France ne doit
pas rester un domaine « à part » de la vie publique, échappant à
tout contrôle démocratique mais doit être le fruit des
aspirations profondes du peuple français. Il en va de l’avenir
de notre démocratie que d’être capable de tenir un discours à
vocation universaliste tant à l’égard de la communauté
internationale que de « sa » propre société nationale, refusant
de verser dans les formes de clientélisme et de communautarisme
larvées. N’oublions pas que « la politique arabe » de la France
n’a jamais fait le bonheur des peuples arabes (mais uniquement
servi les dictateurs et leur Cour). Pas plus que la nouvelle
« politique israélienne » des conseillers diplomatiques de
l’Elysée ne fera le bonheur de la population d’Israël…et de
Palestine.
Voir notamment, Alain Gresh, Gaza, « choc et effroi »,
www.oumma.com.
Selon le "Times", Israël utilise des bombes au
phosphore pour couvrir l’assaut de ses soldats,
Le Monde, 5 janvier 2009.
Nabil Ennasri, Diplômé de
l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est
actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a séjourné
dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis). Son
mémoire « Le champ politico-religieux du Qatar : une vision
estudiantine » obtenu en vue de la validation du Master II
(Recherche) « Politique Comparée » à été rédigé sous la
direction du professeur François Burgat. Il est également membre
du Collectif des Musulmans de France.
Vincent Geisser,
politologue
Publié le 17 janvier 2009
avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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